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Guerre en Ukraine : lassitude en Pologne envers réfugiés ukrainiens

En 2022, des millions d’Ukrainiens fuyaient l’invasion russe et franchissaient la frontière vers la Pologne. Seulement 48 % des Polonais acceptent désormais les Ukrainiens, un soutien qui était de 94 % en mars 2022.

De notre envoyé spécial à Varsovie,

En plein passage piéton, Malgorzata s’arrête brusquement. « Vous avez entendu le couple qui passe ? Ce sont des Ukrainiens », dit-elle avec fierté, heureuse d’avoir identifié d’autres « ils ». C’est son troisième groupe en moins d’une heure, à force d’écouter attentivement. « Ils », ce sont des Ukrainiens. « Ce ne sont pas des migrants comme ceux que vous avez en France, ils ont la même couleur de peau, les mêmes vêtements, nous nous ressemblons beaucoup », ajoute-t-elle. À l’avis de cette femme de cinquante ans, on peut tout de même repérer une Ukrainienne, même si elle est silencieuse : « Elles sont souvent beaucoup plus maquillées qu’une Polonaise. » Bien que cette méthode ait ses limites, la langue reste le moyen le plus simple de distinguer les deux peuples pour ceux qui veulent tenter ce type de recensement, devenu un véritable sport national en Pologne.

La Maison ukrainienne de Varsovie, la principale organisation représentant ce qui est désormais la deuxième nationalité du pays, le confirme : de plus en plus d’Ukrainiens, victimes d’agressions, évitent de parler leur langue dans l’espace public pour ne pas être remarqués. « Certains s’efforcent même de perdre leur accent », déplore Myroslava Keryk, présidente de l’institution. « Il ne se passe plus un jour sans qu’on ne nous rapporte d’incident. Le climat a tellement changé… »

Seulement 48 % des Polonais acceptent les Ukrainiens

En 2022, des millions d’Ukrainiens ont fui l’invasion russe et sont passés la frontière. Les gares de chaque ville polonaise accueillaient des réfugiés en grand nombre, dans un élan national sans précédent. À Varsovie, on raconte l’histoire d’une Ukrainienne qui, malgré la loi obligeant les hommes à rester pour combattre, a pris son fils de 20 ans pour l’emmener de force après la mort de son mari au front. Ou celle d’une autre mère, venue en Pologne avec ses deux enfants malades du cancer, qu’elle a fait sortir de l’hôpital en pleine traitement. De telles histoires de malheurs se comptent par milliers et ont laissé des blessures durables dans les cœurs.

Mais il est bien connu que l’amour dure trois ans, et une certaine lassitude, au mieux, une xénophobie, au pire, s’est peu à peu installée dans le pays. Le soutien en faveur de l’accueil des réfugiés, qui était de 94 % en mars 2022, a chuté à 48 % en octobre 2025, selon le Centre de recherche sur l’opinion publique (CBOS). « Je discutais avec une amie, et on m’a hurlé de parler en polonais, le poing serré vers nous », regrette Macha, femme de ménage en CDD, constatant qu’il est devenu beaucoup plus difficile d’obtenir un nouvel emploi ou un appartement à cause de son accent « déviant ». « On nous fait comprendre qu’on est de trop, sans oser répliquer. » La Maison ukrainienne le confirme : quasiment aucune plainte n’est déposée. Et quand elles le sont, elles sont classées sans suite. Macha le remarque : personne n’a réagi à son agression ; quel témoin pourrait-elle avoir ?

« Combien de criminels sont venus parmi eux ? »

Entre un et 1,5 million d’Ukrainiens réfugiés de guerre sont restés en Pologne, représentant 4 % de la population, sans compter la diaspora déjà présente avant le conflit. Une anomalie pour un pays qui, jusqu’à récemment, comptait très peu d’immigration — environ 100 000 étrangers en 2010. « Il y a eu un appel d’air, comme en Allemagne avec les Syriens. Je ne doute pas que la plupart soient de bonne foi, mais combien de criminels ou de terroristes sont également arrivés ? », interroge Malgorzata. « C’est un bon test pour nos services de renseignements, en tout cas… »

Aucune hausse de la criminalité n’a été signalée depuis 2022, et la plupart des reproches se concentrent sur les aides jugées trop élevées. Les allocations scolaires, de 800 zlotys par enfant (190 euros), ont notamment cristallisé les tensions. Avant septembre 2024, elles étaient attribuées aux familles ukrainiennes même si l’enfant n’était pas scolarisé dans une école polonaise, ce qui était le cas d’un enfant ukrainien sur deux, selon les statistiques. Depuis la rentrée scolaire, l’enfant doit avoir intégré le système scolaire polonais, et le parent doit avoir un emploi. Mais cela suscite encore des interrogations. « Les enfants ukrainiens sont mélangés dans les classes, alors que tous ne parlent pas bien polonais. Du coup, les professeurs consacrent la plupart de leur cours à les reprendre ou à leur expliquer lentement, au détriment de l’éducation des enfants polonais », estime Izabella.

