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OnlyFans, MYM, Fansly : analyse du succès des plateformes sexuelles numériques

OnlyFans, propriété de la société britannique Fenix International ltd, domine le marché avec plus de 220 millions d’utilisateurs et plus de 5,7 milliards d’euros de revenus. En Europe, la logique encadrée par le Digital Services Act (DSA), entré en vigueur en 2023, renforce les obligations de diligence, de modération et de transparence des plateformes, tout en maintenant le principe d’exonération conditionnelle.


Les plateformes numériques de contenu sexuel sont en pleine expansion. Leur modèle, basé sur la promesse d’intimité et de liberté pour les créateurs et les abonnés, soulève des questions tant en matière de répression que d’émancipation, comme l’expliquent Faoouzi Bensebaa et Mokhtar Bouzouina, chercheurs à l’université Paris Nanterre.

L’économie du sexe a toujours accompagné les avancées technologiques : la presse au XIXe siècle et une grande partie du XXe siècle, le Video Home System (VHS) dans les années 1980 et 1990, puis les webcams au début des années 2000. Aujourd’hui, une nouvelle génération de plateformes numériques, telles qu’OnlyFans, MYM ou Fansly, domine le paysage numérique.

Le succès de ces plateformes ne repose pas seulement sur la diffusion d’images intimes, mais également sur la monétisation des interactions personnalisées entre créateurs et abonnés, une forme d’économie de proximité simulée. Ce modèle, parfois qualifié de « girlfriend experience », transforme la relation simulée en produit commercial. Dans cette optique, l’attention, le désir et les émotions sont requalifiés en produits de consommation. Un système qui monétise la solitude, exploite les vulnérabilités et banalise la commercialisation du lien humain.

Ces plateformes soulèvent une question cruciale sur l’économie de l’intimité : que révèle leur succès sur notre société ? Loin d’être neutre, leur modèle, qui se veut spécifiquement adapté à chaque individu, repose essentiellement sur la monétisation de l’intime et de la solitude.

Un acteur majeur, OnlyFans, appartenant à la société britannique Fenix International Ltd, domine largement le marché avec plus de 220 millions d’utilisateurs et plus de 5,7 milliards d’euros de revenus. MYM, en forte croissance, a réalisé 150 millions d’euros de revenus la même année, principalement en Europe. Les autres plateformes, telles que Fansly, Fanvue et Loyalfans, demeurent pour l’heure marginales.

S’appuyant sur un modèle économique léger, où l’entreprise ne possède pas d’actifs, ces plateformes mettent en relation créateurs et abonnés. Elles se positionnent en intermédiaires techniques et financiers, prélevant une commission de 20 à 30 % sur les revenus générés par les créateurs de contenu… sexuel.

Les créateurs sont responsables du contenu qu’ils publient, tandis que la plateforme se limite à fournir l’hébergement et le traitement des paiements. En Europe, cette dynamique est encadrée par le Digital Services Act (DSA), entré en vigueur en 2023, qui renforce les obligations de diligence, de modération et de transparence des plateformes tout en maintenant le principe d’exonération conditionnelle.

Une plateforme n’est pas responsable d’un contenu illicite tant qu’elle n’en a pas connaissance, mais doit agir promptement après signalement.

Cependant, cette configuration comporte certaines fragilités : une dépendance à l’égard d’une minorité de créateurs stars, de faibles barrières à l’entrée qui attirent continuellement de nouveaux concurrents, et une volatilité des abonnés, qui peuvent résilier leur contrat à tout moment.

Cette situation rappelle des analyses classiques sur la concurrence. Malgré des marges élevées, l’absence de barrières à l’entrée solides rend le secteur vulnérable à la régulation et aux changements d’usages. D’ailleurs, bien que ces plateformes mettent l’accent sur la diversification des contenus – coaching, fitness, lifestyle –, une grande majorité des revenus provient d’un contenu sexuellement explicite.

Le PDG d’OnlyFans, Keily Blair, déclare : « Notre site héberge du contenu pour adultes, mais également toute une variété d’autres contenus : humour, sports, musique ou encore yoga. »

Le travail du sexe en ligne pour les femmes sur OnlyFans peut-il être interprété à partir des notions d’oppression et d’émancipation ? C’est ce que remet en question une étude de la sociologue Dilara Cılızoğlu.

Sur le plan sociétal, ces plateformes cristallisent le débat. Pour certains créateurs, elles représentent une forme d’« empowerment » : la possibilité de choisir son corps, de le mettre en scène et de le monétiser, généralement en toute autonomie. Cependant, ce choix pourrait aussi être influencé par une pression économique et sociale liée à la sexualisation, conduisant à une monétisation perçue comme une nouvelle forme d’exploitation du corps humain.

Ces préoccupations se reflètent dans les risques identifiés tant pour les créateurs que pour les consommateurs. Les créateurs sont exposés à une vulnérabilité accrue au harcèlement, aux fuites de contenus ou à une dépendance économique vis-à-vis de la plateforme. Pour les consommateurs, le risque réside dans les dépenses impulsives, un isolement accru et une distorsion de la perception des relations intimes.

Ces plateformes prosperent car elles répondent à des besoins réels : la difficulté à établir des relations authentiques, l’isolement affectif et la solitude. Pourtant, en exploitant ces fragilités, elles les aggravent. Les plateformes d’intimité offrent une réponse marchande à la solitude, transformant le manque de lien en source de profit.

En ce qui concerne les consommateurs, la relation est conditionnée par le paiement, ce qui favorise des comportements compulsifs : confusion entre intimité simulée et relation réelle, dépenses répétées, isolement accru.

Pour les créateurs, les risques sont tout aussi préjudiciables. Derrière l’image d’un choix libre et d’un empowerment revendiqué, la réalité est souvent celle d’une dépendance économique significative plutôt que d’un sentiment d’exaltation. L’intimité, autrefois considérée comme un domaine privé, devient un espace transactionnel où la relation humaine se transforme en prestation tarifée.

Le revenu dépend d’une exposition sexuelle constante, avec des pressions croissantes pour produire davantage et aller plus loin. De plus, les menaces de harcèlement en ligne, de fuites de contenus et de stigmatisation sociale demeurent réelles et permanentes. L’argument selon lequel ces créateurs agissent en toute autonomie est donc contestable et pourrait masquer une réalité d’exploitation, plus subtile qu’il n’y paraît. C’est le marché qui imposerait ses règles, ignorant la liberté et le bien-être de l’individu.

Conscientes de ces risques, les autorités publiques ont tenté d’établir une régulation efficace de ce marché. Dès lors, la vérification de l’âge, la lutte contre les contenus non consensuels et la protection des mineurs sont devenues des priorités.

En France, MYM a choisi d’anticiper ces évolutions en adoptant des normes plus strictes afin de se démarquer et de transformer la conformité en avantage concurrentiel.

La mise en conformité avec les exigences réglementaires telles que le Digital Economy and Society Index (DESI) – notamment en matière de vérification d’âge, de modération des contenus ou de traitement des signalements – s’avère complexe et coûteuse. Si ces plateformes affichent aujourd’hui des marges élevées, leur développement se déroule dans un secteur soumis à une vigilance réglementaire continue, dont l’évolution peut rendre le modèle plus fragile à long terme.

En fin de compte, entre misère affective, faux pouvoir et véritables victimes, le succès de ces plateformes n’évoque pas seulement l’essor de l’innovation numérique, mais aussi les capacités d’une société à transformer la solitude et l’intimité en marchandises, avec les risques sociaux que cela implique.