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Donald Trump souhaite un « deal » avec la RDC et le Rwanda ce jeudi.

Cette rencontre s’inscrit dans un processus diplomatique plus large, à trois volets, qui vise à mettre un terme à la guerre sanglante à l’est de la RDC, où les rebelles de l’AFC/M23, soutenus par le Rwanda, occupent depuis janvier une large partie des deux Kivu. Les rebelles de l’AFC/M23 contrôlent toujours les grandes villes de Goma et de Bukavu ainsi que plusieurs axes du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.


Cette rencontre s’inscrit dans un cadre diplomatique plus large, en trois volets, visant officiellement à mettre fin à la guerre sanglante à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), où les rebelles de l’AFC (Alliance fleuve Congo, branche politique) et du M23 (branche armée), soutenus par le Rwanda, occupent depuis janvier une grande partie des deux Kivu, région frontalière entre les deux pays.

À côté des volets sécuritaire et économique, portés par un « accord de paix » et un accord-cadre d’intégration, un volet sécuritaire intra-congolais indispensable a été ajouté : Kinshasa et les rebelles du M23 ont signé, à la mi-novembre à Doha, au Qatar, une feuille de route préalable à un accord de paix, comprenant un « cessez-le-feu permanent ».

Sur le plan théorique, ces objectifs de « paix » semblent louables. « Ça traite la question centrale qui est au cœur de cette région troublée : la question de la guerre économique », analyse Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), « c’est donc une tentative de mettre fin à cette guerre économique ».

Cependant, la question de la faisabilité de ces objectifs se pose. « C’est un processus en trois temps. Il y a trois accords qui sont censés se suivre pour déclencher une dynamique de paix dans la région des Grands Lacs. C’est donc complexe », reconnaît le chercheur. « Cela nécessite que ces trois temps fonctionnent et que les signataires respectent leurs engagements. Ce qui a souvent été démontré comme étant peu crédible dans la région ».

À ce jour, ces initiatives n’ont pas réussi à faire taire les armes sur le terrain.

Les affrontements ont repris entre le M23 et l’armée congolaise. Les rebelles de l’AFC/M23 contrôlent encore les grandes villes de Goma et de Bukavu, ainsi que plusieurs axes du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Chacune des parties s’accuse mutuellement de violer le cessez-le-feu. Pour Paul Kagame, « c’est bien cela qui retarde les choses… »

Les deux pays voisins s’étaient engagés à répondre à un certain nombre de préoccupations en matière de sécurité. Kigali devait retirer ses troupes de la RDC et cesser de soutenir les rebelles de l’AFC/M23. Kinshasa devait, quant à elle, neutraliser les milices, telles que les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), héritières des génocidaires Hutus rwandais ayant fui au Congo après le génocide de 1994, et les Wazalendo (“Patriotes”), d’ex-milices criminelles. Kinshasa continue d’utiliser ces milices dans l’armée congolaise pour lutter contre le M23, ce qui constitue une menace pour Kigali, qu’elle utilise comme prétexte.

Rien n’a bougé. Chacun s’accuse de ne pas respecter les étapes de la mise en œuvre de cet « accord de paix ».

Qu’est-ce qui pousse Donald Trump à inciter la RDC et le Rwanda à conclure un « accord de paix » dans son bureau ovale ? De véritables objectifs louables ?

En réalité, la sécurité des Congolais semble secondaire, tant les enjeux économiques dans cette région des Grands Lacs, riche en minerais stratégiques, sont considérables.

La menace des FDLR n’est qu’un prétexte. « Ça fait des années que c’est un prétexte », note Thierry Vircoulon. « L’armée rwandaise n’est pas menacée par les FDLR, qui ne comptent pas plus de 2000 combattants. Elle a démontré militairement qu’elle était la plus forte dans la région. Le problème vient du fait que les accords miniers passés entre Kigali et Kinshasa n’ont pas été respectés ».

