France

Ces Françaises qui grugent ou partent à l’étranger pour congeler leurs ovocytes.

Depuis 2021, la loi française autorise toutes les femmes, de leur 29ᵉ à leur 37ᵉ anniversaire, à congeler leurs ovocytes sans raison médicale. Selon l’Agence de la biomédecine, plus de 42.000 demandes de première consultation ont été enregistrées depuis 2021.

Une avancée… théorique. Depuis 2021, la loi française permet à toutes les femmes, entre leur 29ᵉ et 37ᵉ anniversaire, de congeler leurs ovocytes sans nécessité médicale. L’objectif est d’augmenter leurs chances de devenir enceintes plus tard, car la fertilité diminue avec l’âge. Bien que ce droit ait été largement soutenu par Emmanuel Macron, qui a appelé à un « réarmement démographique », dans les faits, de nombreuses femmes y font face à des obstacles.

Alors que les Françaises attendent de plus en plus longtemps pour avoir des enfants, les demandes de conservation de leurs ovocytes ont explosé. Depuis 2021, plus de 42.000 demandes de première consultation ont été enregistrées, selon l’Agence de la biomédecine. Le gouvernement n’ayant pas anticipé cette situation, les centres sont saturés, particulièrement dans les grandes villes. Dans leur volonté de devenir mères plus tard, certaines femmes cherchent à contourner ces difficultés en mentant sur leur région de résidence ou en se rendant à l’étranger. À l’occasion du mois de sensibilisation à l’infertilité, elles partagent leurs expériences.

Près de trois ans d’attente

En Ile-de-France, les 16 centres autorisés ne proposent plus de rendez-vous et ne permettent même pas d’inscription sur une liste d’attente. La région parisienne « représente 54 % des demandes enregistrées », selon l’agence de la biomédecine, mais d’autres régions sont également touchées par cette saturation.

« Sur les 42 centres français contactés, il faut patienter en moyenne 17 mois pour obtenir un simple rendez-vous d’information. Dans 50 % des centres, ce délai atteint même 24 mois, confirme Dounia Boutaleb », cofondatrice de WoMa Health, une entreprise spécialisée dans l’autoconservation en Espagne, ayant réalisé en février une enquête sur les délais d’attente. « Après le rendez-vous, il y a de nouveau un délai de 12 à 18 mois avant de pouvoir procéder à la ponction. » Cela représente donc un délai total d’environ trois ans.

Mentir sur sa région d’habitation

Nelly, 32 ans, en a fait l’expérience l’année dernière. Après plusieurs refus des centres d’Ile-de-France, la Parisienne décide de ne pas abandonner. Parmi ses amies vivant dans la capitale, certaines ont réussi à se rendre dans des régions moins sollicitées, en Picardie notamment, pour congeler leurs ovocytes. Nelly, ayant grandi à Reims où ses parents résident toujours, tente cette option.

« L’hôpital refusait catégoriquement de prendre en charge les profils externes parce qu’ils étaient submergés par les candidatures de Parisiennes après le Covid et commençaient également à être saturés », explique-t-elle. « 85 % des centres refusent de prendre des femmes qui ne résident pas dans la région », confirme Dounia Boutaleb, s’appuyant sur son enquête.

« On m’a fait passer un interrogatoire »

Déterminée à aller jusqu’au bout, Nelly appelle le CHU de Reims et prétend résider dans la ville marnaise. « On m’a fait subir un interrogatoire. J’ai dû fournir mon adresse à Reims en disant que je faisais du télétravail avec des allers-retours à Paris. »

Pour pouvoir suivre la procédure au CHU de Reims, où les délais sont beaucoup plus courts, Nelly doit être inscrite à la Caisse d’assurance maladie du département. Elle modifie donc ses informations sur le site d’Ameli en quelques clics, sans avoir besoin d’un justificatif de domicile. « C’est très simple de changer l’adresse de la carte Vitale. » La jeune femme repasse ensuite un entretien avec la secrétaire, qui lui demande combien de temps il lui faut pour se rendre au CHU. Nelly a la chance d’avoir grandi à Reims et connaît bien la ville. Une amie a voulu l’imiter, mais n’a pas pu se convaincre de mentir sur sa vie.

Le faire en Espagne

Solène*, également Parisienne, raconte : « J’ai une amie qui appelait les centres tous les jours pour obtenir un rendez-vous. Je n’avais pas la force de me battre pour cela. » À ce moment-là, elle rencontre une femme qui vient de congeler ses ovocytes en Espagne. Elle se renseigne et opte pour cette solution. « Si je n’avais pas croisé cette fille, j’aurais tout abandonné. »

A 31 ans, Leila* a aussi décidé de partir à l’étranger en 2024. Après avoir essuyé de nombreux refus, le jugement de sa gynécologue l’a convaincue : la médecin lui conseillait de se « mettre en couple » pour avoir « un enfant naturellement. » La Parisienne choisit donc l’Espagne, effectuant tous les examens avec sa gynécologue à l’hôpital américain de Neuilly avant de prendre l’avion en novembre pour procéder à la ponction.

Une inégalité financière

Bien que l’autoconservation de gamètes en France soit entièrement remboursée par l’Assurance maladie, ce n’est pas le cas dans d’autres pays européens. En moyenne, une Française devra débourser environ 1.000 euros en Espagne, sans compter les frais de voyage et les 200 euros pour le renouvellement annuel de congélation. « Dans notre clinique espagnole, le coût est de 2.800 euros, dont 1.970 euros sont remboursés par la Sécurité sociale française », précise la cofondatrice de WoMa Health. Ce remboursement étonne, étant donné que très peu de cliniques privées françaises sont autorisées à réaliser ces congélations d’ovocytes.

« J’ai des revenus assez confortables donc je peux me le permettre, reconnaît Leila. Je vais même procéder à d’autres ponctions à mes frais pour multiplier mes chances de concevoir. » La trentenaire est consciente que tout le monde ne peut pas en faire autant, soulignant une réelle « inégalité ». Solène, quant à elle, doit refaire une ponction car la première n’a pas donné de résultats satisfaisants. « Il faut prendre en compte le fait que cela peut ne pas fonctionner », rappelle-t-elle. Et même si les ovocytes congelés sont de bonne qualité, rien n’assure que la future insémination aboutisse à une grossesse.