Maroc

L’œuvre d’Abderrahim Kamal à l’Université Moulay Ismaïl de Meknès

Un hommage a été rendu à l’écrivain Abderrahim Kamal le 13 novembre 2025 à l’École Normale Supérieure de Meknès, coordonné par les professeurs Mohamed Semlali, Abdelouahed Hajji et Omar Benjelloun. Abderrahim Kamal est professeur de littérature française et francophone à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès et a publié de nombreux articles et ouvrages sur la littérature française et francophone.


À l’initiative du Laboratoire de recherche « Sciences du langage, Art, Littérature, Éducation et Culture », un hommage a été rendu à l’écrivain Abderrahim Kamal le 13 novembre 2025 à l’École Normale Supérieure de Meknès. Le débat avec l’auteur a donné lieu à des échanges riches et passionnants.

Coordonnée par les professeurs Mohamed Semlali, Abdelouahed Hajji et Omar Benjelloun, cette journée d’étude a rassemblé des universitaires marocains, des écrivains ainsi que des étudiants. Les participants ont analysé l’œuvre d’Abderrahim Kamal, notamment sa trilogie composée de Tkoulia, l’attente (Sagacita 2020 ; réédition Marsam 2025), Peaux et ocres (Marsam 2021) et Naufrages dans le désert (Marsam 2023), sous divers angles, mettant en lumière son originalité thématique, éthique et esthétique.

Le public a aussi bénéficié d’une conférence de l’auteur, où il a abordé son rapport à la littérature et à l’Histoire, ainsi que les concepts d’écriture du corps, du moi et de l’Autre. Agissant en tant que lexicographe, l’auteur a défini, selon son point de vue, des termes-clés tels que « langage », « écriture », « émotion » et « Histoire ».

Dans sa trilogie, le romancier développe une véritable esthétique de l’engagement. Comme il le déclare lui-même, « ce qu’il faut, c’est des mots qui cassent d’autres mots, comme la pierre casse la pierre » (Tkoulia, l’attente).

De cette perspective, les romans de A. Kamal incarnent une forme de littérature militante qui dépasse le folklore et l’exotisme. Ils remettent en question des situations historiques dans un contexte existentiel et éveillent la conscience du lecteur face à l’Histoire. Le retour au passé a pour but de réhabiliter une partie importante de l’histoire marocaine.

Il convient de rappeler qu’Abderrahim Kamal est professeur de littérature française et francophone à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès. Il a formé de nombreuses générations de chercheurs et d’enseignants, tant marocains qu’étrangers. Il a publié de nombreux articles et ouvrages sur la littérature française et francophone, ainsi que sur les arts plastiques au Maroc. Parmi ses ouvrages de critique littéraire, on peut citer, entre autres, La photographie selon Roland Barthes (1998), Le voir simonien. Esthétique et poétique de Claude Simon (2001), Lire le visible, Roland Barthes (2017) et Homo copiens (2018).

À ses étudiants, il transmet une exigente passion pour la littérature. Comme il le confie à son ami et frère de plume Bernoussi Saltani dans un entretien : « Enseigner est une passion et c’est cette passion du savoir et de l’art que j’essaie de communiquer à mes étudiants. »

Pour lui, le savoir ne peut être dissocié du savoir-être. Kamal a d’ailleurs souligné, lors de sa conférence, l’importance du travail sur l’être : « Travailler l’être, c’est mettre sa peau sur la table de travail, sans tomber dans l’égocentrisme ou l’égotisme. […] La finalité est claire : explorer, questionner, repenser ce qu’on a cru comprendre ou avoir compris ; mais aussi : sentir, faire sentir, produire une sensation et une émotion de ce qu’on a assimilé par strates, par procuration, souvent dans la douleur, parfois dans le bonheur d’écrire. »

En effet, l’écriture de l’Histoire chez Kamal ne se limite pas à des enjeux idéologiques simplistes propres à l’historiographie, mais fait appel à une poétique de la composition et de la décomposition. Il s’approprie la belle formule de Balzac : « Le roman est l’histoire privée des peuples. » Le romancier exploite ainsi les archives du passé pour les retravailler dans un espace de fiction. Cette structure offre un plaisir littéraire où la fabula se mêle à l’Histoire, visant à préserver la mémoire historique tout en révélant la complexité de l’humain à travers une œuvre littéraire. De ce point de vue, son œuvre est subversive ; le romancier porte un « regard lucide, triste, pensif et qui essaie de pénétrer vers l’essentiel » sur l’Histoire (Kundera, Une rencontre, 29). Que se révèle-t-il d’essentiel lorsque tous les rêves de l’homme se sont évaporés ? L’œuvre de Kamal répond par le terme : « Tkoulia ». Ce terme décrit un sentiment d’ennui, d’amertume et d’attente pour une génération. Ce ressenti incite un penchant pour la folie et la colère.

Abderrahim Kamal s’exprime avec une verve colérique dans ses romans aux échos historiques et politiques. Il réévalue l’irréductible singularité d’une époque marquée par la violence et la terreur, retraçant le destin d’une génération confrontée à une crise politique majeure, menant à un naufrage du pays et des corps. Pour Kamal, le corps constitue la mémoire secrète de la violence sociale, historique et politique.

Cette nouvelle édition d’Une œuvre, un écrivain perpétue une culture de reconnaissance et de gratitude envers les écrivains et les chercheurs qui ont œuvré – et continuent de le faire – à l’épanouissement des idées et de la culture. C’est également un hommage à Abderrahim Kamal, l’écrivain, l’universitaire et l’homme.

Par Abdelouahed Hajji
Université Moulay Ismaïl de Meknès