France

Obsèques de Mehdi Kessaci : Marseille choquée et apeurée sous haute surveillance

Le 12 octobre 2023, Mehdi Kessaci, âgé de 20 ans, a été abattu de six balles de 9 mm à Marseille, à cinq cents mètres de l’endroit où il venait de garer la voiture de sa sœur. Une marche blanche est prévue pour ce samedi, en mémoire de Mehdi, et partira du lieu de son assassinat.


« Le charbon 7/7 – 24/24h – c’est par là », indique une inscription négligée, commune à Marseille, et affichée à l’entrée de la cité Frais-Vallon, dans les quartiers nord. Ce mardi, le porche où sont affichés les menus des drogues est désert. À 50 mètres, de l’autre côté du bâtiment B, Amine Kessaci assiste à la cérémonie religieuse pour son frère Mehdi, 20 ans, tué ce jeudi de six balles de 9 mm, à cinq cents mètres, alors qu’il était au volant de la voiture de sa sœur, qu’il venait de garer devant une pharmacie. Mehdi est le deuxième frère Kessaci à être tué par le narcotrafic, après l’aîné Brahim, décédé à la fin de l’année 2020. Tandis que Brahim semble avoir été la victime d’un règlement de comptes entre trafiquants, Mehdi se tenait éloigné de cette violence qui touche tant de jeunes à Marseille. Il se préparait aux concours de la police. Selon les éléments de l’enquête, son meurtre serait le premier « d’avertissement » lié aux engagements d’Amine, militant politique chez EELV, connu pour sa lutte contre le narcotrafic avec son association « Conscience », créée après la mort de Brahim, exécuté puis brûlé dans le coffre d’une voiture.

Entre les grands bâtiments entourant la mosquée de Frais-Vallon, plusieurs dizaines d’habitants, voisins, amis et proches des Kessaci se rassemblent ce mardi après-midi, peut-être une centaine. Le soleil d’hiver peine à réchauffer les corps ; c’est une entreprise vaine pour les cœurs, froids et lourds.

La sécurité mise en place est inédite. Une centaine de policiers, en uniforme et en civil, du RAID et de la BAC, patrouillent à chaque accès de la cité, dans ce dédale de béton. Les trois entrées de la mosquée sont surveillées par des agents armés, exhibant des fusils d’assaut.

« On a tous peur », confie une dame, en route pour la mosquée, à 20 Minutes. Elle espère « ne pas avoir été vue en train de parler » avant d’aller prier. « C’est important pour la famille », ajoute-t-elle.

### « Des balles perdues, il y en a déjà eu, mais ça… »

« La peur », c’est aussi ce que ressentent Karina et Sandra, deux habitantes de 40 et 38 ans. « On est tous choqués. Ils ne se cachent même plus, ils n’ont plus peur de rien, et c’est ça qui nous fait peur. S’ils ont tué Mehdi juste parce que son frère Amine parle, de quoi sont-ils capables ? Des balles perdues, il y en a déjà eu, mais ça n’en était pas une », déclarent ces deux femmes, qui veillent avec inquiétude sur leurs enfants. Cet assassinat ne les incite pas à s’engager contre le narcotrafic. « Je n’y avais pas vraiment pensé, mais alors là, encore moins », dit Sandra, que l’association Conscience avait aidée dans des démarches administratives. « C’est n’importe quoi, mais qu’est-ce que tu veux qu’on y fasse ? », s’interroge un homme qui est venu avec sa femme du 15e arrondissement voisin, où vivait le père d’Amine et Mehdi avec leur belle-mère. « L’important aujourd’hui, c’est d’être avec la famille, de prier pour elle et le défunt », conclut-il.

La foule en deuil est silencieuse. Les regards sont embués, les visages hagards. À la sortie de la mosquée, un homme trébuche. Peu avant, le père d’Amine et Mehdi Kessaci s’est effondré, « fou de douleur, malade de chagrin », comprend un ami venu pour chasser les caméras qui filment cette scène.

### Des obsèques en gilet pare-balles

Faouzi reste à l’extérieur de la mosquée pendant la cérémonie. « Ça dépasse toutes les bornes, toutes les limites ». À 71 ans, cet ancien mécanicien a passé l’essentiel de sa vie à Frais-Vallon. « Il y a beaucoup de monde », constate-t-il, espérant que cela « amène les gens à réfléchir, car on ne peut pas mettre un policier derrière chaque personne ».

Amine Kessaci, lui, a plus d’un policier en permanence derrière lui. À 22 ans, sa vie est devenue un cauchemar. Sous protection policière renforcée depuis l’assassinat de Mehdi, le jeune homme apparaît vêtu d’un gilet pare-balles sous sa veste en jean ouverte, et entouré de quatre policiers du RAID, avant de monter dans un van d’une escorte comprenant une dizaine de véhicules, en direction du cimetière de Saint-Henri.

De Frais-Vallon à Saint-Henri, le trajet représente à lui seul une géographie du narcotrafic marseillais : la Paternelle, suivie de Bassens, puis la Visitation, Campagne-Lévêque un peu sur la gauche, et enfin la Castellane, à quelques centaines de mètres au-dessus du cimetière où l’inhumation se déroule dans l’intimité.

Quelques officiels et élus se tiennent à distance. La grande famille des écologistes marseillais, avec qui Amine Kessaci a concouru aux élections européennes de 2022 et aux législatives de 2024, est présente. Laurent Carrié, ancien préfet délégué à l’égalité des chances ayant géré le « plan Marseille en grand », est également présent, aux côtés de Sabrina Roubache.

### Une marche blanche ce samedi

Ce jeudi, les ministres de la Justice Gérald Darmanin et de l’Intérieur, Laurent Nuñez, sont attendus à Marseille. Emmanuel Macron a annoncé une visite mi-décembre. Entre-temps, une marche blanche est prévue pour ce samedi, partant du lieu de l’assassinat de Mehdi.

Ce mardi, Marseille essuie de nouveau ses larmes. Mais déjà, d’autres commencent à couler. Peu après 14 heures, alors que la cérémonie religieuse débute à Frais-Vallon, un homme est touché par des balles dans la cité des Olives, voisine de Frais-Vallon. Il est décédé.

« Vivre et mourir en terre de narcotrafic », est le sous-titre du livre Marseille, essuie tes larmes, un réquisitoire personnel contre les réseaux, publié par Amine Kessaci en décembre dernier. À l’intérieur, il écrit des mots d’une justesse que l’on n’aurait pas souhaitée prophétiques : « Il faut parler. Il faut raconter. Même si ça fait mal. Même si ça salit un peu les souvenirs. Même si on doit y laisser des plumes ».