France

Le viol conjugal, un sujet ignoré chez les couples adolescents.

Le 4 décembre 2016, Clémentine fête ses 16 ans et son petit ami de 18 ans lui rend visite pour la première fois. Dans une enquête réalisée par le collectif NousToutes en février 2020, une femme interrogée sur six explique avoir fait son entrée dans la sexualité par un rapport non consenti et désiré.


Clémentine attendait cette journée avec impatience. Le 4 décembre 2016, la lycéenne en filière technologique célèbre ses 16 ans et reçoit la visite de son petit ami, avec qui elle a une relation à distance depuis cinq mois. Leur après-midi se déroule comme un cliché d’adolescents. Ils flânent dans un marché de Noël, où il lui achète de petits cadeaux. En début de soirée, alors que les parents de l’adolescente partent travailler, le couple se retrouve seul à la maison.

« Il me mettait une pression constante depuis des mois pour qu’on le fasse, se souvient Clémentine. Il me disait : « Les couples, ça doit le faire. » » La lycéenne lui confie à plusieurs reprises qu’elle ne se sent pas prête pour sa première fois. Pourtant, le jeune homme de 18 ans déclare : « On le fait. » Clémentine pense alors qu’elle n’a « pas le choix ».

### Un manque de repères sur ce qui est sain ou non

« Il a commencé à me déshabiller et je me suis figée. Pendant tout le rapport, je n’ai pas bougé alors que j’ai eu extrêmement mal. J’avais la sensation d’être en dehors de mon corps. » Une fois que son copain se lève du lit, l’adolescente se sent « extrêmement sale », passant une heure à se frotter sous la douche. Au moment de se coucher, elle cherche à se tenir à distance de son petit ami. Cette situation se reproduira maintes fois au cours de cette première relation d’un an, que Clémentine résume aujourd’hui par « un bouquet de fleurs pour une claque ».

Dans une enquête réalisée par le collectif NousToutes en février 2020, une femme sur six explique avoir débuté sa vie sexuelle par un rapport non consenti. « Les jeunes filles sont plus vulnérables à ce type de violences car il s’agit souvent de leur première relation et elles manquent de repères sur ce qui est sain ou non, analyse Louise Delavier, directrice des programmes de l’association En avant toute(s). Tout ce que fait leur copain est perçu comme acceptable. » Clémentine acquiesce : « Il était plus vieux que moi et avait déjà eu des relations. Moi, je ne savais pas ce qu’était un couple, donc je pensais que cela devait être normal. »

### Une vision biaisée du viol

Capucine, élève dans un internat à Saint-Nazaire, évoque d’abord l’« amour fou » qu’elle ressent pour son premier petit ami avec qui elle se met en couple en Troisième. Cependant, leur relation prend une tournure différente. « Je devais tout le temps être à sa disposition. Il ne supportait pas la frustration et me disait « si tu n’as pas envie, tu dois te forcer parce que moi j’en ai envie. » » Lorsque la lycéenne refuse d’avoir une relation sexuelle, il boude, lui fait du chantage, se montre agressif ou la punit. « Il me disait de rester au pied du lit, sans oreiller ni affaires, jusqu’à ce que je change d’avis. » À bout de forces, elle finit par céder pour obtenir la paix.

Bien qu’elle ait vécu sa première relation pendant l’essor du mouvement MeToo, Capucine met des années à comprendre que ce qu’elle a subi durant trois ans porte un nom : le viol conjugal. « Je n’avais jamais entendu ce mot. Pour moi, un viol c’était une femme agressée la nuit par un inconnu. » L’image des violences conjugales est également faussée : « Les campagnes de prévention montrent des femmes plus âgées, mariées, avec un œil au beurre noir ou des blessures. »

### « Est-ce que c’est normal ce que je vis ? »

Même si Capucine minimisait les violences qu’elle subissait, elle savait que ce qu’elle vivait n’était « pas normal ». Cependant, elle ne se confie jamais à ses amies. « Je trouvais ça honteux d’être dans cette situation, de le laisser faire, et je ne voulais pas que les autres aient une mauvaise image de lui ou qu’il lui arrive des problèmes parce que j’y tenais. Quand j’avais des bleus, je disais que je m’étais cognée. »

Pour aider ces adolescentes, l’association En avant toute(s) a mis en place un tchat leur permettant de poser des questions sur leurs relations. « Les 16-25 ans sont surreprésentées parmi les victimes de violences conjugales, mais elles n’en ont souvent pas conscience et se rendent très rarement dans des structures d’aide », souligne Louise Delavier. Le site est donc davantage centré sur le couple et l’amour que sur les violences. « La plupart demandent : « Est-ce que c’est normal ce que je vis ? Est-ce que j’exagère ? », précise l’écoutante. Je me souviens d’une adolescente qui m’avait demandé si c’était normal de faire des fellations à son copain tous les matins. Il lui disait que tous les couples faisaient ça. »

### De rares cours d’éducation sexuelle

« Elles ne parlent jamais de viol, elles disent : « Je ne sais pas s’il me force parce que je finis par accepter. » Mais très souvent, elles cèdent face à un chantage ou une contrainte », assure Louise Delavier. C’est à l’écoutante de formuler les termes des violences subies.

