Belgique

Chômage : les chômeuses et chômeurs répondent aux insultes.

La réforme du chômage, votée en mai dernier, pourrait conduire à l’exclusion de près de 194.000 demandeurs d’emplois d’ici 2027. À 27 ans, Neşe, titulaire d’un master en gestion des ressources humaines, ne parvient pas à trouver un emploi depuis sa sortie de l’ULB, il y a deux ans.

« Tous au boulot !? », tel est le thème du premier volet de l’opération « Parlons solutions » lancée par la RTBF pour analyser les grands enjeux de société et envisager des réponses concrètes. Est-il possible de créer des emplois pour tous ? Comment aider ceux qui peinent à en trouver ? Pourquoi certains secteurs souffrent-ils de pénuries tandis que des jeunes diplômés se heurtent à des portes closes ?

La réforme du chômage, adoptée en mai dernier, pourrait entraîner l’exclusion de près de 194.000 demandeurs d’emploi d’ici 2027. Certains ont déjà été informés par courrier de la date à laquelle leurs allocations seront suspendues. D’autres vivent dans l’incertitude et l’angoisse.

Larissa, Neşe, Fabienne, Alice, Kevyn et Suzanne (de gauche à droite) répondent aux commentaires des « haters ». © VEWS

Suzanne vit une situation à l’inverse de celle de Neşe. Âgée de plus de soixante ans, elle dépend de l’aide de ses enfants. « Ça me fait beaucoup de mal que mes fils doivent m’aider. Normalement, ce sont les parents qui aident leurs enfants. » Il y a cinq ans, en pleine période du Covid, Suzanne a reçu son préavis. Elle ne s’y attendait pas. « J’avais suivi une formation pour me mettre à jour. » Son licenciement est survenu au plus mauvais moment. « Je venais d’acheter une voiture. J’avais un deuxième crédit pour mon logement. Les fins de mois ont été compliquées.« 

Elle a de l’expérience, parle néerlandais, mais pas moyen de retrouver un emploi à son âge. « J’ai envoyé de nombreuses candidatures mais personne ne m’a répondu positivement. » Suzanne se dit étonnée de ne pas avoir reçu de proposition de formation de la part du FOREM. « D’ici trois ou quatre ans, je serai pensionnée…« 

Des travailleurs ALE exclus du chômage

Fabienne, quant à elle, sera retraitée le 1er décembre 2025. Cela fait maintenant dix ans qu’elle est au chômage. Elle a perdu son poste à 55 ans, après une longue carrière d’éducatrice. Ne souhaitant pas rester inactive, elle a continué de travailler dans une crèche dans le cadre d’un « contrat ALE » (Agence Locale pour l’Emploi). Ce statut permet à des chômeurs d’effectuer des « travaux de proximité » avec un complément aux allocations de chômage. Les prestations de Fabienne étant limitées à 45 heures par mois, elle perçoit ainsi un supplément de 180 euros par mois. C’est peu, mais c’est toujours ça.

Suzanne débat avec Kevyn © VEWS

Kevyn, 39 ans, travaille également sous contrat ALE. Il est gardien de la paix « pour 4,10 euros de l’heure« . Cela représente un équivalent de mi-temps pour lui. Parallèlement, il a deux autres « petits jobs » dont une activité d’informaticien public. « Ce n’est pas ce que j’appelle glander !« , s’exclame-t-il.

Kevyn est conscient qu’il va être exclu du chômage. Il attend simplement la date de cette exclusion. S’il n’a pas trouvé un « vrai contrat de travail » d’ici là, il se rendra au CPAS et continuera à travailler à mi-temps pour 4,10€ de l’heure.

Commentaire 1 : « Je gagne à peine plus qu’un chômeur. Pas étonnant qu’ils ne veulent pas bosser. Il était temps de baisser les allocs »

« Les gens croient qu’on gagne une fortune au chômage, mais non !« , déclare Suzanne. « Si quelqu’un travaille pour 700 euros par mois, c’était peut-être lui qui doit se remettre en question !« , ironise Kevyn. « Je ne connais personne qui travaille à temps plein pour un salaire réellement équivalent au chômage.« 

Larissa et Alice découvrent les commentaires des « haters » © VEWS

« J’ai été employée, j’ai été entrepreneuse, j’ai créé de l’emploi et, j’avoue, qu’à un moment donné, cette phrase, je l’avais aussi un peu en tête, confie Larissa. On nous l’a tellement répétée… Maintenant, je suis moi-même au chômage, je n’ai qu’une envie, c’est d’en sortir. Tout est fait pour que tu n’aies pas envie d’y rester.« 

« Le chômage, c’est vraiment au cas par cas, explique Alice. Quand on perd son boulot, on perçoit dans un premier temps une allocation calculée sur base de ses derniers salaires et de sa situation familiale. Mais ça diminue très vite. Dans mon cas, j’ai perçu au départ moins de 2000 euros par mois. Cette allocation a diminué de 100 ou 200 euros après quelques mois. Après un an, elle était réduite de moitié. Donc, là, je me retrouve avec moins de 900 euros par mois.« 

Larissa confirme : « Avec deux enfants à charge, en garde alternée, et en vivant à Bruxelles, les allocations de chômage, pour moi, c’est à peine suffisant, voire pas assez pour vivre. Même si ça peut paraître énorme pour certains.« 

Suzanne ajoute qu’un salarié bénéficie généralement d’un 13ᵉ mois, d’un pécule de vacances et de chèques repas, ce qui n’est pas le cas des demandeurs d’emploi.

