Nizar Trabelsi demande la révision de son procès après 24 ans.
Nizar Trabelsi, tunisien de cinquante-cinq ans, a été libéré le 22 octobre après un séjour en prison de treize années aux États-Unis. La secrétaire d’État à l’asile et à la migration, Anneleen Van Bossuyt, a déclaré qu’elle souhaitait l’expulser vers la Tunisie, mais que la situation était bloquée en raison du risque de torture auquel il pourrait faire face.
L’homme est grand, avec une barbe fournie et une allure soignée. Dès qu’il commence à parler, près de vingt-cinq années d’expériences judiciaires défilent. Le Tunisien se remémore précisément chaque étape de son parcours légal, se souvenant du numéro de sa cellule dans une prison belge, ainsi que des détails importants sur des documents juridiques.
Il a choisi de s’exprimer auprès de notre rédaction, explique-t-il, afin de prévenir d’autres personnes des injustices qu’il a endurées, notamment des décisions judiciaires favorables qu’il estime avoir été ignorées par la Belgique. Lors de longues rencontres, il s’exprime de manière calme et cohérente, bien qu’il demeure évasif sur certains sujets et avance des informations qu’il est impossible de corroborer.
Nizar Trabelsi souhaite aborder un point essentiel de son dossier : ses aveux dans le cadre de la procédure judiciaire belge au sujet d’un projet d’attentat contre la base militaire de Kleine Brogel dans le Limbourg. Il déclare : « Il n’y avait pas de projet en Belgique, ni en Europe. » Il ajoute : « La vérité est simple. Quelqu’un m’a demandé de lui rendre service. Je n’ai pas dit non, j’ai dit oui. J’ai donné ma parole à un frère. Quoi qu’il arrive, je ne dévoilerai rien. »
Il admet à demi-mot que cette demande lui a été faite par Oussama Ben Laden, qu’il aurait rencontré en Afghanistan lors de ce qu’il qualifie de travaux humanitaires. Il n’offre cependant pas de précisions sur la cible réelle : « Je ne peux pas trahir mes frères. » Il insiste : « Une chose est sûre, je ne devais pas avoir de sang sur les mains. »
Dans le climat d’après le 11 septembre 2001, sa connexion avec le chef d’Al-Qaïda est un élément significatif de son parcours. Il attribue sa détention à un régime carcéral très sévère aux États-Unis à cette association, où la Belgique l’a extradé une fois sa peine purgée. « De la torture », témoigne Nizar Trabelsi : « La lumière était allumée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. J’ai failli devenir fou. J’ai commencé à parler à la lumière, je me frappais la tête contre le mur pour sentir une autre douleur que celle que j’avais dans la tête. Je suis devenu très méchant, très agressif. »
Fort de son acquittement aux États-Unis, où il a purgé 13 années de prison après sa peine en Belgique, Nizar Trabelsi envisage de demander la révision de son procès belge. Ses avocats, contactés à ce sujet, estiment que la question mérite d’être examinée.
Me Thierry Moreau se montre prudent, car la procédure est rare et complexe : « À ce stade, nous réunissons les éléments nécessaires à une telle demande. Nous devons rapatrier le dossier américain, ce qui représente déjà un travail de titan. Nous devons également retrouver le dossier belge. Et ensuite, confronter les deux dossiers. » Il évoque une incohérence : « A priori, deux décisions contradictoires ont été prises pour les mêmes faits. Cela mérite que nous nous penchions dessus. »
Convaincu d’avoir été piégé par les gouvernements belge et américain, Nizar Trabelsi nourrit un fort ressentiment envers ces deux pays. Il répète à plusieurs reprises : « Je n’aime pas les États-Unis. J’éprouve une haine énorme à leur égard. »
Quant à sa volonté de revanche, le Tunisien rejette cette idée : « Je pense que certaines personnes ont peur, elles font peut-être des cauchemars la nuit en pensant à moi, tous ces ministres successifs qui n’ont rien fait pour arrêter tout ça. Mais aujourd’hui, je suis loin de tout ça. La Justice a fait son travail, j’ai été acquitté, je suis innocent. Le reste, c’est entre eux et Dieu. »
Âgé de cinquante-cinq ans, il affirme se tourner maintenant vers l’avenir, non sans difficultés. Il enchaîne les rendez-vous médicaux et tente de se réadapter à la vie extérieure après tant d’années d’incarcération. Nizar Trabelsi exprime son souhait de prendre soin de sa santé et de sa famille, notamment de sa mère malade. « Elle s’est occupée de moi toute sa vie, seule. Je dois m’occuper d’elle maintenant. »
À la suite de diverses condamnations, l’État belge a été contraint de lui verser 350 000 € d’astreintes. Bien qu’il comprenne que cette somme puisse choquer, il la considère dérisoire par rapport aux années passées en prison : « J’ai perdu vingt-quatre années de ma vie. J’ai perdu beaucoup d’argent en frais d’avocats, de cantine, de téléphone. » D’après des documents consultés, les États-Unis lui réclament actuellement 200 000 € en frais.
