France

Exportations massives et qualité en hausse : le poulet polonais indisponible.

La Pologne est le premier producteur européen de poulet, avec 1,5 milliard d’animaux abattus en 2025, représentant 22,5 % de la production des Vingt-sept. Près de 70 % du poulet produit en Pologne traverse la frontière, dont 44 % en Europe.

De notre envoyé spécial à Varsovie,

Lorsqu’on parle de chocolat à Genève, les Suisses perdent leur fameuse neutralité pour affirmer qu’il n’existe pas de meilleur chocolat qu’ailleurs. De même, à la mention des pâtes, un Italien se lance dans une fervente explication sur les carbonaras de sa mère, la folie de couper les spaghettis, et la dominance du pesto Genovese sur le Rosso. La Pologne possède également son produit emblématique : le poulet. Avec 1,5 milliard d’animaux abattus en 2025, le pays se classe comme le premier producteur européen (22,5 % de la production des Vingt-sept) et le dixième mondial.

Cependant, à la différence des Italiens ou des Suisses, la plupart des Polonais semblent ignorants du trésor dont ils disposent. En entendant ces chiffres impressionnants, un habitant de Varsovie se montre bien plus surpris que fier. « Le premier producteur européen ? Vraiment ? », interroge l’un d’eux. « Une place spéciale pour la volaille dans notre pays ? Je ne le savais pas… », reconnait un autre. « Êtes-vous sûr ? Notre pays est plutôt amateur de porc », soutient même un troisième.

Le poulet, roi des exportations

À Varsovie, le poulet est absent. On s’attendait pourtant, au regard du nombre de volailles en Pologne, à croiser des élevages dans toute la capitale ou des poules domestiques remplaçant les chats. On aurait pensé trouver du poulet à chaque coin de rue et des KFC bâtis comme des temples. Pourtant, rien de tout cela. Même sur les cartes des restaurants ou dans les rayons des supermarchés, aucune trace de la « poulet-mania » qui semble régner dans le pays.

En Pologne, l’animal est perçu comme un produit d’exportation, ne restant que 41 jours dans le pays avant de partir vers d’autres assiettes. La production nationale est, de toute manière, deux fois supérieure à la consommation intérieure, et près de 70 % du poulet produit sera exporté, dont 44 % vers l’Europe. Depuis son entrée dans l’Union européenne, en 2004, la Pologne a tiré parti de cette volaille pour intensifier ses exportations. En 2009, le pays n’abattait que 100 millions de volailles, et en 2018, il a dépassé le milliard pour la première fois.

Pourquoi le poulet occupe-t-il cette position ? « Il prend peu de place, se développe rapidement et est polyvalent. Toutes les religions l’autorisent, tous les pays en consomment. Il n’est sacré nulle part, pas plus qu’interdit », se félicite Andrejz, un éleveur à une centaine de kilomètres de Varsovie. Bien que la viande de porc soit plus traditionnelle – un Polonais mange en moyenne quarante kilos par an, contre moins de 30 pour le poulet – celle-ci est prohibée dans plusieurs pays musulmans. Dans un monde où la compétition est sans merci, la population de porcs en Pologne a diminué de – 20 % en dix ans, passant de 11,3 millions à seulement 9,1 millions, laissant la place à un poulet plus lucratif.

A chaque pays sa pièce de volaille

Quant aux conditions d’élevage ? On n’en discute pas beaucoup, assurant que « tout est respecté », et on évoque surtout l’efficacité légendaire du pays : des élevages de plusieurs centaines de milliers de poulets, des infrastructures modernes, et une qualité de viande de plus en plus reconnue. L’élevage polonais est capable de produire du bio ou du halal selon les demandes des consommateurs à des milliers de kilomètres.

Romain, un éleveur français, doit admettre : « Il est temps de mettre de côté les stéréotypes : oui, c’est de la bonne viande. Nous ne pouvons pas rivaliser avec leurs prix, et ils offrent une qualité suffisamment bonne pour séduire les consommateurs. » Cet avoue ne sera pas beaucoup répété. Après cette admet, il se plaint de la PAC (Politique agricole commune, que la Pologne a rejoint en 2004), « qui a armé et financé les élevages polonais, les rendant ultra-compétitifs. » La Pologne est devenue le principal fournisseur de poulets en France.

Il est d’autant plus difficile de concurrencer les prix que la Pologne expédie sa volaille en morceaux pour optimiser les achats. Petit à petit, Borys, un autre éleveur, explique : un poulet contient environ 20 % de blanc (ou filet), la partie la plus recherchée à l’Ouest. C’est donc ici que la Pologne envoie entre 80 et 90 % de ses blancs de poulet. « C’est là où nous avons la meilleure marge », précise l’éleveur. Les ailes et les cuisses, quant à elles, sont principalement destinées à l’Afrique et à l’Asie, l’Occident étant de moins en moins friand de ces morceaux. « L’idée est d’envoyer chaque partie du poulet vers les pays qui paient le meilleur prix à chaque fois ».

Les restes pour la Pologne

Les Polonais ne se retrouvent qu’avec les parties les moins nobles de l’animal. Carcasses, chair transformée en saucisses, abats… Alors, ils tentent de se réconforter. Ici, le blanc de poulet est souvent perçu comme un caprice un peu « fragile » provenant de l’Ouest, assure Oleg, un restaurateur de la ville : « C’est fade, ça manque de goût et de consistance. Peut-on encore considérer cela comme de la viande ? ». Il assure qu’auparavant, il était impossible de survivre à l’hiver slave avec des aliments à seulement 121 calories pour 100 grammes.

Cependant, la Pologne, qui continue de se Ouest-aliser au fil des années, connaît sa propre tendance au « healthy », au fitness, au running, et à ces mouvements de consommation saine qui touchent l’Europe depuis quelques années. Le blanc de poulet, peu calorique et riche en protéines, devient peu à peu à la mode, surtout en milieu urbain, tandis que la viande rouge, jugée cancérigène, perd de son attrait. Il n’est pourtant pas aisé de ramener ces précieux filets au pays, tant ils génèrent des millions d’euros dans un pays aux déficits croissants. « On achète du poulet moldave, alors que vous avez le nôtre, meilleur », sourit sarcastiquement Agnieszka, runneuse qui se contente de yaourt nature 0 % pour assurer ses besoins en protéines sans matières grasses.