Cyril Dion : « L’écologie n’est pas qu’un sujet d’écologistes »
Cyril Dion a déclaré : « Il faut arriver à la déposer à terre et à se dire ‘je ne peux pas sauver le monde avec mes petits bras, tout seul’. » Selon lui, plusieurs études scientifiques parlent désormais d’un milliard de morts d’ici à la fin du siècle à cause des conséquences du changement climatique.
**Pascal Claude : La lutte est au cœur de votre existence. Vous mentionnez vous être souvent « brûlé » par cet engagement. Comment peut-on éviter de se « brûler » en se battant ?**
**Cyril Dion :** Pendant longtemps, j’ai tout pris sur moi, pensant que j’avais une mission et que je devais faire la différence sur la question climatique. Cette culpabilité est écrasante. Il faut savoir la mettre de côté et se dire : « Je ne peux pas sauver le monde seul ». Il est essentiel de vivre aussi. Je le dis aux jeunes militants. Par exemple, j’ai conseillé à Camille Etienne, très engagée, de diversifier ses activités. Ne pas se limiter au militantisme. S’adonner à des passions qui nous font envie, car s’engager sans relâche peut être épuisant. Hier au Parlement européen, c’était un dialogue de sourds. On en sort épuisé.
**La lutte donne-t-elle vraiment envie de se lever le matin ?**
Je ne sais pas si vous seriez motivé pour lutter. Personnellement, je préfère me lever pour aimer, écrire, m’émerveiller et m’épanouir. Lutter est une nécessité imposée par l’état actuel du monde.
** »Lutter, c’est aussi réenchanter nos vies », écrivez-vous. Pensez-vous que l’on se répare en essayant de réparer le monde ?**
J’ai essayé cela pendant longtemps, mais ça ne fonctionne pas. Beaucoup de militants cherchent à réparer quelque chose en eux en croyant que réparer le monde les aidera. En réalité, cela complique les choses. On entre alors dans une dynamique sacrificielle, se levant chaque jour en pensant : « Il y a encore tant à faire ». Prendre soin de soi, c’est essentiel pour avoir de l’énergie à donner aux autres.
**Votre film *Demain* est sorti il y a dix ans. Quels changements avez-vous constatés en dix ans ?**
Les choses se sont détériorées. Il y a dix ans, lors de la COP21, les 195 pays présents avaient convenu de limiter le réchauffement à 1,5 degré d’ici la fin du siècle, et au pire à 2 degrés. On prévoit de dépasser les 1,5 degré entre 2027 et 2030, et les 2 degrés entre 2040 et 2050. Plusieurs études estiment qu’un milliard de morts pourraient survenir à cause des conséquences du changement climatique d’ici la fin du siècle. Les solutions proposées dans le film sont toujours d’actualité, hélas. Nous faisons face aux mêmes problèmes parce que les gouvernements prennent des décisions favorisant les 10 % les plus riches. Résoudre la question climatique nécessite des mesures impopulaires, comme réduire le nombre de voitures, diminuer la consommation de viande ou limiter les voyages en avion. Mais pour une population habituée à la surconsommation, cela risque d’être difficile.
**Si chaque personne devait adopter un mode de vie zéro déchet, combien de temps cela prendrait-il pour que cela devienne la norme ?**
Si vous demandez à chaque individu de vivre sans déchets, de faire ses courses avec des contenants réutilisables dans des magasins en vrac, nous y serons dans 100 ans.
**Pourquoi la politique des petits gestes peut-elle devenir un piège ?**
La question écologique est structurelle. Demander à chaque personne d’avoir un mode de vie zéro déchet est inefficace. Instaurer une loi interdisant le suremballage résoudrait le problème plus rapidement. Pour que cela se produise, il faut voter pour des décideurs courageux ou mettre suffisamment de pression sur les politiques. Il est crucial de ne pas se blâmer. Ce n’est pas de votre faute si vous devez prendre votre voiture pour votre travail en raison de l’urbanisme actuel.
**Vous dites : « Nous ne vivons pas véritablement en démocratie, mais la démocratie peut être notre unique espoir face aux crises écologiques ». Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?**
La démocratie signifie le pouvoir du peuple. En France et en Belgique, nous avons des démocraties représentatives où nous déléguons ce pouvoir. Ce système pourrait fonctionner si nos représentants suivaient la volonté populaire. Cependant, les décisions des gouvernements privilégient souvent l’élite économique. D’autres formes de représentation et de pratique démocratique doivent être explorées. Dans notre film, nous rencontrons des personnes qui pratiquent la démocratie délibérative et directe. Par exemple, le « jugement majoritaire » permet aux électeurs de donner des mentions à chaque candidat, plutôt que de choisir un seul. Cela pourrait refléter les véritables préférences de la population, contrairement à l’élection présidentielle où une majorité peut rapidement se retourner contre le président élu.
**Dans un monde inhabitable, il ne reste plus de place pour l’économie. La priorité est la préservation de la biosphère.**
En effet, si les conditions de vie sur la planète se dégradent, l’économie devient impossible. La préservation de la biosphère est primordiale. C’est grâce à son existence que l’humanité existe.
**Comment commencer à agir contre la catastrophe climatique ?**
On commence par soi-même. Chaque jour, il faut se poser la question de ce que l’on veut bâtir, que ce soit à travers notre alimentation, nos déplacements ou notre travail. Une fois que vous avez cette vision, il faut s’efforcer d’y être cohérent et participer à des mouvements collectifs pour créer de la pression sur les multinationales et élus.
** »Les écologistes ont pour l’instant échoué à mobiliser largement. » Pourquoi selon vous ?**
Votre manière d’énoncer la question explique pourquoi nous éprouvons des difficultés. Tant que l’écologie est perçue comme le domaine des écologistes, le changement sera limité. L’écologie ne doit pas être un souci uniquement pour un groupe, mais un enjeu collectif. Après la sortie du film *Demain*, de nombreuses personnes ont changé leurs habitudes. Il y a eu une mobilisation sans précédent en 2016 et 2020, mais actuellement, nous faisons face à un phénomène de backlash similaire à celui des années 80 lorsque l’écologie a été balayée par des intérêts économiques. Les grands groupes ont investi pour semer le doute sur la réalité du changement climatique. Aujourd’hui, des sommes considérables sont dépensées pour propager des messages contre les écologistes et pour la continuité de la surconsommation. Les ONG et la société civile n’ont pas les moyens financiers pour rivaliser sur le plan médiatique, ce qui complique la situation.
**Malgré tout, vous gardez espoir et vous dites que l’espoir est une forme d’action. Pourquoi ?**
L’espoir est intrinsèque à la nature humaine. Même si la vie est désespérante, personne ne se lève le matin en se disant « c’est foutu ». Au contraire, c’est cette brièveté de l’existence qui nous pousse à donner un sens à notre vie.
**Retrouvez l’intégralité de l’entretien de Cyril Dion en podcast !**

