Belgique

L’Europe renforce les règles sur les jouets dangereux pour les enfants.

Sur la plateforme chinoise Temu, une maman recommande des pots de slime multicolores en raison de leur prix et de la satisfaction de sa fille. Selon une étude danoise, près de deux tiers des slimes vendus sur des sites étrangers libèrent des substances chimiques indésirables à des concentrations dépassant les seuils sanitaires autorisés en Europe.


« Ma fille adore ce slime, il n’est pas trop gluant, ne colle pas partout et elle s’amuse beaucoup avec. Donc, vu son prix, je le recommande sans hésiter. » Sur la plateforme chinoise Temu, une mère exprime sa satisfaction après avoir acheté des pots de slime multicolores, cette pâte visqueuse et malléable qui plaît tant aux enfants.

Cependant, derrière cette apparence innocente se cache un danger insidieux pour la santé des plus jeunes. Selon une étude danoise, près de deux tiers des slimes vendus sur des sites étrangers libèrent des substances chimiques indésirables à des concentrations bien supérieures aux seuils de sécurité autorisés en Europe.

Globalement, plus de 96 % des jouets vendus en ligne, y compris certains slimes, ne respectent pas les règles de l’Union européenne (UE), d’après une récente étude de la fédération européenne du jouet Toy Industries of Europe.

C’est précisément ces règles régissant la sécurité des jouets que les eurodéputés viennent de renforcer ce mardi, lors d’une séance plénière à Strasbourg.

À l’heure du développement croissant du commerce en ligne et de l’adoption des technologies numériques, pourquoi les Vingt-Sept ont-ils jugé essentiel de renforcer la protection de la santé et du bien-être des enfants ? Décryptage.

## Jouets et toxicité

Dans la rubrique composition du slime acheté sur le site chinois, il est mentionné « autre ». Un pictogramme « attention » ⚠️ indique que ce jouet ne convient pas aux enfants de moins de 3 ans.

Cependant, rien ne précise que l’ingrédient principal de cette pâte est la colle à papier liquide. Celle-ci contient des conservateurs, parmi lesquels des libérateurs de formaldéhyde ou des isothiazolinones, substances très allergisantes par voie cutanée, ainsi que de nombreux solvants (éthanol, acétate d’éthyle, acétate de méthyle) qui provoquent des irritations des voies respiratoires.

Aux côtés de cette colle, se trouve un autre produit qui rend la pâte élastique, tout aussi dangereux : le bore. « L’acide borique est considéré comme reprotoxique de catégorie 1B en Europe, ce qui signifie qu’il peut nuire à la fertilité et au fœtus », précise Céline Bertrand, spécialiste en santé de l’environnement au sein de la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG).

« Et bien qu’il ne soit pas encore reconnu comme perturbateur endocrinien, des données récentes montrent que certains effets des composés contenant du bore impliquent des phénomènes liés à l’action des hormones stéroïdes ou thyroïdiennes, parmi lesquels figurent les effets sur la masse musculaire ou le métabolisme basal. En outre, certains rapports toxicologiques sur les mammifères, y compris les humains, tirent la sonnette d’alarme concernant les dommages causés à plusieurs systèmes, notamment les effets négatifs sur l’induction de l’infertilité masculine », ajoute la scientifique.

L’acide borique et ses dérivés ne devraient jamais être manipulés régulièrement par des enfants, mettent en garde les autorités françaises.

Des tests effectués par huit associations de consommateurs à travers l’Europe ont révélé la présence de niveaux illégaux d’une substance nocive dans plus de quatre pots de slime sur dix.

Ces tests ne représentent que la partie émergée de l’iceberg concernant les substances toxiques présentes dans de nombreux jouets.

« La pollution des jouets peut se retrouver aussi bien dans les poupées, les peluches, les jouets en bois, les jouets en plastique, beaucoup. Et surtout les jouets qui comportent des textiles, il y a vraiment beaucoup de substances problématiques, et notamment, encore une fois, beaucoup de substances qui sont classées dans les perturbateurs endocriniens », note Céline Bertrand.

En Belgique, Test Achats a analysé 54 jouets pour bébés achetés sur Temu et Shein, et les résultats sont « déplorables », souligne sa porte-parole, Julie Frère. Deux produits Temu contenaient des substances chimiques dangereuses : du formaldéhyde, trouvé à un taux cinq fois supérieur à la limite légale pour les jouets destinés aux enfants de moins de 3 ans, et du nonylphénol éthoxylate, un perturbateur endocrinien dont la concentration atteignait quatre fois la valeur autorisée.

Quant au bisphénol, que « l’on retrouve dans les poupées, dans les jouets en plastique, dans les jouets électroniques, électriques, c’est déjà un gros souci, puisque c’est l’un des principaux perturbateurs endocriniens », souligne Céline Bertrand. L’un d’eux, le BPA, est associé à des problèmes de développement et de santé chez l’enfant. Ces perturbateurs endocriniens peuvent entraîner l’obésité, l’infertilité (masculine et féminine), des troubles du développement neurologique, un risque accru de cancer et un faible poids à la naissance.

