France

Assemblée nationale : Fin des séances jusqu’à minuit ? « C’est un truc de député parisien… »

Depuis le 24 octobre, les députés planchent sur le projet de loi de finance (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, a proposé aux présidents de groupe de supprimer les séances nocturnes, pour siéger désormais uniquement jusqu’à 21 heures, du lundi au jeudi.

À l’Assemblée nationale,

Les parlementaires sont-ils au bord de l’épuisement ? Le marathon budgétaire se poursuit à l’Assemblée nationale. Depuis le 24 octobre, les députés examinent le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Les débats, souvent intenses, commencent généralement à 9 heures et se terminent à minuit, y compris certains week-ends. Ce rythme effréné pousse la présidente de l’Assemblée à envisager une révision des règles du palais Bourbon. Selon le Figaro, Yaël Braun-Pivet aurait proposé aux présidents de groupe de supprimer les séances nocturnes, pour ne siéger que jusqu’à 21 heures, du lundi au jeudi. Mais quelle est l’opinion des concernés ?

« Ça ne sert à rien d’avoir des gens crevés »

« Ça fait cinquante jours qu’on travaille intensément, cette organisation du travail n’est pas satisfaisante… », déclare Erwan Balanant. Le député MoDem du Finistère plaide depuis longtemps pour abolir les séances du soir. « Sauf urgence, il faut réfléchir à une organisation beaucoup plus cohérente. Terminer à 21 heures permettrait de se ressourcer, d’approfondir les sujets, et d’avoir une vie de famille plus équilibrée. Ça ne sert à rien d’avoir des gens crevés lors des séances nocturnes, où l’efficacité diminue et où des incidents peuvent survenir », ajoute l’élu centriste.

« Cela affecte notre capacité de concentration. Parfois, on ne sait plus trop sur quoi on vote, quel amendement est à l’ordre du jour, cela va trop vite. La fatigue se ressent, surtout dans le contexte politique actuel où il n’y a pas de majorité et où il faut rester constamment vigilant », témoigne le socialiste Laurent Baumel. « Les séances nocturnes sont plus difficiles à suivre, la tension diminue, et il peut y avoir un relâchement dans les groupes et des votes inattendus », souligne l’élu d’Indre-et-Loire. Son collègue Arthur Delaporte partage le même constat : « Ce n’est pas sain de légiférer de 9 heures à minuit. Dire que l’on a la même concentration et éloquence lors des séances de nuit serait faux… on assiste à une forme de virilisation du débat politique, dans laquelle le besoin de repos n’est pas pris en compte », précise l’élu PS du Calvados.

« Il faut fatiguer les chevaux… »

La présidente de l’Assemblée envisagerait de tester cette nouvelle organisation de 21 heures pendant quelques mois à partir de janvier, mais pas pour les textes budgétaires. Toutefois, certains élus se montrent prudents, comme Eric Coquerel, président insoumis de la commission des Finances : « Il y a des avantages et des inconvénients. Pour le personnel administratif et les collaborateurs, ce serait positif. Il est certain qu’on légifère moins bien à minuit quand on est fatigué », admet l’élu LFI. « Mais j’ai peur qu’il y ait une intention politique derrière cela, visant à limiter le nombre d’amendements et le temps de débat, ce qui pousserait à une Assemblée minimaliste… », met-il en garde. « Le soir, ce n’est pas le moment où l’on est le plus alerte. Donc pourquoi ne pas essayer une nouvelle organisation, faire le bilan et choisir la solution la plus efficace ? », reconnaît, avec prudence, Laurent Jacobelli, député RN de Moselle. « Mais cela reste une question secondaire par rapport aux problèmes que rencontrent les Français », ajoute-t-il.

Du côté écologiste, l’idée est généralement bien reçue, mais Sandrine Rousseau élargit la question. « Les majorités se jouent parfois à une voix le soir, donc il y a une grande responsabilité sur nos épaules. Mais je pense qu’il est nécessaire de revoir le rythme général », déclare l’élue écologiste de Paris. « Nous avons besoin de temps pour retourner en circonscription, mais aussi pour nos vies personnelles. Ces règles datent d’une autre époque, celle de Bayrou, où la politique était principalement masculine et les femmes, à la maison », ajoute-t-elle.

« Antiparlementarisme primaire »

D’autres députés rencontrés à l’Assemblée ce mardi sont beaucoup plus opposés à l’initiative de Yaël Braun-Pivet : « C’est une initiative de député parisien », critique Harold Huwart, député Liot d’Eure-et-Loir. « Quand on est député de province, on a plutôt envie de maximiser les heures de séance. Quand on est bloqué ici à Paris, autant y travailler. Et tant pis pour les élus parisiens qui préfèrent passer leurs soirées tranquillement. Si Braun-Pivet est fatiguée, qu’elle reste chez elle se reposer », raille le porte-parole du groupe centriste. « Nous avons toujours travaillé la nuit et les week-ends. Faire croire que l’on est fatigué alimente l’antiparlementarisme primaire », affirme Prisca Thevenot, députée Ensemble pour la République (EPR). L’ancienne porte-parole du gouvernement Attal critique cette proposition émanant pourtant de son propre camp : « Nous ne sommes pas là pour partager nos états d’âme. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une meilleure visibilité sur le calendrier pour pouvoir nous organiser. Et qu’il n’y ait pas d’annulations de séances du week-end 24 heures avant, comme cela s’est produit vendredi dernier… »

Charles de Courson, député depuis plus de trente-deux ans au palais Bourbon, constate que ces propositions de réforme refont surface régulièrement. « Cela ne tient pas la route », déclare l’élu Liot. « On semble oublier que 80 % des députés sont des provinciaux, et que certains mettent 4 ou 5 heures à rentrer chez eux. Donc, à part les élus parisiens, beaucoup y sont hostiles. » Le député de la Marne balaie aussi les arguments concernant la fatigue accumulée ces derniers mois. « De quels députés parle-t-on ? De ceux qui restent encore lorsque les séances se terminent tard ? Nous ne sommes plus beaucoup. Et puis quand on est fatigué, on va plus vite. Comme on le disait autrefois : il faut fatiguer les chevaux pour les calmer… »