En soutenant l’AFC/M23, Kigali profiterait de l’instabilité de la zone pour mieux exploiter ses richesses minières. Selon les Nations Unies, des milliers de tonnes de métaux rares – or, coltan, étain ou tantale – sont dérobées par le M23 avant d’être acheminées vers le Rwanda pour y être exportées illégalement.

À l’opposé, Washington cherche à stabiliser cette zone stratégique pour garantir le traitement et la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement en matières premières critiques telles que le cobalt, le cuivre, le lithium, l’or et le tantale. Dans la course mondiale vers le développement des technologies avancées (transition écologique, communications, défense…), ces matières premières sont cruciales pour les États-Unis.

L’accord d’intégration économique prévoit donc – à terme – une collaboration entre les deux pays voisins sur les chaînes d’approvisionnement en minerais. Il s’agit concrètement de régulariser un secteur gangrené par les pillages liés aux conflits, dans une région où plus d’une centaine de groupes armés sévissent et où l’État congolais est quasiment absent.

La RDC dispose de la majorité des ressources minières ; le Rwanda offre les infrastructures et les compétences techniques pour les exploiter.

Pour faciliter ce circuit, les Américains appellent à une « chaîne de valeur transparente » entre les deux pays. Ils promettent des investissements importants, s’élevant à plusieurs milliards de dollars, dans des projets d’infrastructures et dans des mines, notamment à Manono dans le Tanganyika, où se trouverait la plus grande réserve de lithium d’Afrique. La mine de coltan de Rubaya, actuellement sous contrôle du M23, les intéresse également…

Sans paix, tous ces projets ne sont que des vœux pieux pour les Américains et les Occidentaux. La Chine, en revanche, a déjà une longueur d’avance dans le secteur minier en RDC, en particulier au Katanga.

De nombreux experts observent ces accords avec beaucoup d’intérêt et prudence : « Il faut beaucoup de conditions pour que ces accords soient gagnant-gagnant », analyse Sasha Lezhnev, conseiller en politique américaine pour l’Afrique chez Sentry. « Cela inclut la transparence, la responsabilité, le retrait du M23… »

Le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018, critique ces accords. « Envisager une intégration économique et une cogestion des ressources naturelles avec un État qui est responsable du pillage des ressources minières et de crimes, sans parler de justice et de réparations, est inconcevable pour la population congolaise ».

Certains observateurs craignent également que dans ce projet d’intégration, le Rwanda n’accapare une part plus importante des investissements, profitant de son avance en matière d’attractivité pour les capitaux étrangers, grâce à des atouts tels que la sécurité juridique, la qualité de l’administration et la lutte contre la corruption.

« Le président a toujours souhaité cette intégration régionale », assure la porte-parole de Félix Tshisekedi, Tina Salama, « mais le respect des accords implique le respect de la souveraineté de notre pays, le retrait des troupes rwandaises du territoire congolais et le rétablissement de la confiance mutuelle ».

C’est Félix Tshisekedi qui a proposé à Washington de faire un « deal » sur les minerais critiques. « Quand il a vu que Donald Trump faisait un deal avec Zelensky sur les minerais critiques en Ukraine », raconte Thierry Vircoulon, « il a voulu jouer aussi cette carte en disant au président américain, nous aussi, nous avons plein de minerais, donc pourquoi ne pas faire un deal avec nous ? ».

En échange de la fourniture de ces matières premières aux Américains, Félix Tshisekedi espérait rallier Washington à sa cause contre le Rwanda, mettre en accusation Kigali pour son soutien à l’AFC/M23, et rétablir la sécurité autour des mines.

Au lieu de cela, Kigali a gagné la confiance des Américains et pourrait devenir un partenaire économique essentiel pour Washington.

Kinshasa, de son côté, brille par son impuissance et son incapacité à reprendre le contrôle de ses territoires. Dans ce « deal » avec Washington, elle peut seulement permettre à Paul Kagame de traiter les minerais issus du Congo.