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Narcotrafic : La France doit-elle s’inspirer des lois anti-mafia italiennes ?

Le procès en appel du meurtre de Houcine Hakkar a débuté aux assises de Dijon ce lundi, Hakkar étant une victime collatérale de la guerre des gangs en 2020 à Besançon. La France a mis en place un arsenal surtout répressif contre le narcotrafic, et elle ne dispose pas de définition juridique précise de ce qu’est une mafia, contrairement à l’Italie.


En France, il semblerait qu’il ne se passe pas un jour sans que les organisations criminelles liées au trafic de drogue ne fassent la une des journaux. Ce lundi, le procès en appel du meurtre de Houcine Hakkar, victime collatérale de la guerre des gangs en 2020 à Besançon, a débuté aux assises de Dijon. La veille, la controverse concernant la permission de sortie d’un détenu de la prison pour narcotrafiquants de Vendin-le-Vieil a provoqué une réaction de Gérald Darmanin, ministre de la Justice, qui a exprimé sa volonté de modifier les règles d’application des peines en matière de narcotrafic.

Plus tôt, samedi, une manifestation rassemblant de nombreux élus a eu lieu pour rendre hommage à Mehdi Kessaci, le frère du militant anti-drogue Amine Kessaci, tué le 13 novembre.

Alors que la France a récemment renforcé son arsenal législatif avec la loi du 13 juin 2025 « visant à sortir la France du piège du narcotrafic », la question se pose de savoir comment elle peut encore s’inspirer de l’Italie, qui dispose d’un ensemble de lois anti-mafia remarquables et pionnières en Europe.

### Une influence italienne « certaine et incontestable » sur la loi française

La France s’inspire de l’arsenal juridique italien bien au-delà d’une simple influence. « L’influence de la législation italienne sur la loi française contre le narcotrafic est certaine et incontestable », explique Maud Righetti, docteure en droit privé et sciences criminelles, spécialisée sur l’Italie. « La France s’est inspirée de l’organisation italienne en créant un Parquet national anticriminalité organisée – même si la compétence de ces deux entités diffère – et même dans sa terminologie, car l’on parle désormais de « collaborateurs de justice », et non plus de repentis. » Ce statut a été élargi en France afin de faire mieux que le bilan relativement faible de 50 personnes protégées sur une dizaine d’années, contre près de 6.500 en Italie.

Le régime carcéral « dur » en France est également influencé par celui de la péninsule, souligne Catherine Ménabé, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Lorraine. Le régime en Italie est particulièrement strict : « C’est un régime de restriction extrême des droits des détenus, basé sur l’isolement quasi-total », précise cette spécialiste, tandis que « le régime français des « quartiers de haute sécurité » n’est pas aussi dérogatoire au droit commun que son homologue italien. »

### « On s’aveugle […] en ne s’intéressant qu’au narcotrafic »

Cependant, bien que la France s’inspire de l’Italie, elle pourrait passer à côté d’éléments essentiels. « En France, on s’aveugle dans le sens où l’on ne s’intéresse qu’au narcotrafic », déclare Charlotte Moge, maître de conférences en études italiennes à l’université Jean Moulin Lyon 3. « La législation italienne combat diverses activités mafieuses, telles que l’extorsion de fonds, la traite des êtres humains, le trafic d’armes, le trafic de stupéfiants et le blanchiment d’argent. »

« La France commet une erreur en se concentrant uniquement sur le narcotrafic », ajoute Maud Righetti. « Elle devra évoluer car les associations criminelles sont elles-mêmes en pleine évolution et cherchent à exploiter tout ce qui est rentable. » L’influence italienne devrait donc se poursuivre : « La France devrait renforcer sa coopération avec les autorités italiennes car elle peine à détecter les signaux faibles de la présence de mécanismes mafieux », souligne l’historienne affiliée au laboratoire de recherches Triangle. « S’il n’y a pas de violences, on ne réagit pas. »

### Un arsenal surtout répressif en France

Contrairement à l’Italie, la France n’a pas de définition juridique précise de ce qu’est une mafia, selon les trois universitaires. « Cet arsenal est principalement répressif, mais il est très peu préventif concernant l’entrée des jeunes dans les milieux mafieux, » précise Maud Righetti. « De plus, il ignore totalement le volet de la réinsertion et de la rééducation des membres de la criminalité, alors que la société civile italienne réalise d’importants efforts dans ce domaine, notamment à travers l’association anti-mafia Libera. »

Un projet de loi pour aider les parents à sortir leurs enfants et des mères des systèmes criminels est en cours de développement en Italie. Une proposition inspirée du projet associatif « liberi di scegliere » (liberté de choisir) a été déposée en novembre. « Les associations de terrain, qui interviennent auprès des jeunes pour démystifier les organisations mafieuses, effectuent un travail considérable », souligne Charlotte Moge.

### Mobilisation de la société italienne contre les mafias

De manière plus générale, la société italienne est mobilisée contre les mafias, sensibilisée par une longue histoire marquée par ces organisations qui ont prospéré à travers les défaillances, voire l’absence de l’État italien. « En France, on pense que la mafia est éloignée et qu’elle n’existe pas chez nous », confie Maud Righetti. « Pourtant, les mafias ne s’usent pas aux frontières. Il est nécessaire d’avoir une mobilisation pour soutenir les associations de terrain et les magistrats. Mais d’abord, il faut reconnaître que des organisations aux dérives mafieuses existent bel et bien. »

« Les associations françaises ont besoin de l’aide de l’État, des institutions, des collectivités locales qui subventionnent », insiste l’historienne Charlotte Moge, « ainsi que du soutien de la communauté nationale. Parce que c’est le problème de tout le monde. »