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Tensions Tokyo-Pékin sur Taïwan : risque de guerre ?

Le Japon a appelé ses ressortissants en Chine à la prudence, dans un contexte de tensions entre les deux pays depuis des déclarations de la Première ministre nippone concernant Taïwan, une île dont Pékin revendique la souveraineté. Le ministère chinois des Affaires étrangères a répliqué : « Si quiconque ose s’ingérer dans la cause de la réunification de la Chine, sous quelque forme que ce soit, Pékin ripostera avec force ».


Les tensions récentes entre la Chine et le Japon ne sont pas nouvelles. Ce climat de tensions et de déclarations parfois inélégantes interpellent. Les deux pays pourraient-ils en venir à un conflit armé ou à une guerre ? Cette analyse des relations sino-japonaises, marquée par une diplomatie de la menace, apportera des éléments de réponse.

### Escalade verbale de ces derniers jours

Le Japon a mis en garde ses ressortissants en Chine, dans un contexte de tensions exacerbé par des déclarations de la Première ministre japonaise sur Taïwan, une île dont Pékin revendique la souveraineté.

Sanae Takaichi, en poste depuis le 21 octobre, a déclaré le 7 novembre devant le parlement japonais que dans une situation d’urgence impliquant « le déploiement de navires de guerre et le recours à la force, cela constituerait une menace pour la survie du Japon ». Elle laisse entendre que le Japon pourrait justifier l’envoi de troupes pour défendre Taïwan au nom de la légitime défense collective.

Le ministère chinois des Affaires étrangères a réagi en affirmant : « Si quiconque ose s’ingérer dans la cause de la réunification de la Chine, sous quelque forme que ce soit, Pékin ripostera avec force. » Le consul général de Chine à Osaka, Xue Jian, a également menacé, dans un tweet aujourd’hui supprimé, de « couper cette sale tête sans la moindre hésitation ».

Les précédents Premiers ministres japonais avaient tendance à éviter de commenter directement la défense de Taïwan face à Pékin, préférant adopter une « ambiguïté stratégique » similaire à celle de Washington. Le Japon a cependant affirmé, le 14 novembre, que sa position sur Taïwan demeurait « inchangée » et qu’il appelait à « la paix et à la stabilité » dans le détroit de Taïwan.

### Rivalités entre la Chine et le Japon

Taïwan n’est pas le seul point de discorde entre les deux nations. La Chine réclame certaines petites îles de mer de Chine orientale, administrées par le Japon. Tanguy de Wilde d’Estmael, professeur de relations internationales à l’UCLouvain, déclare : « Il y a à la fois une coopération entre les deux pays et des tensions en mer de Chine du Sud liées à des prétentions territoriales. » Il souligne que des images de navires de guerre illustrent des confrontations entre les forces japonaises et des chalutiers chinois.

La Chine est le premier partenaire commercial du Japon, mais les deux pays sont également concurrents dans des secteurs comme l’automobile et l’électronique. Ce regain de tensions suscite des inquiétudes économiques, avec des appels aux citoyens chinois pour éviter de se rendre au Japon, entraînant une chute des actions japonaises liées au tourisme et à la distribution.

Les deux économies asiatiques sont en effet étroitement intégrées, la Chine étant la première source de visiteurs étrangers dans l’archipel nippon. Le ressentiment remonte aux années 30, lorsque le Japon a envahi une grande partie de la Chine, une période encore douloureuse pour les Chinois.

### Instrumentalisation de l’histoire

Le Japon a occupé la Chine de 1931 à 1945, une période marquée par des violences rendant difficiles les relations actuelles. Tanguy de Wilde d’Estmael note que le massacre de Nankin, commémoré pour les atrocités japonaises, est souvent évoqué dans le contexte de tensions anti-japonaises.

La Chine a aussi recommandé à ses ressortissants d’éviter le Japon en raison des tensions persistantes.

### Taïwan, le casus belli

Taïwan est autonome depuis 1949, mais son indépendance n’a jamais été formellement déclarée, laissant une ambiguïté dans les relations internationales. L’ONU ne la reconnait pas comme un État. Les relations diplomatiques sont complexes, et Tanguy de Wilde explique que « même en Belgique, on ne l’appelle pas ambassade, mais bureau représentant Taïwan ».

Pékin ne peut accepter une division de la Chine ; une déclaration d’indépendance de Taïwan serait considérée comme une cause de guerre. Selon le professeur, les Taïwanais savent que l’indépendance ne sera jamais proclamée, alors qu’une large autonomie est envisageable.

### Attitude des États-Unis

Les États-Unis privilégient le statu quo. Tanguy de Wilde note qu’avec Trump, l’accent est mis sur leurs intérêts. Trump évite de préciser s’il défendrait Taïwan en cas d’attaque chinoise, ayant dit que Xi Jinping comprendrait les « conséquences » d’une éventuelle invasion.

La Chine s’est dite « très mécontente » de la vente d’armes américaine à Taïwan, survenue peu après le retour au pouvoir de Trump en janvier. Le Japon bénéficie de la protection des États-Unis, qui depuis la guerre de 1941 à 1945, sont devenus les gardiens d’un Japon sans armée.

### Guerre sino-japonaise ?

Les experts s’interrogent sur la possibilité d’un conflit armé entre le Japon et la Chine. Tanguy de Wilde affirme : « Tout le monde comprend qu’il faut éviter cela, surtout avec les démonstrations de force chinoises. » Le Japon n’attaquera pas et a une constitution pacifiste, se réservant un recours défensif en cas d’agression.

La Chine, quant à elle, privilégie une coopération forte avec Taïwan pour éviter un conflit, mais certaines thèses avancent que la pression pourrait augmenter progressivement sur l’île. Le Royal United Services Institute avertit que la Russie pourrait aider la Chine à se préparer à une éventuelle prise de Taïwan.

Pour tenter d’apaiser les tensions, Masaaki Kanai, haut responsable du ministère japonais des Affaires étrangères, a visité Pékin pour rencontrer son homologue chinois, Liu Jinsong.