Les établissements scolaires sont dans l’obligation de proposer au moins trois cours annuels d’éducation à la vie affective et sexuelle depuis la loi du 4 juillet 2001. Cependant, leur contenu et leur existence varient d’un établissement à l’autre. « J’ai eu seulement un cours basique au collège où un professeur a mis un préservatif sur une banane, déplore Clémentine. Jamais on ne nous a parlé de consentement ou de viol. » Ce n’est que plusieurs années plus tard, lors d’un cours de psychologie sur les viols conjugaux, qu’elle a un déclic. « J’ai fondu en larmes et j’ai dû sortir de la classe. »

### « Pendant qu’il forçait, je pleurais toutes les larmes de mon corps »

Ludvilla a également pris du temps pour réaliser que ce qu’elle avait subi relevait du droit pénal. Un mois avant son mariage avec son compagnon de lycée, ce dernier la sodomise alors qu’elle a perdu connaissance après avoir consommé beaucoup d’alcool. Le lendemain, elle ressent de vives douleurs et des « flashs » de son compagnon lui reviennent en tête. Il lui explique ce qui s’est passé. À 21 ans, elle veut « croire que ce n’est pas si grave », même si ses amies évoquent clairement le mot « viol ».

Quatre mois plus tard, alors qu’elle est enceinte de six mois et demi, son mari réitère l’acte. « On avait un rapport consenti et j’ai senti une contraction, alors je lui ai demandé de se retirer. Il a arrêté mais ensuite est devenu violent. » Ludvilla pleure, lutte, mais son conjoint continue. « Pendant qu’il forçait, je pleurais toutes les larmes de mon corps. » Elle prend alors conscience qu’elle est en train d’être violée par son mari. Elle revisite ses souvenirs. « Je me rends compte qu’il insistait souvent et que je cédais. Pour une fois, je ne cédais pas, et voilà ce qu’il faisait. »

### Stress post-traumatique et idées suicidaires

Les conséquences de ces violences intimes sont multiples. Pendant cinq ans, Clémentine n’aura aucune relation avec un homme. « Au début de mon histoire avec mon copain actuel, dès qu’il s’approchait de moi, j’avais peur. Mais j’ai de la chance d’être tombée sur un homme doux, patient et compréhensif. » La « chance » d’avoir un partenaire non violent.

Toutes trois ont souffert de stress post-traumatique et ont suivi une longue psychothérapie. Après son accouchement, Ludvilla commence à plonger. « Je n’arrivais pas à prendre mon bébé dans les bras sans pleurer et avoir des flashbacks du viol. » Elle souffre alors d’idées suicidaires et doit être étroitement surveillée. « C’est mon mari qui m’a surveillée, alors que c’est lui qui était à l’origine de mon mal-être. »

### « Mes amies désapprouvent ma relation »

Le couple suit une thérapie familiale et son mari accepte de participer à un groupe de parole pour hommes auteurs de violences. Après plusieurs ruptures, Ludvilla décide de rester avec lui, et ils ont depuis eu un troisième enfant. « Mes amies désapprouvent ma relation et je ne peux pas leur en parler. Je leur dirais la même chose s’il leur arrivait la même chose. »

Issue de l’Aide sociale à l’enfance et « victime d’inceste », la jeune mère de 25 ans estime que sa « perception de la gravité est biaisée » et considère sa situation comme « complexe ». « Quand j’étais au fond du trou, c’est mon mari qui a été le seul à être là pour moi. Je ne lui pardonne pas. Il a fait quelque chose de grave, mais c’est le cas de la majorité des hommes et lui n’est pas qu’un agresseur, il a su se remettre en question. » Pourtant, en tant que « militante féministe », elle ne souhaite pas que les victimes s’inspirent de son cas. C’est pourquoi elle a quitté la présidence du Collectif contre le viol conjugal, qu’elle avait fondé et pour lequel elle milite sans relâche.

### Un engagement militant

De son côté, après « un long travail thérapeutique », Clémentine a retrouvé sa confiance. Aujourd’hui, elle se sent « bien », « très bien même ». « Maintenant, je sais ce que je vaux et ce que je mérite. » Pour aider d’autres adolescentes, elle parcourt les lycées de son département pour faire de la prévention. « Beaucoup de filles me demandent si ce qu’elles vivent est normal et si elles peuvent porter plainte, alors je les dirige vers les personnes compétentes. »

Capucine a aussi décidé de se battre pour cette cause. Sur son compte Instagram « ovairestherainbow », suivi par près de 120.000 personnes, elle réalise des vidéos pédagogiques sur les violences faites aux femmes et leur traitement dans la société. Une façon de faire avancer les choses à son niveau.

* Enquête réalisée via un appel sur les réseaux sociaux auprès de 96.600 femmes (avec un biais, 75 % des répondantes ayant moins de 35 ans).

** Tchat « Comment on s’aime », gratuit et anonyme, accessible du lundi au jeudi de 10h à minuit et le vendredi et samedi de 10h à 21h.

Viols femmes infos : 0 800 05 95 95

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