Un gouvernement déchu et un pays ne paient pas le prix.
Le Maroc traverse une crise sociale sans précédent depuis deux décennies, avec 38% des jeunes sans emploi et 70% d’entre eux envisageant de quitter le pays. Le PLF 2026, sans vision ni cohérence, confirme la faillite d’une majorité qui a confondu gouvernance et improvisation.
La question qui interpelle : comment un gouvernement qui se félicite constamment, parfois de manière exaspérante, du nombre de sièges qu’il détient au Parlement peut-il se révéler si faible sur le plan politique et si fébrile dans ses actions ? Alors que le coût de la vie pèse lourdement sur les ménages, que les services publics se dégradent, que la jeunesse perd confiance et que les institutions peinent à assumer leurs missions essentielles, une question se pose : comment un gouvernement doté d’une majorité absolue a-t-il pu renoncer à ses responsabilités constitutionnelles, au point de laisser la société faire face seule à ses vulnérabilités ? Le projet de loi de finances (PLF) 2026 fait apparaître une réalité préoccupante : l’État s’efface, le politique se désagrège et la crise s’installe comme mode de gouvernance, en méconnaissance de l’article 31 de la Constitution qui établit le droit à la santé, à l’éducation et à la dignité comme une obligation et non comme une faveur budgétaire.
**1. Une société en détresse : l’échec social révélé**
Le Maroc connaît une crise sociale sans précédent depuis vingt ans. Selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP), 38 % des jeunes sont au chômage et 70 % d’entre eux envisagent de quitter le pays, un signe d’un désespoir qui s’étend désormais aux familles marocaines. L’inflation alimentaire dépasse 12 %, tandis que la dette des ménages atteint 432 milliards de dirhams, selon Bank Al-Maghrib. Cela signifie que la majorité des ménages marocains vivent aujourd’hui à crédit, non pas par désir de confort, mais par nécessité.
Dans un quartier populaire de Tétouan, une mère déclare avoir renoncé à plusieurs examens médicaux pour son fils asthmatique : l’hôpital régional manque de spécialistes, et les coûts dans le secteur privé sont devenus inaccessibles. Avec seulement sept médecins pour dix mille habitants, le Maroc affiche l’un des ratios les plus faibles de la région MENA. Par ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) note qu’au-delà de 300 000 élèves abandonnent chaque année l’école publique, témoignant de la crise dans le secteur éducatif, pourtant garantie par l’article 31 de la Constitution.
Dans les zones rurales, la précarité dépasse 17 %, tandis que dans les villes, la pauvreté gagne du terrain à mesure que la classe moyenne s’effondre. Le constat est sans appel : la société est étouffée par le recul de l’État. La mise en garde d’Olof Palme résonne avec une clarté glaçante : « Là où l’État recule, l’injustice avance ».
**2. Une économie sans direction : la logique du quotidien remplace la stratégie**
La situation économique n’offre aucune lueur d’espoir. La croissance est limitée à 2,7 %, le Maroc ne parvenant pas à créer suffisamment de richesses pour accompagner sa dynamique démographique. Le déficit commercial frôle les 300 milliards de dirhams, et la dette publique atteint des niveaux préoccupants, toujours selon Bank Al-Maghrib. Plus alarmant encore : le pays a perdu plus de 400 000 emplois agricoles en trois ans, révélant l’absence totale d’une stratégie nationale de sécurité alimentaire, contrairement au Portugal, qui a stabilisé son secteur agroalimentaire grâce à une planification proactive et au renforcement des chaînes de valeur locales.
L’investissement privé, qui devrait constituer 65 % de l’investissement national, reste immobilisé. Les entrepreneurs citent un environnement imprévisible, une instabilité réglementaire et un flou stratégique permanent. Alors que l’Espagne et la France, face à la flambée des prix, ont plafonné les marges des intermédiaires énergétiques et soutenu directement les ménages, le Maroc a laissé les intermédiaires imposer leurs conditions, que ce soit dans les carburants, les produits agricoles ou le logement.
Dans ce vide stratégique, le gouvernement n’agit plus : il se contente d’administrer la crise. L’État stratège, jugé indispensable par les articles 154 à 157 de la Constitution, semble avoir disparu. Felipe González avait pourtant raison de dire : « Une économie sans justice sociale n’est qu’un terrain fertile pour la colère. »
**3. La dérive néolibérale : un modèle importé qui fragilise l’État**
La crise actuelle résulte d’une orientation idéologique injustifiée : une néolibéralisation hâtive, souvent marquée par des conflits d’intérêt et largement déconnectée des réalités nationales. En réduisant l’implication de l’État dans la santé, l’éducation et la protection sociale, le gouvernement a fragilisé la société, la classe moyenne et la cohésion nationale.
Le chantier de la protection sociale, pourtant stratégique, avance sans financement durable ni structure institutionnelle maîtrisée. Les hôpitaux manquent de personnel, les écoles publiques sont à bout de souffle, et les services sociaux ne suivent pas. Pendant ce temps, la France, l’Espagne et le Portugal ont protégé leurs ménages par des politiques actives : subventions ciblées, régulation des marges, augmentation du salaire minimum, investissements massifs dans les services publics.
Au Maroc, le gouvernement a préféré abandonner à la loi du marché ce que la Constitution réserve clairement à l’État. Mais un marché laissé à lui-même ne réduit ni les inégalités ni la pauvreté. Le gouvernement tente de faire croire qu’il a entrepris des réformes dès son investiture, et que celles-ci porteront leurs fruits. Or, les seules initiatives prises jusqu’à présent consistent en de petits arrangements qui soulèvent beaucoup de questions quant à leurs vraies motivations, depuis toujours profitant aux mêmes personnes.
N’est-il pas plus honnête pour l’exécutif d’appliquer la célèbre maxime de Jean Jaurès qui disait : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; ce n’est pas de masquer l’injustice sous le vernis des réformes » ? La vérité pour l’actuel gouvernement est d’admettre son incapacité à mettre en œuvre une politique qui rompt avec la logique du Maroc à deux vitesses, qui met fin aux conflits d’intérêt devenus presque une norme, et qui réhabilite enfin l’engagement et la volonté de servir. Car aujourd’hui, le vernis se fissure : l’injustice est visible à l’œil nu.
**Conclusion — 2026 : poursuite de l’enlisement ou reconstruction d’un État fort ?**
Le diagnostic est net : le Maroc ne souffre pas d’une crise sectorielle, mais d’une crise de l’État, aggravée par l’absence de prise de décision politique. Le PLF 2026, dépourvu de vision et de cohérence, confirme l’échec d’une majorité qui a confondu gouvernance et improvisation.
Face à cette dérive, une alternative existe : le projet social-démocrate défendu par l’USFP, basé sur un État stratège, une justice sociale significative, une économie productive et une jeunesse pleinement impliquée dans les décisions. Comme l’affirme Driss Lachguar : « Le Maroc a changé, les jeunes ont changé, et la politique doit changer avec eux. »
À l’horizon 2026-2030, deux chemins se présentent au pays :
– poursuivre l’enlisement orchestré par une majorité en déclin,
– ou réhabiliter l’État, rétablir la confiance et engager un nouveau cycle national fondé sur la justice sociale, la protection, la cohésion et la responsabilité. Et comme le rappelait François Mitterrand : « Le progrès ne naît jamais du renoncement ». Le Maroc doit, plus que jamais, choisir le progrès.
**Par Mohamed Assouali**
*Secrétaire provincial de l’USFP à Tétouan*

