La jeune génération du théâtre tunisien s’illustre avec « Les Fugueuses » (Al Haribate)
La pièce de théâtre intitulée «Al Haribate», mise en scène par Wafa Taboubi, est interprétée par Fatma Ben Saidane, Mounira Zakraoui, Lobna Noômane, Oussama Hnayni, Amina Bahri et Sabrine Omar, avec une musique originale de Héni Ben Hammadi. Le spectacle se déroule autour d’un groupe de six personnages qui attendent un bus qui n’arrive jamais, et qui finissent par fuir ensemble vers l’inconnu, illustrant une quête désespérée de sens et de salut dans un espace de confusion.
**Par Pr Lassaad JAMOUSSI**
Le titre de la pièce « Al Haribate » intrigue et désoriente, car il évoque à la fois des notions de fuite et de perte, laissant planer le doute. Le texte, la scénographie et la mise en scène sont signés par la talentueuse Wafa Taboubi, et le spectacle met en scène Fatma Ben Saidane, Mounira Zakraoui, Lobna Noômane, Oussama Hnayni, Amina Bahri et Sabrine Omar, avec une musique originale de Héni Ben Hammadi. La traduction française de cette pièce est « Les Fugueuses ».
Le titre lui-même suscite la réflexion. « Al Haribate » pourrait également se traduire par « Les fugitives », « Les évadées », « Les égarées » ou « Les fuyardes ». Le début du spectacle présente un groupe composé de cinq femmes et un homme qui attendent un bus inexistant. La vieille femme de ménage, interprétée par Fatma Ben Saidane, devient leur guide, prétendant connaître tous les arrêts du bus tout en s’endormant et reprenant son récit.
Cependant, ce groupe finit par se perdre dans des chemins sans issue. Les personnages plongent dans un espace de confusion, face à des murs dressés et à une guerre intérieure d’échecs et d’abandon. Ils se retrouvent en fuite, tant d’eux-mêmes que des autres, cherchant une échappatoire à des conditions de vie insupportables, au point qu’un personnage évoque l’espoir d’un salut par la mort.
Les situations jouées dans cet espace clos sont chargées de symbolisme. Chaque anecdote raconte le vide que ressentent ces femmes, avec des personnages comprenant une femme de ménage, une chercheuse de plastique, une enseignante remplaçante, une avocate stagiaire, une ouvrière textile et un ouvrier en câblage. L’absence du bus renvoie à la responsabilité de l’autorité, « Al Hakem ». Les conséquences de cette perdition aboutissent à des menaces dans l’espace public, et des échanges révèlent la violence dans les relations interpersonnelles.
Les thématiques abordées sont exprimées à travers une écriture scénique paratactique, qui ajuste des éléments spectaculaires avec des discours textuels chargés de références sociales et politiques. Le spectacle jongle entre monologues, dialogues, mouvements individuels, chorégraphies et tableaux dynamiques, surtout inspirés par la biomécanique.
Cette pluralité de formats converge dans une fresque picturale, où l’espace scénique devient un cadre d’interrogations graphiques. Une telle mise en réseau requiert une attention subtile aux subtilités du texte créatif, tant sur le plan verbal que corporel.
Wafa Taboubi, dans son rôle de metteuse en scène, démontre une grande maîtrise des éléments visuels et sonores, alternant rythme et dynamisme, tout en reflétant les angoisses de ses personnages. La scénographie, sobre, présente des couloirs lumineux et des panneaux de signalisation, symbolisant le chemin bloqué des espoirs.
Le public devient acteur, brisant le quatrième mur, tandis que la scénographie minimaliste renforce le contraste entre l’abstraction des tableaux corporels et la réalité des dialogues souvent intenses. La musique de Héni Ben Hammadi, à la fois rythmique et mélodieuse, relie l’ensemble des mouvements à l’énergie du public.
En rassemblant ces éléments, la pièce évoque la réalité quotidienne des femmes perdues dans une quête de dignité, sans trop s’appesantir sur les souffrances liées au genre. La lumière est mise sur le statut social et professionnel des protagonistes. Par exemple, Fatma Ben Saidane apporte une dimension poignante à son personnage à travers son récit de tâches ménagères, tandis que Lobna Noômane souligne la transformation de son corps en une machine à coudre vivante.
La pièce crée un rythme contrasté entre détente et tension, gagnant en intensité alors que les personnages s’empêtrent dans leur environnement menaçant. Le tableau final se distingue par sa synchronisation remarquable, chaque personnage traversant des chemins éclairés, créant une dynamique qui élève le spectacle à un niveau énergique mobilisateur.
**L.J.**

