Tunisie

Jeunes et réseaux sociaux : un défi pour la compétitivité tunisienne

Les Tunisiens passent désormais en moyenne 61 heures par mois sur Facebook, contre à peine 5 heures et 16 minutes consacrées à la lecture, d’après un sondage réalisé en mai 2025. L’État avance au rythme d’une lenteur qui confine au renoncement, ne proposant pas de politique de protection des mineurs ni d’observatoire des contenus.







Alors que la Tunisie réfléchit à ses leviers de croissance, de compétitivité et de souveraineté, une autre bataille, plus discrète mais tout aussi essentielle, se joue sur les écrans. Il s’agit de l’attention, de la formation de l’esprit et du contrôle des imaginaires.

Face à la dépendance aux plateformes, à l’économie du clic et au déclin de la lecture, l’impact des réseaux sociaux sur la jeunesse tunisienne soulève désormais une question centrale : celle du capital humain, de sa protection et de sa capacité à envisager l’avenir.

La Presse — Ce qui se déroule chez nous actuellement est d’une autre nature. Plus profond, plus silencieux, plus dévastateur. Une bataille souterraine où l’ennemi n’a ni visage ni drapeau, mais une puissance d’ingénierie redoutable : celle des algorithmes.

Nous assistons, impuissants ou distraits, à une reprogrammation méthodique de la conscience collective. Une jeunesse dont les désirs sont façonnés avant même qu’elle n’ait eu la chance de se découvrir. Des générations prises chaque jour par des contenus fluides, rapides et voraces, qui absorbent du temps, de l’attention et ce qu’il nous reste de pensée approfondie. Selon les dernières études, les Tunisiens passent désormais en moyenne 61 heures par mois sur Facebook, contre à peine 5 heures et 16 minutes consacrées à la lecture, selon un sondage réalisé en mai 2025.

Le véritable danger ne réside pas dans la futilité, mais plutôt dans son architecture. Le contenu est dangereux. La machine qui le produit l’est encore davantage.

Il s’agit d’une machine mondiale, froide et efficace, née de l’économie de l’attention et de l’ingénierie comportementale, un laboratoire psychologique devenu, en quelques années, la plus puissante arme d’influence de l’histoire moderne.

Dans cette économie du clic, l’être humain n’est plus un citoyen, ni un étudiant, ni un rêveur… Il devient une unité de temps vendue au plus offrant. Ses yeux sont une devise. Ses émotions, un carburant. Sa vulnérabilité, une rente.

Flux sans contrôle, médias décor

Pendant ce temps, la majorité des jeunes Tunisiens consomment chaque jour des contenus provenant de plateformes étrangères, sans contrôle, sans régulation structurée et sans garde-fous solides. Leur attention s’effrite, fragmentée en micro-séquences, aspirée par le flux constant des notifications.

Leur horizon culturel se rétrécit : la grande majorité des contenus les plus consommés relèvent du divertissement instantané, de la mise en scène de soi et de la reproduction virale, tandis que la réflexion, l’art et la connaissance restent marginales dans les usages dominants.

Nous ne perdons pas une bataille numérique. Nous perdons la bataille du sens !

Le rôle des médias aurait dû être de mettre en place une barrière. Ils ont choisi d’être un décor. Programmes creux, débats fantômes, contenus éphémères qui s’évaporent en cinq secondes.

Quant à l’école, elle ne transmet plus l’immunité, mais la vulnérabilité : aucune éducation numérique, aucune compréhension des logiques algorithmiques, aucune défense cognitive contre la toxicité du flux.

L’État avance, quant à lui, à une cadence qui frôle le renoncement. Pas de politique de protection des mineurs. Pas d’observatoire des contenus. Pas de stratégie reliant éducation, médias et recherche.

Nous laissons notre jeunesse exposée aux multinationales du contrôle mental, alors que nous nous transformons en spectateurs interloqués. Mais cette bataille n’est pas perdue.

Protégeons l’esprit de notre jeunesse

À l’instar de la Chine, la Tunisie pourrait se relever si elle acceptait enfin de déclarer l’état d’urgence du savoir et de la conscience, selon le chercheur Imed Aouissaoui. Si elle osait construire une stratégie nationale allant de la maternelle à la plateforme numérique.

Si elle créait un observatoire tunisien des algorithmes, une réforme éducative qui développe l’esprit plutôt que de le remplir, un véritable écosystème de contenu local capable de remplacer la starisation de la vacuité.

Il nous faut une loi intelligente qui protège, qui mesure la santé cognitive comme on mesure la tension. Il est essentiel de comprendre que la souveraineté ne se perd pas uniquement sur les frontières, mais aussi dans les notifications.

Le véritable péril n’est ni l’inflation, ni la pauvreté, ni le déficit. Le vrai péril, c’est de devenir un peuple qui pense à sa place, un avenir façonné pour nous, sans nous.

Si nous ne protégeons pas dès aujourd’hui l’esprit de notre jeunesse, il ne restera demain ni patrie, ni identité, ni souveraineté, ni même ce fragile rêve qu’est le futur. Le temps n’est plus à la complaisance. Le temps est à la bataille. Et il passe !