« La Pologne aux Polonais »

L’Ukrainien est souvent perçu comme un profiteur du système, prêt à en abuser. Les récits moins favorables que ceux des gares de 2022 abondent. Par exemple, un Ukrainien aurait doublé toute la file d’attente chez le médecin pour passer en priorité. Une coiffeuse polonaise, forcée d’installer un panneau indiquant « Prestation payante, pour tout le monde, réfugié ou non », raconte que de nombreux clients lui demandent des coupes gratuites. Malgorzata résume le sentiment général : « Ils ont une culture assez orientale, de penser que l’aide leur est due. Alors qu’en Pologne, comme à l’Ouest, on sait qu’il faut la mériter. »

Malgoratza regrette parfois la mentalité de certains Ukrainiens, même si elle comprend l'accueil de la Pologne en 2022
Malgoratza regrette parfois la mentalité de certains Ukrainiens, même si elle comprend l’accueil de la Pologne en 2022 - JLD/20 Minutes

Tania, une Ukrainienne travaillant dans un Carrefour Express, espère que ce ne sont que des fables : « On ne dérange personne, on fait les boulots que les autres ne veulent pas… Comme ils ne peuvent rien nous reprocher, ils inventent des histoires. » Selon l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, neuf réfugiés sur dix sont des femmes et des enfants, et 60 % d’entre eux travaillent dans des emplois précaires. En 2024, cet institut estimait que les Ukrainiens auraient généré 2,7 % du PIB polonais.

À l’instar des allocations scolaires, la plupart des aides ont été réduites ou régulées. Les soins gratuits, accordés à tous les réfugiés ukrainiens en 2022, sont désormais réservés à ceux ayant une assurance depuis septembre 2025. Le nouveau président, Karol Nawrocki, souverainiste affilié au parti national conservateur PiS, a basé sa campagne sur le slogan « La Pologne aux Polonais », qui n’est pas sans rappeler d’autres discours. L’une de ses premières mesures a été de veto la prolongation des soins gratuits universels jusqu’en mars 2026, en arguant qu’il fallait cesser « en Pologne, de traiter les Polonais moins bien que  »nos invités ». »

« Où aller se plaindre ? À Donetsk ? »

Cependant, même avant l’arrivée de Nawrocki au pouvoir, le gouvernement du Premier ministre Donald Tusk avait déjà réduit les aides, anticipant un changement d’opinion. Ce que déplore la Maison ukrainienne. Le mépris des conservateurs était prévisible, mais que les libéraux se détourent… Izabella évoque quant à elle un simple retour à la raison : « On a trop donné, au nom des bons sentiments, sans réfléchir. C’était beau, mais déraisonnable. Tous ne cherchent pas à s’intégrer, ils restent entre eux… Qui nous dit qu’ils ne repartiront pas en Allemagne ou dans encore des pays plus riches, alors que c’est de l’argent perdu pour nous ? »

L’arrivée massive des Ukrainiens a également désorganisé davantage le marché immobilier, déjà en crise dans les grandes villes. La population de Varsovie a augmenté de 15 %, celle de Cracovie de 23 %, et celle de Gdańsk de 34 %. Face à cette situation difficile pour se loger, Stefan n’a pas le temps pour des leçons de morale : « On est une petite nation, avec une faible population, et c’est nous qui accueillons le plus de réfugiés. Prenez votre part avant de nous critiquer. Pour les Ukrainiens, s’ils viennent uniquement pour les aides, qu’ils rentrent chez eux, ou aillent ailleurs. »

Macha, qui travaille dans un espace de coworking de la ville, s’éclipse rapidement lorsqu’on l’interroge : « Où aller se plaindre ? À Donetsk ? On fera ce que l’on nous demande et on se tairera. Mieux vaut vivre caché ici que mort là-bas. »