PMA au travail : les piqûres dans les toilettes ne sont pas dites
En France, un couple sur quatre rencontre des problèmes d’infertilité, selon le ministère de la Santé. Selon l’étude de BAMP !, seuls 39 % des salariés estiment que leur manager comprend réellement leur situation.
En France, un couple sur quatre est confronté à des problèmes d’infertilité, selon le ministère de la Santé. En 2022, plus de 150 000 tentatives d’assistance médicale à la procréation (AMP, anciennement PMA) ont été enregistrées. Face à ces statistiques impressionnantes, peu de personnes abordent ouvertement ce parcours, un tabou particulièrement présent dans le milieu professionnel. Néanmoins, ce processus s’avère très contraignant.
Dans le cadre du mois de sensibilisation à l’infertilité, l’association BAMP ! publie ce mercredi une étude* sur l’impact des parcours d’infertilité au sein du monde professionnel. Cette étude révèle que 41 % des salariés interrogés ont envisagé ou décidé de quitter leur emploi en raison du manque de compréhension ou de soutien dans leur parcours. Plusieurs personnes engagées dans un parcours d’AMP témoignent auprès de 20 Minutes de la façon dont elles ont géré ce combat parallèlement à leur travail.
**Pudeur et jugement des autres**
Pour Eugénie, Lyonnaise de 34 ans engagée dans un parcours d’AMP depuis cinq ans, garder son projet secret relève avant tout d’une « forme de pudeur » vis-à-vis d’un sujet « si intime ». Elle admet que son secteur, l’industrie, un environnement « assez masculin », ne l’a pas incitée à partager son expérience. « Je suis la seule femme de mon équipe et mon environnement de travail ne se prête pas trop à ce type de confidences. » Lorsqu’elle a débuté son parcours pour concevoir, elle était en phase d’acquisition de nouvelles compétences. « Je ne voulais pas passer pour une personne fragilisée ou montrer qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. »
Cette difficulté à en parler a également été vécue par Mariana**, une Martiniquaise déjà mère d’une petite fille née grâce à l’assistance médicale, actuellement enceinte de son deuxième enfant. « Aux Antilles, l’AMP est extrêmement tabou, sans parler de l’infertilité masculine. » Cette manageuse a déjà reçu des commentaires désobligeants de collègues masculins pendant sa grossesse. « Ils ont dit que j’avais mal réagi à cause des hormones. » Mariana n’envisage pas d’admettre qu’elle est sous hormones depuis plus de six ans à cause de ses nombreuses injections.
**Des piqûres dans les toilettes du bureau**
Eugénie pensait au départ que l’AMP lui permettrait rapidement de tomber enceinte et qu’il suffisait d’« endurer » le processus. Cependant, les années ont passé sans résultats. « À cause de ce non-dit, le parcours est lourd et c’est un cercle vicieux. » Elle a tout géré en cachette, que ce soit ses rendez-vous médicaux à 7 heures du matin ou ses médicaments vaginaux pris dans les toilettes du bureau.
Un refuge que connaît bien Emmanuelle, Normande de 39 ans qui tente de concevoir depuis cinq ans. « J’ai souvent dû faire mes piqûres dans les toilettes du bureau. » Pourtant, pour elle, le plus éprouvant demeure ailleurs. « À chaque échec, savoir que tout ce que l’on a fait pendant six mois à un an n’a servi à rien est très déprimant. » Gérer cette tristesse devient parfois difficile lorsque les résultats tombent dans sa boîte mail en pleine journée de travail. « Il m’est déjà arrivé de pleurer devant mes élèves », avoue Charlotte, enseignante dans un collège de Segpa. Elle a choisi de parler de sa situation à ses collègues, qui la soutiennent en cas de coup de mou. « C’est déjà tellement éprouvant, même lorsque les autres sont au courant. »
**Méconnaissance de la réalité de la PMA**
Garder ses préoccupations pour elle engendre chez Eugénie de « gros moments de solitude ». « Personne n’imagine ce que l’on vit. » Seuls 39 % des salariés estiment que leur manager comprend réellement leur situation, d’après l’étude de BAMP ! « Les gens pensent qu’un bébé-éprouvette, on le fabrique, on le transfère, et hop, c’est fini, souligne Emmanuelle. Sauf que c’est beaucoup plus compliqué que cela. En cinq ans, j’ai eu une centaine de rendez-vous médicaux. »
Cette méconnaissance touche également les droits des salariés. Depuis la loi de 2016, une femme bénéficiant d’une AMP a le droit à des autorisations d’absence pour tous les actes médicaux nécessaires. S’inspirant du modèle du congé pour enfant malade, il ne s’agit ni d’arrêts de travail ni de congés payés. Cependant, selon l’étude, 39 % des employeurs affirment ne pas appliquer cette mesure. De nombreux salariés sont alors contraints de prendre des congés payés ou des arrêts maladie.
**Une loi protectrice mais peu connue**
Charlotte, l’enseignante, connaissait cette loi. « Je savais que c’était un droit qu’on ne pouvait pas me refuser, alors j’en ai directement parlé à mon chef d’établissement, qui a été très compréhensif. » Guillaume, responsable d’une équipe de vingt personnes en parcours d’AMP avec sa femme depuis cinq ans, en a également rapidement discuté avec son chef et a pu bénéficier des droits liés. Depuis juillet 2025, la loi permet au conjoint de la femme en AMP d’obtenir des autorisations d’absence pour assister à trois examens ou actes pour chaque protocole. « C’est un grand groupe, donc ils appliquent la loi et m’ont validé mes autorisations d’absence sans problème. »
Cependant, la situation de la femme de Guillaume a été moins aisée. Son chef a décrété que le Code du travail n’était « pas applicable » à leur structure. Elle a fini par négocier une rupture conventionnelle en raison du manque de flexibilité de son employeur. Selon l’étude de BAMP !, seules 35 % des entreprises affirment avoir mis en place des politiques ou des mesures spécifiques de soutien à la fertilité.
*Cette étude a été réalisée sous la forme de deux questionnaires en ligne diffusés de fin août à début octobre 2025, l’un destiné aux salariés concernés par un parcours d’AMP, l’autre aux employeurs. Au total, 1 037 salariés et 173 employeurs y ont répondu.
**Le prénom a été modifié.**

