Finance alternative : Rétablir la confiance perdue
La finance alternative représente un potentiel largement sous-exploité pour relancer l’investissement en Tunisie, avec des outils tels que le co-investissement et le crowdfunding. Jalel Ben Romdhane, expert en ingénierie financière, souligne que des actions mesurables et une restauration de la confiance sont essentielles pour transformer les ressources en moteurs de croissance.
Alors que la Tunisie cherche à relancer sa croissance, un potentiel de solutions reste largement inexploitée : la finance alternative. Les mécanismes tels que le co-investissement, la transparence, l’implication de la diaspora et le crowdfunding existent, mais demeurent inactifs, en raison d’un manque de confiance et de décisions concrètes. Jalel Ben Romdhane, expert en ingénierie financière, estime que la relance de l’économie nécessite des actions mesurables qui prouveront que l’écosystème tunisien peut transformer son potentiel en résultats concrets.
La finance alternative est présentée comme un levier prometteur pour revitaliser les investissements, encourager l’innovation et mobiliser l’épargne nationale ainsi que celle de la diaspora. Jalel Ben Romdhane, figure centrale de ce domaine en Tunisie, souligne qu’il est essentiel de changer de méthode.
Il affirme que la question ne se limite pas à savoir si le pays possède les ressources, mais à la manière de restaurer la confiance et d’organiser l’action collective pour transformer ces ressources en véritables moteurs de croissance. Son analyse propose une stratégie basée sur la crédibilité, la transparence et l’engagement de la diaspora, des conditions nécessaires pour sortir de l’impasse où se trouve la finance alternative en Tunisie.
Dans ce contexte, Jalel Ben Romdhane, également fondateur du 1KUB, le premier incubateur inclusif dédié à l’entrepreneuriat féminin en Tunisie, pose une question essentielle : « Est-il invraisemblable que 5.000 Tunisiens prêtent chacun 200 dinars à une entreprise développant un produit 100 % tunisien, de l’ingénierie à la production ? »
Bien que cette vision puisse sembler difficile à réaliser, c’est davantage dû à un manque de confiance qu’à une pénurie de fonds. Pour restaurer cette confiance, il identifie trois leviers cruciaux. En premier lieu, il prône l’action collective par le co-investissement, en créant un fonds Business Angels-Diaspora où l’État interviendrait uniquement avec des capitaux privés. Ce mécanisme encouragerait la synergie, professionnaliserait la sélection des projets et répartirait les risques, tout en rappelant que ce modèle est déjà opérationnel au Maroc.
La transparence est le deuxième levier qu’il propose, en formant un observatoire indépendant chargé de publier régulièrement des données auditées concernant des indicateurs objectifs : montants levés, taux de survie des startups à trois ans, emplois créés, impact territorial.
Troisièmement, il souhaite relancer le crowdfunding, un outil à la fois simple et rassurant pour les citoyens-investisseurs. La Banque centrale pourrait, selon lui, rapidement activer sa sandbox réglementaire afin de délivrer, dans un an, deux ou trois premiers agréments de plateformes.
De plus, il suggère de former une centaine de Business Angels en deux ans et d’encourager cette dynamique avec des incitations fiscales sur les plus-values après une période de détention raisonnable. Jalel Ben Romdhane insiste sur le fait que le rôle de l’État ne doit pas se limiter à celui d’un bailleur exclusif, mais qu’il doit aussi garantir le cadre et faciliter les écosystèmes. La construction de la confiance repose sur des preuves tangibles, et selon lui, la diaspora tunisienne est un atout stratégique majeur. Au-delà des transferts de devises, elle incarne un pont normatif, portant les standards internationaux en matière de gouvernance et d’investissement. Pourtant, son implication se limite souvent à des transferts familiaux ou à des dons occasionnels.
Pour intégrer pleinement la diaspora à une stratégie d’impact, trois pistes sont évoquées.
La première consiste à créer des fonds structurés pour la diaspora, axés sur des secteurs porteurs tels que la technologie ou l’énergie verte, avec des montants d’entrée accessibles et un accompagnement juridique clair. La deuxième piste cherche à renforcer son rôle de référence normative, en instaurant des règles de gouvernance strictes : pactes d’associés, stratégies de sortie et reporting régulier. Clarifier les règles permettrait à la diaspora de sécuriser ses investissements et d’accroître la crédibilité de l’écosystème.
La troisième voie inclut des incitations fiscales et réglementaires, telles que l’exonération des plus-values après cinq années de détention ou un accès prioritaire à des projets étiquetés « impact socio-économique ».
Pour Jalel Ben Romdhane, il est crucial que la diaspora devienne un acteur fondamental de la gouvernance, de l’innovation et de la reconstruction économique. La finance alternative tunisienne, selon lui, a souffert d’années de discours qui n’ont pas débouché sur des actions concrètes. Bien que le cadre légal existe, il reste largement inapplicable. Pour sortir de ce « coma artificiel », plusieurs actions immédiates sont nécessaires.
La relance du prêt participatif est primordiale : à ce jour, aucune plateforme n’est agréée. L’activation de la sandbox réglementaire permettrait à trois plateformes de commencer leur activité dans les douze mois. Le prêt participatif est plus simple que l’investissement en capital et aide à reconstruire la confiance par une preuve tangible : le remboursement.
Le deuxième pilier consiste à réduire les frictions juridiques, en digitalisant et en simplifiant les procédures pour les plateformes, les Business Angels, les investisseurs et les entrepreneurs. Enfin, le troisième pilier repose sur la nécessité de mesurer et de crédibiliser la finance alternative, par l’instauration d’un observatoire indépendant qui publierait des données auditées dès la première année.
Il est également indispensable de former des investisseurs accrédités pour instaurer une véritable culture de l’investissement et du risque. L’objectif n’est pas de célébrer seulement quelques levées de fonds éparses, mais de suivre des indicateurs tangibles tels que le taux de survie à trois ans, les emplois créés ou l’impact territorial. Pour lui, la finance alternative n’est pas un outil accessoire, mais la méthodologie pour transformer les atouts du pays en résultats concrets. Il conclut : « Le vrai risque n’est pas d’échouer en essayant, mais de continuer à ne pas essayer ».

