Les libraires d’Angoulême tentent de « sauver leur peau » après l’annulation du Festival de la BD.
La 53e édition du Festival international de la bande dessinée n’aura pas lieu, une première depuis sa création en 1974. Les commerces de bouche s’attendent aussi à souffrir de l’absence d’édition officielle, car pendant le festival, ils reçoivent dix à quinze fois plus de clients qu’habituellement.
À Angoulême,
Le temps gris et pluvieux ne fait pas que ternir l’ambiance des rues d’Angoulême ce mardi. Depuis environ trois semaines, le secteur local de l’édition est informé que la 53e édition du Festival international de la bande dessinée n’aura pas lieu. « On passe nos journées à en discuter, surtout dans une librairie spécialisée en mangas et BD », raconte à 20 Minutes un magasin du centre-ville. Lundi, la confirmation a été donnée. L’événement, qui attire chaque année 200.000 visiteurs désireux de rencontrer des auteurs du monde entier, est annulé, une première depuis sa création en 1974 (en dehors du Covid). Seul le « off » est maintenu.
Malgré tout, un petit groupe de libraires indépendants, fortement dépendants du festival, a choisi de ne pas se laisser décourager. Ils ont remis à l’organisateur 9e Art + la gestion des critiques concernant l’opacité et la dérive commerciale du festival, et se sont concentrés sur l’organisation d’un événement alternatif. « Début janvier approche, c’est imminent », souligne Pascal Dulondel, directeur de la librairie indépendante Cosmopolite. « Nous avons déjà commencé à élaborer une belle proposition, car rester inactifs est impensable pour nous ».
« Éviter une perte de 230.000 euros »
« Pendant les quatre jours du festival, nous réalisons l’équivalent d’un mois et demi de chiffre d’affaires, c’est crucial », confie une libraire anonyme, qui s’interroge sur le recrutement supplémentaire prévu pour la période. La librairie Cosmopolite vend, en moyenne, 14.000 bandes dessinées durant ces quatre jours, à la fois sur son site et à travers des stands disséminés dans la ville. « Nous avons calculé que ce serait une perte énorme de 230.000 euros pour nous, déclare Pascal Dulondel. Et nous ne comptons pas nous dire fin janvier que c’est inévitable et que nous ne pouvons rien faire ».
Plus déterminés que jamais, Cosmopolite, en collaboration avec d’autres librairies indépendantes du centre, a contacté des auteurs depuis environ un mois, dont beaucoup ont répondu positivement. « Nous souhaitons simplement préserver notre activité et avons besoin que les auteurs se mobilisent », résume le directeur. Avec le soutien de la mairie d’Angoulême, des rencontres, conférences et concerts devraient être organisés dans des espaces publics initialement prévus pour le festival à ces dates. « Nous parlons d’environ une centaine d’auteurs », précise Pascal Dulondel.
« Rien à voir avec d’habitude »
Les commerçants de la restauration s’attendent également à un impact négatif dû à l’absence de l’édition officielle. « Pendant le festival, nous avons des journées exceptionnelles avec dix à quinze fois plus de clients que d’habitude », explique Pierre-Louis Vedraine, chef de rang à la brasserie Bouillon Saint Martial, tout en restant dubitatif quant à l’offre alternative proposée par les libraires. « Cela pourrait attirer un peu de monde, mais cela n’aura rien à voir avec d’habitude, estime-t-il. Le festival est vraiment le plus grand événement de la ville ».
Dans les rues d’Angoulême, il est impossible d’échapper aux références au 9e art : les noms de rues, les graffitis rendant hommage à des planches célèbres, et les nombreux étudiants de Magelis, le pôle économique de la filière image. Capitale mondiale de la bande dessinée, Angoulême a également été reconnue, depuis octobre 2019, comme membre du réseau des villes créatives de l’UNESCO, dans le domaine de la littérature.
Aucune inquiétude ne semble planer sur la pérennité du festival. « En ce moment, nous faisons notre travail de libraire, mais j’espère que tout cela sera réévalué et que la situation s’apaisera pour les prochaines éditions », avance Pascal Dulondel.
Tous les habitants ressentent également cette préoccupation. « C’est dommage pour la ville dans son ensemble », déclare une commerçante. Cette trentenaire, propriétaire de L’Artboratoire, une boutique d’artisanat située rue René-Goscinny, arbore sur sa façade quelques citations de l’auteur, dont la célèbre « ils sont fous ces Romains ! » qui semble illustrer l’humeur actuelle de la capitale charentaise.