Depuis le 22 octobre, Nizar Trabelsi est libre et vit dans un hôtel modeste à Bruxelles. Il continue de faire l’objet d’une surveillance par divers services de renseignement et de sécurité. Selon une analyse de l’OCAM, révélée par Le Soir, Nizar Trabelsi est actuellement classé au niveau 2 sur l’échelle de la menace terroriste, soit une menace peu probable.
Une des notes de l’OCAM se termine ainsi : « Ses convictions idéologiques et ses intentions actuelles ne sont pas connues avec précision. Il est toutefois peu probable qu’il ait abandonné son engagement en faveur de l’extrémisme islamiste. »
À la suite de cet entretien avec Nizar Trabelsi, la RTBF a consulté Michaël Dantinne, criminologue à l’ULg et spécialiste des questions de radicalisme et de terrorisme. Il ne souhaite pas commenter les propos de Trabelsi mais attire l’attention sur des marqueurs typiques des récits des radicaux : « Le plus fort de ces marqueurs, c’est l’adoption d’une posture victimaire, que cet état de victime soit objectif ou subjectif. Cela permet de soulever toute une série de barrières morales et/ou légales et ainsi justifier ce qu’ils ont fait. »
Michaël Dantinne évoque également un autre marqueur de radicalité, celui du code de loyauté. « Dans l’islam radical, il y a une conception de la déité ultra-prégnante. Cela signifie qu’Allah vous observe tous les jours. Révéler ce qu’on devrait peut-être révéler aux yeux de la loi, cela devient contraire à ce logiciel idéologique dont l’emprise est très forte. On préfère alors ne rien dire. »
Il précise qu’il est possible d’intervenir, notamment pour décourager ces marqueurs de radicalité : « Il ne s’agit pas de faire en sorte que les intéressés abandonnent leurs idées, idéologie, convictions radicales, mais qu’ils renoncent à leur transposition en actes illégaux, à commencer par l’attentat. »
Enfin, il rappelle que « de nombreux individus sont engagés dans des processus de radicalisation, mais que tous les radicaux ne deviendront pas terroristes. » En d’autres termes, il n’y a pas de passage à l’acte violent chez tous les radicaux.
Actuellement, la situation administrative de Nizar Trabelsi est inédite. Rapatrié en Belgique après son acquittement aux États-Unis, il ne possède pas de titre de séjour. Il a été placé pendant deux mois et demi dans un centre fermé à Merksplas, avant d’être libéré.
La secrétaire d’État à l’asile et à la migration, Anneleen Van Bossuyt, souhaite l’expulser vers la Tunisie, son pays d’origine, mais cette situation est bloquée en raison du risque de torture sur place.
Contactée, Anneleen Van Bossuyt n’a pas répondu à nos demandes d’informations. Le 22 octobre dernier, lorsqu’il a été libéré de Merksplas, elle a déclaré dans un communiqué : « En tant que ministre, je suis pieds et poings liés : les décisions de justice ne m’autorisent ni à le retenir plus longtemps, ni à organiser son retour vers son pays d’origine. »
La Belgique continue de chercher une solution pour une éventuelle expulsion. Des demandes ont été adressées à la Tunisie, qui n’a pas encore réagi.

