ChatGPT fête ses trois ans : qui sont les « végans de l’IA » ?
Plus de 800 millions de personnes utilisent ChatGPT chaque semaine dans le monde. Selon une enquête de Talent Trends Survey, presque 50% des employés belges manient les outils d’intelligence artificielle générative à la ChatGPT, Microsoft Copilot ou Midjourney au quotidien.
Plus de 800 millions de personnes utilisent ChatGPT chaque semaine dans le monde. Depuis son lancement, il y a trois ans, l’agent conversationnel d’OpenAI continue d’attirer de nouveaux utilisateurs.
Cependant, en Belgique, certains choisissent délibérément de ne pas adopter l’intelligence artificielle (IA). David Joyner, un chercheur américain de l’Institut Technologique de Georgie, les appelle les « véganes de l’IA ».
Cette attitude envers l’IA peut être par analogie à celle des végétaliens ; si certaines réticences rappellent des inquiétudes concernant d’autres technologies, d’autres raisons semblent propres à l’IA et s’apparente à certains motifs des personnes choisissant de ne pas consommer des produits d’origine animale.
Quelles sont les raisons qui poussent certains Belges à éviter ChatGPT et l’IA en général ? Enquête.
## « Garder [son] libre arbitre »
« J’essaie de garder mon libre arbitre », confie Ingrid, qui « n’a jamais consulté ChatGPT ». Pour cette employée de banque, l’IA ne représente pas un outil bénéfique sur le plan intellectuel. « Si on délègue tout à l’IA, on n’aura plus de sens critique et de jugeote », redoute cette quinquagénaire, qui « préfère privilégier les livres quand [elle] doit effectuer des recherches ».
Des études récentes renforcent les craintes d’Ingrid. Une recherche publiée en avril 2025 conclut que « si l’IA générative peut améliorer l’efficacité des travailleurs, elle peut également freiner leur engagement critique dans leur travail et potentiellement conduire à une dépendance excessive au long terme à cet outil, tout en diminuant leur capacité à résoudre des problèmes de manière indépendante ».
Les auteurs de l’étude pointent une baisse de la réflexion chez les utilisateurs d’IA générative, comme ChatGPT, due à l’influence de ces outils sur leurs tâches quotidiennes : « lors de l’utilisation d’outils d’IA générative, l’effort investi dans la réflexion critique passe de la collecte d’informations à la vérification des informations, de la résolution de problèmes à l’intégration des réponses de l’IA, et de l’exécution des tâches à la gestion des tâches. »
> *Un piège dans lequel on ne sait plus réfléchir*
Téo, 18 ans, exprime une opinion similaire. « Utiliser ChatGPT, c’est risquer de tomber dans un piège dans lequel on ne sait plus réfléchir ». Cet étudiant en communication à la Haute École Provinciale Condorcet évite donc d’y recourir, tout en se sentant « un peu seul dans sa classe » sur ce point. Notamment parce que la tranche d’âge des 18-34 ans représente la majorité des utilisateurs (56,61%) de ChatGPT.
## « Ça pollue énormément »
Jean, 29 ans, partage également cet avis. Il refuse d’utiliser l’IA, en particulier parce que « ça pollue énormément ».
En effet, quelques interactions avec ChatGPT-4 émettent 272 grammes d’équivalent CO2 (eqCO2), selon un comparateur développé par l’association Gen AI impact et l’application Ecologits. Dix conversations par jour peuvent générer une tonne d’eqCO2 en un an, ce qui représente « la moitié de ce qu’il ne faudrait pas dépasser chaque année en 2050 pour respecter l’Accord de Paris sur le climat et limiter le réchauffement à moins de deux degrés avant la fin du siècle (deux tonnes par humain et par an) », selon le média Vert.
L’IA nécessite également beaucoup d’eau pour refroidir les centres de données. ChatGPT consomme une bouteille d’eau pour chaque série de 20 à 50 questions, selon une étude de 2023. Ces données, déjà obsolètes depuis le passage à ChatGPT-4, qui demande encore plus d’eau, soulignent la hausse des besoins.
À terme, les infrastructures liées à l’IA pourraient consommer six fois plus d’eau que le Danemark, qui compte près de six millions d’habitants, selon une étude publiée en mars 2025.
> *Je rêve d’un monde dans lequel nos enfants verront des animaux et pas des fermes à serveurs*
L’Agence internationale de l’énergie (IEA) prévoit que les émissions de CO2 liées à la production d’électricité pour les centres de données atteindront un pic d’environ 320 millions de tonnes d’équivalent CO2 d’ici 2030, avant une légère baisse pour atteindre environ 300 millions de tonnes d’équivalent CO2 d’ici 2035.
L’agence précise que, bien qu’en forte expansion, les centres de données ne représentent qu’une partie relativement mineure du système électrique global, passant d’environ 1% de la production mondiale d’électricité aujourd’hui à 3% en 2030, soit moins de 1% des émissions mondiales totales de CO2.
