Belgique

541 jours sans gouvernement à Bruxelles : analyses de Picqué et Gosuin

Depuis les élections régionales du 9 juin 2024, Bruxelles ne dispose pas de gouvernement, cumulant ainsi 541 jours sans gouvernement ce mardi. Charles Picqué et Didier Gosuin, deux anciens politiciens bruxellois, analysent cette crise politique en insistant sur l’importance de la responsabilité des partis à établir un gouvernement.


Le 9 juin 2024 se tenaient les élections régionales, mais depuis, un gouvernement ne s’est toujours pas constitué à Bruxelles. Nous en sommes maintenant à 541 jours, un nouveau record. Pour discuter de cette crise politique sans précédent, deux figures historiques de la politique bruxelloise, Charles Picqué et Didier Gosuin, ont été invités par la rédaction bruxelloise de la RTBF.

Charles Picqué, ancien ministre-président de la Région bruxelloise de 1999 à 2013 et Didier Gosuin, ancien membre du premier gouvernement bruxellois en 1989, sont aujourd’hui à la retraite. Picqué avance que la crise actuelle pourrait être attribuée à un problème de générations.

« Nous devons toujours veiller au bien commun », rappelle-t-il.

« Nous n’avons plus ici à bord la génération qui a voulu la Région bruxelloise. Didier Gosuin se souvient des défis de l’époque, où il fallait défendre Bruxelles face aux offensives flamandes. Je me rappelle des Flamands arrivant à Bruxelles avec tambours et drapeaux et ces marches sur la ville. Nous nous mobilisions pour obtenir plus d’autonomie, car nous étions maltraités par le fédéral. Aujourd’hui, les responsables politiques n’ont pas trouvé la capacité de dialoguer. Il est crucial de garantir le bien commun et le bien-être de la population. Les politiques doivent également prendre en compte l’intérêt de l’institution qu’ils représentent. »

La Région bruxelloise est un enjeu majeur pour le pays tout entier, à la fois comme levier économique et comme facteur de paix communautaire et linguistique, souligne Picqué.

Didier Gosuin rappelle quant à lui un principe démocratique : « Les partis qui ont gagné les élections ont l’obligation morale de constituer une majorité. » Lors des élections de juin 2024, les gagnants étaient le MR et le PS. Leur incapacité à s’entendre est due, selon lui, à la campagne électorale.

« La campagne électorale a été, selon moi, l’une des pires. Les véritables enjeux de Bruxelles n’ont pas été abordés. D’un côté, un parti a flatté un électorat conservateur, et de l’autre, certains ont stigmatisé cet électorat. Cela rendait les discussions et les compromis impossibles. La responsabilité incombe à la manière dont la campagne a été menée et à l’incapacité de se rassembler pour parvenir à un accord. Une coalition entre le PS et le MR n’est pas impossible, puisque ces partis ont déjà collaboré au niveau fédéral. Cependant, cette élection a créé des schismes. Les leaders de ces électorats n’osent pas réduire leurs ambitions. C’est un problème d’ego qui nuit à l’intérêt général. »

La crise politique à Bruxelles a vu plusieurs acteurs de premier plan, dont David Leisterh, qui aurait dû devenir ministre-président avant de se retirer. Selon Didier Gosuin, « je pense qu’il n’avait pas la force, ni la carrure pour ce rôle. Être ministre-président de la Région bruxelloise nécessite de pouvoir s’élever au-dessus des partis. »

Charles Picqué ajoute que « David Leisterh était trop lié à Georges-Louis Bouchez, ce qui ne favorisait pas son indépendance. Nous ne saurons jamais s’il aurait été un bon ministre-président. » Il évoque également les complications de négocier avec des personnalités ayant des histoires et origines différentes.

Georges-Louis Bouchez, le président du MR, a relancé les négociations après le désistement de Leisterh. « Il a souvent été maladroit dans ses discours, ce qui aggrave la situation », note Picqué. Pour Gosuin, Bouchez est un « chef de bande » qui « insulte et stigmatise » et qui ne connaît pas Bruxelles.

Ahmed Laaouej, chef de file du PS bruxellois, est reconnu pour son intelligence, mais il a commis une erreur en polarisant son électorat. Picqué estime qu’il aurait dû dialoguer avec la N-VA, soulignant que cela aurait pu créer une dynamique constructive.

Didier Gosuin fait également référence à « un coup de force du MR et du PS » sur le dossier de la zone de basse émission, qui a conduit à l’humiliation de Groen. Cette longue période sans gouvernement ternit l’image de Bruxelles, déjà affectée par des problèmes financiers, de sécurité et de mobilité, que Picqué qualifie de « catastrophique ». Il appelle à considérer la situation de Bruxelles comme une affaire d’État, impliquant les partis à l’échelle nationale.

Pour Gosuin, « 541 jours, c’est inimaginable et incompréhensible. Après des élections, il y a l’obligation de trouver un accord. L’incapacité des dirigeants à s’entendre affecte gravement la crédibilité de Bruxelles ». Il rappelle que la situation antérieure à 1989, où Bruxelles était sous tutelle fédérale, est à éviter.

Picqué suggère que les partis doivent trouver des « trophées » pour justifier leur participation au gouvernement, une approche qui pourrait faciliter les négociations et remettre Bruxelles sur la bonne voie.