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Donald Trump alerte l’Europe sur son « effacement civilisationnel » : analyse de la vision américaine.

Le président américain Donald Trump a divulgué sa « Stratégie de sécurité nationale » le 5 décembre, un document qui fixe le cap de sa politique étrangère. Dans ce document, Trump exprime des critiques sévères à l’égard des politiques de l’Union européenne, notamment en raison de ce qu’il appelle l’insuffisance de leurs dépenses militaires et leur stagnation économique.


Le président américain Donald Trump a présenté ce vendredi 5 décembre sa « Stratégie de sécurité nationale ». Ce document définit la direction de sa politique étrangère, un exercice habituel pour les présidents américains au début de leur mandat.

En 2022, le président démocrate Joe Biden avait mis l’accent sur la rivalité avec la Chine et les dangers que représente la Russie. La vision du conservateur Donald Trump diffère cependant considérablement.

Sans surprise, sa stratégie adopte un ton nationaliste. « Dans tout ce que nous faisons, nous mettons l’Amérique d’abord. » Il défend la lutte contre les « migrations de masse » et vise à renforcer la « suprématie américaine » en Amérique latine.

Il se montre relativement conciliant envers la Chine et la Russie, sans s’attarder sur les affaires du Moyen-Orient et de l’Afrique. En revanche, l’Europe est à nouveau critiquée dans le texte rédigé par le président américain.

### Une attaque en règle contre l’Europe

Dès les premières pages de sa stratégie de sécurité nationale, Donald Trump déclare vouloir soutenir le continent européen. « Nous voulons soutenir nos alliés dans la préservation de la liberté et de la sécurité de l’Europe, tout en restaurant la confiance civilisationnelle et l’identité occidentale de l’Europe. » Plus loin, il ajoute : « Nous nous opposerons aux restrictions antidémocratiques, imposées par les élites, aux libertés fondamentales en Europe. » Le ton est donné.

L’Europe est souvent sermonnée, d’abord sur sa politique environnementale. « Nous rejetons les idéologies désastreuses du ‘changement climatique’ et du ‘zéro émission nette’ qui ont tant nui à l’Europe, menacent les États-Unis et subventionnent nos adversaires. » Trump s’attaque régulièrement aux politiques de l’Union européenne. Ici, il vise le green deal ainsi que les achats d’hydrocarbures à la Russie.

Les critiques les plus virulentes se concentrent dans trois pages consacrées à l’Europe sous le chapitre intitulé « Promouvoir la grandeur européenne ».

### L’effacement civilisationnel de l’Europe

Pour l’administration Trump, il ne suffit pas de pointer les deux problèmes souvent mentionnés concernant l’Europe : le manque d’investissements militaires et la stagnation économique. Il existe un problème bien plus grave : « Ce déclin économique est éclipsé par la perspective bien plus inquiétante, d’un effacement civilisationnel », peut-on lire à la page 25 du document.

Cette expression évoque la théorie du « grand remplacement » portée par l’extrême droite en Europe. Cette théorie repose sur deux piliers, selon l’historienne Marie Peltier. Le premier est démographique, stipulant que l’immigration massive et la plus forte fécondité des immigrés non européens entraîneront à court terme une minorisation des populations d’origine, blanches et chrétiennes. Le second repose sur un discours anti-élitiste, affirmant que ce grand remplacement se réaliserait avec la complicité des élites dirigeantes, capitalistes et mondialistes.

Ces deux aspects se retrouvent dans la Stratégie de sécurité nationale de Donald Trump. « Les politiques migratoires transforment le continent [européen], » indique l’administration américaine. « Si les tendances actuelles se poursuivent, le continent sera méconnaissable d’ici vingt ans, voire moins. »

Une autre prévision va dans le même sens : « À long terme, il est fort probable que d’ici quelques décennies au plus tard, certains membres de l’OTAN deviennent majoritairement non européens. »

De plus, les élites européennes reçoivent un jugement sévère, en particulier « les actions de l’Union européenne qui portent atteinte aux libertés politiques et à la souveraineté […] et engendrent des conflits, la censure de la liberté d’expression et la répression de l’opposition politique, l’effondrement de la natalité, ainsi que la perte des identités nationales et la confiance en soi. »

Avec ses critiques sur la migration et les élites, Donald Trump adopte la rhétorique de l’extrême droite européenne.

### La charge de JD Vance à Munich

Le vice-président américain JD Vance a dénoncé de prétendues attaques contre les libertés démocratiques. Il a condamné l’annulation en Roumanie, en décembre 2024, des « résultats d’une élection présidentielle sur la base des soupçons fragiles d’une agence de renseignement, et sous la pression énorme de ses voisins du continent. »

Il a aussi exprimé son opposition au cordon sanitaire qui exclut les alliances avec l’extrême droite en Allemagne. « La démocratie repose sur ce principe sacré : la voix du peuple compte. Il n’y a pas de place pour les cordons sanitaires. Soit on respecte ce principe, soit on ne le respecte pas », avait-il déclaré.

En marge de la Conférence de Munich, JD Vance a rencontré Alice Weidel, la cheffe du parti d’extrême droite allemand AfD, quelques jours avant les élections législatives anticipées du 23 février.

Ces attaques frontales contre les valeurs européennes et cette ingérence dans une campagne électorale ont profondément heurté les dirigeants du continent.

### De nouvelles ingérences en vue ?

Selon la stratégie publiée ce vendredi, les États-Unis souhaitent influencer l’avenir de l’Europe. Ils veulent « négocier une cessation rapide des hostilités en Ukraine, afin de stabiliser les économies européennes, d’empêcher toute escalade ou extension involontaire du conflit ».

Les dirigeants européens apprécieront cet engagement américain mais seront sans doute moins enthousiastes face au nouveau cap idéologique que Washington souhaite imposer au Vieux Continent. « Nous souhaitons que l’Europe demeure européenne, qu’elle retrouve sa confiance civilisationnelle et qu’elle abandonne son obsession stérile pour l’étouffement réglementaire », des souhaits que Viktor Orban, premier ministre d’extrême droite hongrois et principal allié de Donald Trump, ne renierait pas. Dans sa stratégie, Trump évoque également la restauration de la primauté de l’État-nation, voyant dans « l’influence croissante des partis patriotes européens un motif d’optimisme ».

### Réactions réservées des dirigeants européens

Pour l’instant, ce nouveau coup dans les relations transatlantiques laisse de marbre les dirigeants européens. Peu d’entre eux ont réagi. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Johan Wadephul, a déclaré que son pays n’avait pas besoin de « conseils venant de l’extérieur ».

La cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, a émis une réaction très mesurée, affirmant que les États-Unis « restent le plus grand allié » de l’Union européenne. « Nous n’avons pas toujours été d’accord sur différents sujets, mais je pense que le principe général reste le même. Nous sommes les plus grands alliés et nous devons rester unis, » a-t-elle ajouté.

Ce silence et cette grande prudence révèlent la situation délicate des Européens, qui ne peuvent se permettre de se fâcher avec leur principal partenaire commercial, un allié chargé de leur défense et acteur clé dans les négociations visant à mettre fin à la guerre en Ukraine.