Belgique

Lesotho : des milliers de morts si les traitements VIH/Sida ne sont pas garantis

Un adulte lesothan sur 5 vit avec le Sida. En 2015, la prévalence du virus chez les adultes était de 24.1%, et elle est descendue à 18.5% en 2023.


« Le Royaume des Cieux », comme on le surnomme, reste peu médiatisé, sauf en raison de ses taux élevés de séropositivité et de Sida. Un adulte lesothan sur cinq vit avec le VIH. Le gouvernement a des difficultés à maîtriser la maladie.

Patricia Huon, correspondante de la RTBF en Afrique du Sud, souligne : « Au Lesotho, comme dans beaucoup de pays en développement, la lutte contre la pandémie de VIH-SIDA a, depuis 20 ans, été principalement menée via le plan présidentiel d’aide d’urgence à la lutte contre le SIDA, qui avait été lancé en 2003 par le président américain de l’époque, George Bush. Donc, avec un investissement de plus de 110 milliards de dollars, ce plan a vraiment été le pilier des efforts mondiaux pour la lutte contre la pandémie ».

Ces fonds étaient pour plus de la moitié distribués par USAID, l’Agence des États-Unis pour le Développement, désormais démantelée par Donald Trump. « Donc avec ces coupes brutales de l’aide américaine, faute d’argent, de nombreux programmes ont dû être arrêtés », ajoute la correspondante de la RTBF. « Aujourd’hui, les perspectives sont vraiment sombres. On risque de voir, en retour au rationnement des médicaments antirétroviraux, une augmentation des infections et donc des décès. Ce sont des milliers de personnes qui pourraient se retrouver sans accès à leur traitement très prochainement ».

Le personnel médical craint un retour des maladies opportunistes, comme la tuberculose, première cause de décès chez les personnes vivant avec le VIH. En interrompant leur traitement, les patients voient leur charge virale augmenter, ce qui les rend vulnérables à d’autres infections, pouvant entraîner une résistance à certains antirétroviraux. Il y a également un risque accru de bébés naissant séropositifs. En 2003, le taux de transmission du VIH de la mère à l’enfant était descendu à 5%, en raison notamment du dépistage systématique des femmes enceintes, mais ce taux pourrait augmenter à nouveau.

Malgré cela, grâce aux aides américaines, le Lesotho avait réussi à réduire la prévalence du virus chez les adultes de 24,1% en 2015 à 18,5% en 2023. De plus, le Lesotho est devenu le premier pays d’Afrique à mettre en œuvre dès 2016 la politique du « tester et traiter », permettant d’atteindre l’objectif d’ONUSIDA du 90-90-90 en 2020. « Cela signifie que 95% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique », explique Patricia Huon. « 95% des personnes qui savent qu’elles sont séropositives ont accès à un traitement, et 95% des personnes sous traitement ont une charge virale indétectable. Donc, en gros, ça veut dire que l’épidémie était presque sous contrôle. Cette année, le monde aurait peut-être pu parler de la quasi-élimination du VIH dans un avenir proche. Au lieu de cela, le virus pourrait connaître une résurgence sans précédent ».

Le Lesotho est un pays pauvre avec de nombreux besoins, où près de deux tiers de la population vivent sous le seuil de pauvreté. Il semble peu probable que le pays trouve rapidement les fonds nécessaires pour combler ce déficit. Les programmes incluaient également la prévention et le suivi des patients, souligne la correspondante de la RTBF. « Il y avait aussi de la prévention, un suivi des patients. Or là, la dissolution de l’USAID pourrait affecter des mesures les plus élémentaires, comme la distribution de préservatifs, par exemple. Alors bien sûr, le gouvernement et les ONG savaient que ces financements ne dureraient pas toujours, mais les coupes budgétaires ont été tellement abruptes, le Lesotho et d’autres pays n’y étaient absolument pas préparés. Et le gouvernement et les structures de santé n’ont tout simplement pas les moyens de faire face ».

Washington a néanmoins annoncé en septembre dernier un retour partiel de son aide, mais cela ne reste qu’une solution temporaire, avec toujours des négociations en cours pour trouver un accord durable, sans quoi la lutte contre le VIH risque de s’effondrer totalement.

Le Lesotho affiche l’un des taux de prévalence du VIH les plus élevés au monde, avec environ un adulte sur quatre séropositif. La mobilité des travailleurs migrants et des facteurs socio-économiques ont contribué à la propagation du virus. La stigmatisation et le manque d’accès aux soins ont aussi joué un rôle dans la décimation de la population. Dans les années 1990, les personnes étaient infectées sans être diagnostiquées et mouraient. Au début des années 2000, l’espérance de vie moyenne était tombée en dessous de 40 ans.

« Grâce aux financements américains, les traitements antirétroviraux sont devenus disponibles. Il y a eu beaucoup de prévention et un suivi des patients pour qu’ils prennent leur traitement efficacement. L’espérance de vie a remonté à 56 ans », commente Patricia Huon.

Récemment, la Chine s’est engagée à verser 3,5 millions de dollars au Lesotho pour soutenir la lutte contre le VIH. « Ce sont vraiment des milliers de personnes séropositives, y compris des enfants, qui sont plongées dans l’incertitude totale, voire la panique », ajoute la correspondante de la RTBF. « Ces gens sont parfaitement conscients que ces médicaments les maintiennent en vie, qu’ils n’auront pas les moyens de les acheter, et que leur état de santé risque de se dégrader rapidement ».

Face à la pénurie de médicaments, les personnes séropositives se tournent vers la médecine traditionnelle. Elles se rendent chez des guérisseurs, appelés sangomas, respectés pour leurs capacités à guérir et à apporter des conseils spirituels. Autrefois, de nombreux sangomas considéraient le VIH comme une malédiction, pensant que les malades étaient ensorcelés et prétendant pouvoir guérir le Sida.

« La médecine traditionnelle joue un rôle essentiel dans la santé holistique et le bien-être de la communauté », a déclaré à l’AFP Mpho Roberta Masondo, directrice de l’Association nationale des guérisseurs africains. Toutefois, elle insiste : « Mais elle ne remplace pas la thérapie antirétrovirale, qui reste le moyen le plus efficace de supprimer le VIH ». Les experts craignent que ce recours aux remèdes alternatifs ne compromette les progrès réalisés dans la lutte contre le VIH. « Je suis très inquiète », a déclaré Jessica Justman, directrice technique principale à l’ICAP, un centre de santé mondiale de l’université Columbia de New York. « Utiliser un traitement inefficace équivaut à ne pas prendre de traitement du tout », a-t-elle ajouté.

Mme Masondo affirme que les méthodes traditionnelles peuvent apporter un soulagement. « La guérison traditionnelle ne se limite pas aux herbes ; il s’agit d’une approche holistique et globale qui renforce le corps, l’esprit et la conscience », dit-elle, ajoutant : « Le danger ultime ou réel n’est pas la guérison traditionnelle elle-même, c’est la désinformation ».