Maroc

Les relations franco-algériennes vont-elles s’apaiser après Boualem Sansal ?

La libération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été acceptée dans le cadre d’une demande allemande de grâce humanitaire, lui permettant de recevoir des soins en Allemagne après avoir été condamné à cinq ans de prison pour « atteinte à l’unité nationale ». La crise diplomatique entre Paris et Alger s’est aggravée fin juin 2024 lorsque le président Emmanuel Macron a exprimé le soutien de la France à l’initiative marocaine d’autonomie, ce qui a conduit Alger à rappeler son ambassadeur à Paris.


La libération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal semble représenter un geste d’apaisement à un moment où les relations entre Paris et Alger traversent l’une de leurs crises les plus sérieuses depuis des décennies. Bien que cette décision soit une avancée humanitaire indéniable, elle ne garantit pas une normalisation durable des relations bilatérales, d’importants différends structurels demeurant présents.

La crise diplomatique s’est intensifiée fin juin 2024, lorsque le président Emmanuel Macron a officiellement apporté le soutien de la France à l’initiative marocaine d’autonomie. Cette déclaration a été interprétée par Alger comme une atteinte à ses intérêts stratégiques. En réponse, les autorités algériennes ont rappelé leur ambassadeur à Paris, entraînant un gel presque total des canaux de communication. Cette rupture s’est ajoutée à un climat déjà pesant, alimenté par une série de tensions politiques, mémorielles et sécuritaires.

Pour sortir de cette crise, des médiations extérieures ont été nécessaires. Dans un premier temps, l’Italie a tenté d’intervenir, sans succès. C’est finalement l’Allemagne, grâce à l’intervention personnelle de son président Frank-Walter Steinmeier, qui a réussi à établir un canal d’apaisement avec Alger. La demande allemande de grâce humanitaire pour Boualem Sansal a été acceptée, ce qui a permis son transfert en Allemagne pour y recevoir des soins. L’écrivain avait été arrêté à son arrivée en Algérie et condamné à cinq ans de prison pour « atteinte à l’unité nationale », après avoir déclaré dans la presse française que la France avait annexé des territoires auparavant marocains, tels qu’Oran ou Mascara.

Cette libération, saluée par Paris, est perçue comme un premier signe de réconciliation, mais elle se situe dans un contexte diplomatique plus large. La récente adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU de l’initiative marocaine d’autonomie, avec une large majorité et sans opposition de l’Algérie – qui est pourtant membre non permanent du Conseil – représente un tournant significatif. Cela offre à Alger l’occasion de redéfinir sa posture régionale, après plusieurs années d’isolement diplomatique dues aux initiatives marocaines dirigées par SM le Roi Mohammed VI, appelant à un dépassement des tensions et à une coopération renforcée au Maghreb.

Sur le plan européen, l’Algérie a également intérêt à rétablir un dialogue constructif avec Paris et Berlin, alors que la révision de l’accord d’association avec l’Union européenne est cruciale pour son avenir économique. Cet accord, en vigueur depuis 2005, prévoit une élimination progressive des droits de douane et reste essentiel pour l’intégration commerciale de l’Algérie dans l’espace européen.

Dans ce contexte, plusieurs observateurs anticipent un possible réchauffement des relations dans les prochaines semaines. Une rencontre entre les présidents Macron et Tebboune, en marge du sommet du G20 à Johannesburg en novembre, est mentionnée mais n’est pas confirmée. Emmanuel Macron a exprimé sa volonté d’engager un dialogue global sur tous les dossiers d’intérêt commun. De son côté, le ministre français de l’Intérieur, Laurent Nunez – originaire d’Oran – prévoit une visite prochaine en Algérie, marquant un tournant plus conciliant après des tensions persistantes dans le domaine migratoire.

Cependant, de nombreux contentieux demeurent : la coopération sécuritaire dans un Sahel déstabilisé, les expulsions presque gelées de citoyens algériens en situation irrégulière, ou encore l’affaire d’un fonctionnaire consulaire accusé d’avoir participé à l’enlèvement de l’opposant Amir Boukhors, qui continue d’empoisonner les relations bilatérales. L’Algérie réclame toujours son extradition.

La question mémorielle, qui est centrale et hautement politique, reste un obstacle majeur. Malgré les promesses répétées de Macron de progresser sur le « dossier de la mémoire », Alger utilise ce sujet comme levier politique interne, bloquant tout réel avancement.

À cela s’ajoute un contexte politique français instable : les prochaines élections législatives et présidentielle consacreront inévitablement une place importante au débat sur l’Algérie, exposant toute réconciliation à des fluctuations électorales.

Ainsi, bien que la libération de Boualem Sansal représente une étape positive, elle n’est qu’un geste symbolique dans une relation affectée par des crises successives. Le chemin vers un véritable apaisement nécessitera une volonté politique soutenue, un dialogue structuré, et un traitement approfondi des sujets sensibles qui, depuis des décennies, alimentent l’incompréhension et la méfiance entre les deux rives de la Méditerranée.
**Paris Youssef Lahlali**