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Mercenaires colombiens : attirés par l’appât du gain en Ukraine et au Soudan.

Des estimations indiquent qu’entre 1.500 et 2.000 militaires de formation seraient présents en Ukraine, selon Daniel Rojas. Au moins 64 Colombiens seraient morts et 122 autres disparus en Ukraine, au dernier bilan de février 2025, avance le ministère des affaires étrangères colombien.


Ils possèdent de l’expérience, des compétences et rencontrent des difficultés à se réinsérer dans leur pays. Des anciens soldats colombiens cèdent alors à la tentation de gains financiers en acceptant de combattre à l’étranger contre un salaire élevé.

Ce phénomène existe depuis des dizaines d’années, avec des mercenaires colombiens en Afghanistan et dans les Balkans dans les années 1990. Ils se trouvent aussi en Haïti, au Yémen ou en Irak, et récemment, de plus en plus souvent, en Ukraine et au Soudan.

### Un savoir-faire de terrain

Depuis les années 1960, avec la création de groupes armés marxistes, puis de groupes paramilitaires dans les années 1980, suivie de la formation des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et des cartels paramilitaires (BACRIM), le pays d’Amérique latine est confronté à des conflits internes particulièrement meurtriers. Ces militaires sont souvent des professionnels entraînés, tels que des officiers ou des soldats issus des forces d’opérations spéciales. Ils disposent donc d’une expérience de terrain monnayable et d’une « grande expertise des activités de contre-guérillas », souligne Pierre Gerstlé, directeur des relations internationales à l’Universidad Externado de Colombia.

Ces qualités sont précieuses pour combattre sur des théâtres asymétriques comme en Ukraine ou au Soudan. Leurs profils sont recherchés par des sociétés privées basées à Dubaï ou à Abou Dhabi, rappelle Daniel Rojas, maître de conférences en histoire et civilisation de l’Amérique latine contemporaine à l’Université Grenoble Alpes.

C’est le cas de la société colombienne Academy for Security Instruction (A4SI), qui envoie ces anciens militaires au Soudan pour combattre aux côtés des Forces de soutien rapide (FSR), selon le quotidien colombien *La Silla Vacia*. En Ukraine, ces Colombiens, formés par l’armée, font officiellement partie des volontaires étrangers, mais sont en réalité bien rémunérés pour participer à l’effort de guerre et renforcer les rangs de l’armée ukrainienne qui se clairsemée, affirme Pierre Gerstlé.

### L’argument en or

Les mercenaires colombiens peuvent utiliser leurs « capacités d’organisation logistiques et tactiques », explique Pierre Gerstlé, selon qui certains militaires restent dans l’armée active mais la quittent, attirés par ces avantages financiers. « Il y a une réelle fuite des talents militaires », que l’armée colombienne « gère très mal », assure-t-il. Malgré l’aspect illégal du mercenariat, le gouvernement colombien n’arrive pas à empêcher ces départs. « Sans perspective d’avancement, notamment pour devenir général, de nombreux officiers sont tentés par les entreprises privées », ajoute Pierre Gerstlé.

De nombreux militaires ont entre 35 et 45 ans, sont à la retraite ou en reconversion professionnelle. Principalement issus de milieux populaires et originaires de tout le territoire colombien, ils éprouvent des difficultés à trouver un emploi dans le civil car ils « ne savent que combattre », selon Daniel Rojas. Les sociétés privées leur proposent des salaires bien supérieurs à ceux qu’ils pourraient espérer dans leur pays. Démarchés par ces entreprises, ils peuvent également obtenir des informations via des réseaux d’anciens combattants, notamment sur WhatsApp dans des groupes dédiés, souligne Daniel Rojas.

Dans l’armée régulière, les salaires s’élèvent à environ 500 euros par mois. Ceux offerts par les sociétés privées peuvent atteindre jusqu’à 3 000 euros par mois « pour le même travail », note Pierre Gerstlé. Ces mercenaires peuvent également bénéficier d’assurances-vie pour eux et leurs familles, et être payés jusqu’à 200 dollars de l’heure selon la dangerosité du conflit, précise César Niño González, professeur en Relations internationales à l’Université La Salle à Bogotá. C’est tout le principe du mercenariat : « se battre pour de l’argent », résume Pierre Gerstlé. « Pas pour une idée ou un drapeau », complète Daniel Rojas.

### Au prix de leur vie

Étant donné qu’il s’agit d’une activité illégale marquée par une grande opacité, aucun chiffre officiel ne circule sur le nombre de Colombiens partant pour des zones de guerre à l’étranger. Toutefois, des estimations existent. Entre 1 500 et 2 000 militaires de formation seraient présents en Ukraine, d’après Daniel Rojas. Bien davantage, selon un commandant d’une brigade de la Garde nationale ukrainienne. « Peut-être des centaines de Colombiens ont fait partie de notre brigade. Mais environ 7 000 sont passés par les forces armées ukrainiennes », estime-t-il dans les colonnes du *Kyiv Post*. Au Soudan, ils seraient entre 350 et 400 à s’être engagés depuis 2024.

Tous ces choix comportent le risque de perdre la vie. En août dernier, un avion des Émirats arabes unis convoyaient des mercenaires colombiens a été pris pour cible par l’armée soudanaise. Au moins 40 militaires ont été tués. Impossible de donner un chiffre officiel des pertes. Le ministère des Affaires étrangères colombien avance néanmoins qu’au moins 64 Colombiens seraient morts et 122 autres portés disparus en Ukraine, selon le dernier bilan de février 2025.

En plus de risquer leur vie, le mercenariat peut les conduire à violer le droit international. En tant qu’instructeurs, ils peuvent se retrouver à entraîner des unités recourant des mineurs, notamment au Soudan. Ils pourraient également être accusés de crimes de guerre. Un prix à payer pour gagner mieux sa vie.