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Créativité et licences : Lego a-t-il terrassé Playmobil ?

En 2024, Playmobil a flirté avec les 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, quand Lego gravitait autour de 10 milliards. Selon Yves Cognard, président de l’institut d’études marketing Junior City, « Playmobil ne marche que chez les moins de 6 ans, quand Lego cartonne sur toutes les générations ».


Playmobil et Lego, deux acteurs apparemment familiaux dans l’univers des jouets ? Leur similitude est frappante : de petits figurines en plastique aux sourires figés qui ont accompagné tant d’après-midis à créer des aventures. Pourtant, comme le souligne Pierre-Louis Desprez, expert en imaginaire de marque au cabinet Kaos, « cela reviendrait à comparer une Ferrari et une 2 Chevaux ».

Place aux données. En 2024, Playmobil a atteint près de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, tandis que Lego se situait autour de 10 milliards. Cet écart, un rapport de 1 contre 20, était déjà présent il y a vingt ans, oscillant entre 4 et 5. À l’époque, nous ne mesurions pas réellement cet écart, mais il n’y a jamais eu de véritable compétition. Le déséquilibre est tel que deux experts du jouet ont décliné nos demandes d’interview, préférant ne pas s’en prendre à un acteur en difficultés.

Il s’agit plus d’une extermination que d’un combat de chevaliers. Pierre-Louis Desprez précise : « Contrairement aux apparences, Lego et Playmobil n’ont pas le même ADN. L’un se concentre sur la construction, l’autre sur la narration », fidèle à son slogan. Cette distinction est cruciale. La construction est intemporelle et nourrit l’ego. Un quadragénaire sera fier d’avoir construit son modèle Lego, tout comme il est satisfait d’avoir assemblé un meuble Ikea ou préparé une sauce maison.

« Il n’y a pas de fierté avec Playmobil », confie Pierre-Louis Desprez. L’aventure est davantage une affaire personnelle qu’une exposition. Même si vous jouez encore avec des Playmos, vous n’allez pas partager avec vos collègues l’histoire que vous avez inventée autour d’un prince et d’une princesse combattant un dragon. En revanche, présenter Notre-Dame de Paris, réalisée avec 4.383 briques et bien visible sur une étagère, est une autre affaire. En 2024, cette construction (229,99 euros) figurait parmi les dix meilleures ventes du géant danois.

L’an passé, Lego a lancé 149 produits pour adultes parmi un total de 850, soit 18 % de son offre, contre 16 % en 2023. En raison de la baisse de la natalité et de la montée des « kidults », les adultes captent une part significative du marché : 36 % des ventes de jouets en France en 2025 concernent les plus de 18 ans. « Playmobil ne se vend que chez les enfants de moins de 6 ans, alors que Lego prospère auprès de toutes les tranches d’âge », résume Yves Cognard, président de l’institut d’études marketing Junior City.

Pierre-Louis Desprez ajoute un autre facteur : « Playmobil a fait une erreur en se croyant une marque générationnelle, que les parents achèteraient à leurs enfants en se remémorant leurs propres souvenirs. »

Cependant, même chez les plus jeunes, Playmobil a perdu de son attrait. « C’est la vision stéréotypée et dépassée de la famille allemande parfaite des années 1960. La petite fille blonde, le garçon brun, le père et la mère radieux, cela ne correspond plus à la réalité », affirme l’expert. Yves Cognard souligne que dans le secteur des figurines pour enfants, la concurrence se renforce, notamment dans le domaine féminin, où Lego est presque seul.

« Les univers emblématiques des années 1980 et 1990, comme le far-west ou les pirates, ne séduisent plus les enfants. Les cow-boys et Indiens ont disparu de la culture enfantine. Quant aux pirates, « s’ils suscitent des rêves, c’est principalement grâce à One Piece. Et Lego détient la licence, pas Playmobil », conclut Yves Cognard.

Ceci explique le fossé grandissant, d’après l’expert. En 1999, Lego a acquis sa première licence : Star Wars. Cette année-là, les ventes de cet univers ont constitué un cinquième du chiffre d’affaires total de Lego. Depuis, la marque danoise a multiplié les collaborations fructueuses : Harry Potter, Pokémon, Minecraft, Marvel, Disney…

« Playmobil, qui souhaitait conserver ses aventures libres sans les encadrer dans des univers préétablis, a tardé à investir le marché des licences, et ce n’est qu’en 2017. La plupart des licences étaient déjà attribuées », explique Yves Cognard. Alors que Lego attire Pokémon et Disney, Playmobil doit se contenter d’Astérix et Scooby-Doo. Un autre inconvénient : « Avec le format de figurine Playmobil, même en faisant des efforts, Astérix ne ressemble pas à Astérix, tout comme Scooby-Doo ne ressemble pas à Scooby-Doo. »

Lego propose beaucoup plus de possibilités créatives. « On peut tout inventer et tout combiner grâce aux briques », s’enthousiasme Pierre-Louis Desprez. Les émotions y sont aussi plus variées : visages tristes, en colère, etc.

Il en va de même pour la diversité des licences : qui ne souhaiterait pas voir Harry Potter et Voldemort, chacun dans son vaisseau Star Wars, s’affronter dans l’espace ? En revanche, « il sera plus difficile d’imaginer une supérette et un château fort coexistant chez Playmobil. » Mais que les fans de Playmobil se rassurent : « Lego n’a pas seulement surpassé Playmobil, il a dominé tout le marché du jouet. »