France

« Prêt à accepter de perdre ses enfants : discours du chef d’état-major sur menace russe »

Mercredi, le chef d’état-major des Armées, le général Fabien Mandon, a affirmé que le pays devait restaurer sa « force d’âme pour accepter de nous faire mal et protéger ce que l’on est » et qu’il devait être prêt à « accepter de perdre ses enfants ». Selon lui, « la Russie, en 2022, c’était moins d’un million d’hommes sous l’uniforme », tandis qu’« aujourd’hui c’est 1,3 million, et ce sera aux alentours de deux millions en 2030 ».

Son intervention a suscité de vives réactions. Mercredi, le général Fabien Mandon, chef d’état-major des Armées, a déclaré lors du congrès des maires de France que la nation devait retrouver sa « force d’âme pour accepter de nous faire mal et protéger ce que l’on est » et qu’elle devrait être prête à « accepter de perdre ses enfants ».

Cette assertion était le résultat d’une longue réflexion sur la menace croissante de la Russie, qui, selon lui, « se prépare à une confrontation à l’horizon 2030 avec nos pays […] parce qu’elle est convaincue que son ennemi existentiel, c’est l’Otan et l’Union européenne ».

Des discours « va-t-en-guerre » et « alarmistes », selon l’opposition

Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise, a immédiatement fait part de son « désaccord total ». « Ce n’est pas à lui d’aller inviter les maires ni qui que ce soit à des préparations guerrières décidées par personne », a-t-il posté sur X. « C’est NON ! 51.000 monuments aux morts dans nos communes, ce n’est pas assez ? Oui à la défense nationale mais non aux discours va-t-en guerre insupportables ! », a clamé pour sa part Fabien Roussel, dirigeant du Parti communiste français. Sébastien Chenu, représentant du Rassemblement national, a ajouté que « le chef d’état-major n’a aucune légitimité pour affoler les Français avec des déclarations alarmistes qui ne correspondent en rien à la ligne officielle du pays ».

A contrario, la ministre des Armées, Catherine Vautrin, estime que le chef d’état-major des Armées « est pleinement légitime à s’exprimer sur les menaces » pesant sur la France. « Ses propos, sortis de leur contexte à des fins politiciennes, relèvent du langage militaire d’un chef qui, chaque jour, sait que de jeunes soldats risquent leur vie pour la Nation », a-t-elle déclaré sur X, en soulignant qu’il est « important que les maires soient sensibilisés au contexte actuel ».

« Notre responsabilité est claire : éviter tout affrontement mais nous y préparer, et consolider l’esprit de défense, cette force morale collective sans laquelle aucune nation ne pourrait tenir dans l’épreuve », a-t-elle rappelé. Comme plusieurs responsables européens, notamment allemands et danois, le général Mandon avait déclaré en octobre devant les députés que l’armée française devait se tenir « prête à un choc dans trois, quatre ans » face à la Russie, qui « peut être tentée de poursuivre la guerre sur notre continent ».

La Russie est « clairement dans une phase de préparation de quelque chose d’autre »

Comme mentionné précédemment, les propos du général s’inscrivent dans un discours plus large concernant la menace russe. « Je ne veux pas dépeindre un tableau trop noir », a affirmé le général Mandon lors de son intervention devant les maires de France. « Mais le président de la République me demande de lui permettre de protéger les Français et les Françaises, de protéger nos intérêts, notre pays, dans toutes les circonstances. Je regarde au-delà de nos frontières l’évolution, et très sincèrement, aujourd’hui, je vois que malheureusement, la dégradation s’accélère ».

Selon lui, le premier phénomène majeur est « un désengagement des États-Unis de l’Europe », qui, « dans le domaine de la défense, se concentre sur l’Asie ». Le deuxième facteur est « la guerre sur notre continent, depuis bientôt quatre ans ». « Tout ce qui se passe autour de nous montre que certains ont fait le choix de la force et que la Russie est convaincue que les Européens sont faibles ». Le général a souligné que, « dans un premier temps, la Russie, en 2022, comptait moins d’un million d’hommes sous l’uniforme, alors qu’aujourd’hui, elle en a 1,3 million, et cela atteindra aux alentours de deux millions en 2030 ». Il a également précisé que « 40 % de l’économie va à l’industrie de défense, et celle-ci produit plus d’équipements de défense qu’elle n’en consomme sur le front ».

La Russie serait donc « clairement dans une phase de préparation de quelque chose d’autre ». « Les Européens réunis sont largement plus forts que la Russie, c’est pourquoi il ne faut pas être pessimiste. On a tout le savoir, toute la force économique, démographique, pour dissuader le régime de Moscou d’essayer de tenter sa chance plus loin ». Il a ensuite déclaré : « Ce qu’il nous manque, c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal, pour protéger ce que l’on est. Si le pays flanche, parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, de souffrir économiquement parce que les priorités iront à de la production de défense, si on n’est pas prêt à ça, alors on est en risque ».

« La France a vécu jusqu’ici dans une bulle »

Interrogé par 20 Minutes, l’analyste géopolitique Louis Duclos estime que le général Mandon « est dans son rôle ». « Il n’est pas en train de dire que l’on va aller en guerre, mais que nous sommes dans un contexte sécuritaire international de plus en plus dégradé, avec la Russie qui menace nos alliés, et qu’il faut s’attendre dans les années qui viennent à ce qu’il y ait une confrontation. Ce qui veut dire que des militaires seront engagés auprès de nos alliés. Il faut se rendre compte de la réalité dans laquelle la France évolue aujourd’hui. Jusqu’ici, la France a vécu dans une bulle que le général Mandon a voulu éclater. Le message, c’est que l’on arrive au bout de 80 ans de paix, et que si on ne trouve pas un moyen de contrer la Russie, on risque d’être un jour contraint de sacrifier nos enfants ».

Pour le consultant en risques internationaux Stéphane Audrand, « le chef d’état-major reprend dans ce discours la totalité des éléments de langage qui ont été validés par le pouvoir politique, et que l’on peut lire dans la « Revue nationale stratégique ». Sur le fond, il s’agit d’ouvrir les yeux aux gens sur un pays qui a décidé d’en découdre ».

Notre dossier sur la guerre en Ukraine

Pour l’expert, « l’institution militaire a pris conscience, il y a un an environ, de la volonté d’escalade de la Russie, et elle se prépare. Mais il y a des limites à cette préparation sans embarquer le reste de la société ». Il évoque alors la même image : « Il faut aussi être conscient que la société française a été enfermée par ses politiciens dans une bulle hors du monde, depuis cinquante ans. Il faut revenir dire aux Français que notre mode de vie dépend d’un certain nombre d’équilibres, ce qui veut dire qu’il va falloir se préparer à aider nos voisins s’ils sont attaqués ». Le spécialiste estime également que « dans cette affaire, il y a un nombre de politiciens qui ont un problème avec la parole militaire publique, à l’extrême droite comme à l’extrême gauche ».

« Le pays n’est pas prêt à entendre ce genre de paroles, mais le but de ce discours est justement de choquer les esprits pour réveiller la société », poursuit Louis Duclos. « On a quand même le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius, qui a déclaré il y a quelques jours que l’Europe avait peut-être vécu son dernier été en paix. Imaginez si Catherine Vautrin ou Sébastien Lecornu avaient dit cela ! »