Commentaire 2 : « Les chômeurs sont des fainéants profiteurs qui vivent aux frais des travailleurs »

« Être au chômage, ça peut arriver à tout le monde, répond Larissa. Tout le monde a droit d’avoir au cours de sa vie un coup dur.« 

« Je pense quand même qu’il y a des chômeurs de très longue durée qui profitent, souligne Suzanne. Tout le monde connaît quelqu’un qui est dans ce cas-là. » Elle évoque des personnes bénéficiant d’allocations de chômage tout en travaillant « au noir ». « Ce sont des cas individuels, des situations très précises, mais ça reste une minorité« , nuance Neşe.

Neşe et Suzanne © VEWS

« Je ne connais personne qui est au chômage et qui ne fait rien, assure Kevyn. Certains travaillent bénévolement, d’autres font des intérims ou, comme moi, travaillent en ALE. Le chômeur qui se lève à 14h et ouvre un paquet de chips devant la télé, c’est un cliché.« 

Alice, elle, travaille « facile 40 heures par semaine » sur sa thèse de doctorat. « Le FOREM est bien au courant de ma situation, précise-t-elle. Il y a des chômeurs qui ont des flexi-jobs, des temps partiels, des contrats d’intérimaire, poursuit Alice. Ce sont des gens qui travaillent régulièrement mais qui, dans les statistiques, sont considérés comme des chômeurs de longue durée. Or, dans les périodes où ils travaillent, ils ne touchent pas d’allocations de chômage.« 

C’est aussi le cas de Larissa. Ponctuellement, elle travaille « en freelance » via la coopérative Smart, qui lui évite les charges administratives liées à son statut d’indépendante. « Les jours où je travaille, c’est parfois 12h d’affilée et c’est une journée où je ne peux pas consacrer du temps à postuler pour un emploi stable.« 

« Si le chômage n’existait pas, il y aurait encore plus d’inégalités et de précarité dans la société, estime Alice. Le droit au chômage permet de maintenir un certain équilibre et une paix sociale.« 

Commentaire 3 : « Les jeunes ne veulent plus faire d’efforts »

« C’est clairement une phrase de vieux frustré, rétorque Larissa. J’ai l’impression que c’est une phrase que toutes les générations ont entendue, s’amuse Alice. Quand mes grands-parents étaient jeunes, on disait déjà : Ah les jeunes !« 

« C’est une méconnaissance totale du marché de l’emploi, déplore Kevyn. Les jeunes ne trouvent pas de boulot. Il y a des gens qui ont connu l’époque où l’on sortait de l’école à douze ans et où l’on trouvait du travail. Moi, j’ai fait des études en informatique parce qu’on disait que c’était un métier en pénurie. Quand j’ai eu mon diplôme, j’ai compris que le secteur était saturé.

Kevyn, Neşe et Alice © VEWS

« Je suis au chômage mais je ne chôme pas« , insiste Neşe. Elle déplore le caractère « péjoratif » du terme. « Quand on cherche un emploi, on ne reste pas à ne rien faire. Je suis toujours entre deux stages, entre deux voyages, j’ai toujours une occupation« , affirme-t-elle en rappelant qu’elle ne perçoit aucune allocation. « On est quand même plusieurs jeunes à ne pas trouver d’opportunité d’emploi malgré un bon bagage académique. On n’est plus dans les 30 glorieuses !« 

Neşe évoque la pression qu’elle ressent en tant que fille d’immigrés turcs. « Mes parents ont tout fait pour que mon frère et moi ayons le maximum d’opportunités. J’ai toujours eu le sentiment de devoir faire mieux que mes parents et mes grands-parents qui n’avaient pas les mêmes opportunités que moi. C’est un poids très lourd. On se remet en question. Parfois je me dis que c’est peut-être moi qui ne suis pas capable de trouver du travail ou de garder mon poste.« 

Commentaire 4 : « Du boulot, il y en a. Qui cherche trouve »

« Ce n’est pas parce qu’il y a des offres, qu’on veut de notre profil, répond Neşe. Les employeurs cherchent le mouton à cinq pattes : on doit être junior mais avec X années d’expérience et efficace dans la demi-heure.« 

Timidement, Suzanne l’interroge sur son choix de porter le hijab : « Est-ce que tu ne crois pas que c’est à cause de ça ? Neşe acquiesce. Il y a déjà une discrimination liée au genre, ensuite, une discrimination liée à l’origine et, finalement, une troisième discrimination lorsqu’on décide d’affirmer son identité religieuse. Parfois, on ne regarde même pas ce que je pourrais apporter à l’entreprise.« 

Larissa, Suzanne, Fabienne et Neşe © VEWS

« On est dans un contexte économique et politique qui rend très compliqué, même pour de grandes entreprises, d’embaucher, estime Larissa. J’ai un diplôme, j’ai de l’expérience et des compétences mais je ne trouve pas de travail pour autant. À 40 ans, je ne vais pas non plus accepter n’importe quoi, à n’importe quelles conditions. Si je fais ça, j’aurai beaucoup moins de temps pour chercher un meilleur emploi. Plus le temps passe, plus ça me stresse.«