## Toxicité chronique

Non seulement de nombreux jouets contiennent des substances chimiques toxiques, mais ils sont également manipulés par un public particulièrement vulnérable.

« D’une part, les enfants sont plus exposés de par leur comportement car ils ont un comportement beaucoup plus ‘main-bouche’ que les adultes. Mais en plus, ils sont plus limités que les adultes dans leur aptitude à détoxifier les polluants », pointe Céline Bertrand.

Selon la spécialiste en santé de l’environnement, le foie des enfants n’est pas « équipé pour détoxifier les xénobiotiques » (substances chimiques étrangères à un organisme vivant) ou d’autres polluants chlorés. « Quand les polluants se retrouvent dans le sang, ils vont contaminer les organes, le cerveau, les muscles. Il y a donc une toxicité systémique et pas uniquement locale. On a souvent cette image de l’enfant qui joue avec une poupée et on ne voit que la voie cutanée. Mais en fait, la toxicité est non seulement chronique, mais elle est systémique parce qu’ils vont être exposés tout au long de leur petite enfance à des polluants. »

## Effet « cocktail »

C’est pour limiter cette toxicité que le nouveau règlement européen adopté ce mardi prévoit d’étendre les interdictions existantes des substances chimiques les plus dangereuses dans tous les jouets pour y inclure les perturbateurs endocriniens, les PFAS et les bisphénols. « Une première mondiale », se réjouit Saskia Bricmont, eurodéputée belge (Ecolo dans le groupe des Verts).

En raison du « fait que désormais l’impact direct des produits chimiques, des perturbateurs endocriniens, sur les hormones des enfants via les jouets est documenté scientifiquement, il est [donc] essentiel de les bannir », insiste-t-elle.

## Jouets ≠ sécurité

Au-delà des inquiétudes concernant la toxicité de certains jouets, se posent également des problèmes de sécurité.

L’étude de Test Achats sur 54 jouets pour bébés achetés sur Temu et Shein révèle que la majorité d’entre eux présentent des problèmes de sécurité, parfois graves, susceptibles de mettre en danger la santé ou la vie des jeunes enfants. Plus de 55 % d’entre eux présentaient des défauts de sécurité mécanique, avec un risque d’étouffement, de suffocation ou de blessures.

Parmi eux, certains jouets électriques affichaient des défauts de sécurité : les compartiments à piles pouvaient être ouverts sans outil, rendant les petites batteries accessibles et susceptibles d’être mises à la bouche.

## Meilleure transparence et traçabilité

Que ce soit en raison de leur toxicité ou de leur manque de sécurité, la plupart des cas de jouets dangereux concernent des produits vendus sur internet. Aujourd’hui, 80 % des jouets sur le marché de l’UE sont importés de Chine.

C’est pourquoi ce nouveau règlement européen instaure des règles plus strictes pour les plateformes de vente en ligne, renforce la traçabilité des jouets et améliore l’efficacité des contrôles et des inspections douanières. Ce texte « concerne tant les fabricants que les exportateurs et les distributeurs », souligne Saskia Bricmont.

En Belgique, le Service Public Fédéral (SPF) Économie organise déjà régulièrement des campagnes de contrôles sur la sécurité des jouets. Des contrôles sur les substances chimiques peuvent faire partie de ces vérifications. « Les résultats de ces contrôles ne sont pas représentatifs pour le marché belge car nous sélectionnons souvent des échantillons sur la base d’une présomption de non-conformité », tient à souligner Étienne Mignolet, porte-parole du SPF Économie.

Les consommateurs doivent aussi adopter de simples réflexes pour éviter d’acheter des jouets dangereux pour leurs enfants. Le premier d’entre eux consiste à vérifier la présence du marquage « CE » sur le jouet. Celui-ci « signifie que le jouet satisfait aux exigences essentielles de sécurité. C’est l’engagement du fabricant certifiant que le jouet respecte l’ensemble des règles de sécurité applicables dans l’Union européenne. Le marquage « CE » doit être apposé de manière visible, lisible et indélébile sur le jouet ou sur son emballage », indique le site du SPF Économie.

Selon l’analyse de Test Achats, les 54 jouets testés, provenant de Temu ou Shein, affichaient tous des marquages CE absents ou mal placés, des informations trompeuses, ou aucune indication claire du fabricant.

Pour remédier à cela, le nouveau règlement européen va accroître la transparence de ces produits. Désormais, les consommateurs bénéficieront d’un accès facilité aux alertes de sécurité et au marquage « CE », notamment grâce au passeport numérique des produits.

« Tous les jouets doivent être munis d’un passeport numérique de produit », stipule la nouvelle législation, qui comprendrait des informations sur le respect des règles de l’UE. Ces passeports pourront être scannés par les autorités chargées du contrôle aux frontières à l’aide d’un nouveau système informatique.

Les importateurs devront présenter aux frontières de l’UE des passeports numériques de produit pour tous les jouets, y compris ceux vendus en ligne.

Les responsables espèrent que ce règlement instaurera également une concurrence plus équitable entre les produits fabriqués dans l’UE et les importations, ce qui est crucial pour l’industrie européenne du jouet, qui emploie plus de 50 000 personnes sur le Vieux Continent.