Avec l’augmentation de la demande en IA, le nombre de centres de données dans le monde a bondi de 8000 à 10 000 entre 2023 et 2025 (+ 25 % en trois ans). En s’opposant à l’utilisation de ChatGPT et d’autres chatbots, Jean espère un monde où « nos enfants verront des animaux et pas des fermes à serveurs ».
## Émissions mondiales de CO2 des centres de données, scénario de référence, 2020-2035
Cette étude met en lumière une importante limite : bien que l’IA puisse afficher une empreinte environnementale plus faible que celle des humains pour certaines tâches, sa capacité à les accomplir de manière aussi efficace, voire meilleure, la présente comme une compétitrice directe, menaçant ainsi les travailleurs humains.
## « IA et artistes, ça ne va pas ensemble »
La peur d’être remplacé par l’IA dans son métier est également une préoccupation pour Jean, auteur de bandes dessinées, qui décrit l’IA comme un « jouet dangereux ». Il redoute que de nombreux scénarios soient écrits à l’aide de ChatGPT, soulignant que « Ce sont des scénarios très normatifs, très simples ». Pour lui, « IA et artistes, ça ne va pas ensemble. L’art n’est pas fait pour être industrialisé ».
Pourtant, certains auteurs de bande dessinées, comme Benjamin Arbeit, commencent déjà à l’utiliser. Sa bande dessinée de science-fiction, *Un autre monde*, a été entièrement générée par une IA. Midjourney, l’outil qu’il a utilisé, s’est inspiré de divers dessins et scénarios d’autres artistes.
Tous les agents conversationnels et génératifs, comme Midjourney, ChatGPT, Gemini ou Dall-E, utilisent des données massives présentes sur le web, souvent protégées par le droit d’auteur.
Pour Jean, recourir à l’IA serait donc équivalent à détruire son propre métier. Il redoute que, si cela continue, « les métiers artistiques vont disparaître dans 10 ans ».
Clara, 20 ans, partage ce constat. « Utiliser l’IA est contre-productif », dit-elle, refusant d’en avoir recours. « Je fais des études en communication, mon métier ne servira plus à rien avec l’IA ».
> *Utiliser l’IA est contre-productif*
Les préoccupations éthiques de Clara et Jean sont-elles justifiées ? Elles sont prises en compte dans l’IA Act, entré en vigueur le 1er août 2024. Ce règlement européen, « premier cadre juridique global relatif à l’IA dans le monde », selon le site du SPF Économie, sera pleinement applicable à l’été 2026. Il vise à garantir que l’IA reste « sûre, transparente, traçable, non discriminatoire et respectueuse de l’environnement », explique la Commission européenne.
Toutefois, pour certains groupes d’artistes, cela ne suffira pas. « Le travail de nos membres ne devrait pas être utilisé sans transparence, consentement et rémunération, et nous constatons que la mise en œuvre de la loi sur l’IA ne nous donne pas ces garanties », a affirmé Marc du Moulin, secrétaire général de l’Alliance européenne des auteurs et compositeurs (ECSA), à Euronews Next.
Ce conflit entre IA et droits d’auteur se solde parfois devant les tribunaux. En Allemagne, un tribunal de Munich a statué en novembre 2025 que ChatGPT avait violé le droit d’auteur, en reproduisant des paroles de chansons du musicien Herbert Groenemeyer. La société OpenAI a fait appel de la décision.
## Risquer de perdre son job
Sans avoir besoin de passer par les tribunaux, les « véganes de l’IA » s’opposent à ces outils pour des raisons éthiques, personnelles ou environnementales. Néanmoins, leur rejet se heurte souvent à la réalité technologique actuelle. « Je pense que j’utilise l’IA à mon insu », souligne Ingrid. Et elle a raison. Avec une simple recherche sur Google, une boîte de dialogue avec l’agent conversationnel Gemini peut s’ouvrir. De nombreux sites incluent des chatbots pour aider les utilisateurs, et le monde du travail incite peu à peu les employés à les adopter.
Le PDG d’Amazon a ainsi exhorté ses employés à se familiariser avec l’IA, prévoyant des réductions d’effectifs à l’avenir. De même, le secrétaire d’État britannique aux Technologies, Peter Kyle, a récemment encouragé les entreprises et les travailleurs à maîtriser l’IA, sous peine d’être « laissés pour compte », a rapporté The Guardian.
Selon une enquête de Talent Trends Survey, près de 50% des employés belges utilisent quotidiennement des outils d’intelligence artificielle générative comme ChatGPT, Microsoft Copilot ou Midjourney.
Cependant, certaines professions interdisent toujours formellement l’utilisation de l’IA, tandis que d’autres n’en ont pour l’instant pas d’utilité, comme les métiers manuels qui ne peuvent être automatisés. Les plombiers, coiffeurs, cuisiniers et boulangers sont pour l’instant épargnés par l’IA, tout comme les bouchers, charcutiers, poissonniers ou fromagers, que les véganes « alimentaires » évitent généralement.

