#MeToo : révolution dans la bande dessinée, plus de lectrices et héroïnes.
Il y a 8 ans, le mouvement MeToo provoquait une onde de choc et des centaines de milliers de femmes prenaient la parole pour dénoncer les violences sexuelles et sexistes. Aujourd’hui, Le Lombard reçoit beaucoup plus de projets d’autrices qui ont tendance à aborder des sujets plus intimes et même tabou.
Il y a huit ans, le mouvement MeToo a déclenché une onde de choc mondiale, incitant des centaines de milliers de femmes à dénoncer les violences sexuelles et sexistes. Cette dynamique a également touché le domaine de la bande dessinée, influencer les thèmes abordés ainsi que les auteurs et le public.
« Il faut savoir que la bande dessinée est un milieu très masculin à la base », indique Elise Harou, éditrice chez Le Lombard depuis quatre ans. « Il y a quelques années, il y avait beaucoup moins d’autrices et beaucoup moins d’albums qui parlaient de sujets comme les violences faites aux femmes, les représentations de la sexualité, des corps féminins, le harcèlement, etc. »
Aujourd’hui, Le Lombard reçoit un nombre accru de projets d’autrices, qui explorent des thèmes plus intimes et parfois tabous. Par exemple, le roman graphique « Impénétrable » d’Alix Garin raconte son voyage libérateur à travers les complexités de la sexualité.
« Ce sont des sujets qui sont entrés dans notre catalogue », remarque Elise Harou. « Ils existaient déjà avant, mais nous en avions un ou deux. Cependant, MeToo a transformé la situation, c’est indéniable. Nous ne sommes plus uniquement dans le thriller ou le western. Nous avons évolué et nous nous sommes adaptés à ce que le public veut lire et à ce que les auteurs veulent écrire. »
Ces mutations ne se limitent pas qu’aux maisons d’édition. Les librairies spécialisées témoignent également de cette évolution. « Aujourd’hui, il y a clairement beaucoup de bandes dessinées où les femmes n’ont plus vraiment de tabous et n’ont pas peur d’aborder des sujets qu’on n’aurait jamais traités il y a dix ans », raconte Denis, propriétaire de « À Fond d’Bulles » à Woluwe-Saint-Lambert. « Je dirais qu’il y a une augmentation d’environ 30 % de ce type de bandes dessinées, peut-être un peu plus, par rapport à il y a six ou sept ans. »
Florence, vendeuse chez Slumberland depuis 2017, la même année que le début du mouvement MeToo, constate des changements similaires. « Quand je suis arrivée, il y avait deux ou trois bandes dessinées tout au plus, comme ‘Les crocodiles’ et ‘Culottées’. Maintenant, nous en avons beaucoup plus, principalement des BD documentaires sur des problématiques féministes, comme le harcèlement de rue. Il y a également un grand nombre de bandes dessinées sur des femmes de l’histoire peu connues. Il y a vraiment un boom des BD centrées sur les femmes. Et cela se vend bien ! »
Avant MeToo, cette librairie offrait entre deux et trois bandes dessinées par an sur le thème du genre, se souvient Florence. Aujourd’hui, elle en propose une vingtaine, soit dix fois plus.
Comment expliquer ce succès ? Pour Denis, la réponse réside avant tout dans les attentes du public. « On va peut-être moins vers des fictions que vers des bandes dessinées qui abordent des sujets de société. »
Elise Harou partage ce constat. Elle estime que la présence croissante de femmes parmi les autrices a élargi les thèmes traités. « C’est toujours significatif de se retrouver dans des thématiques qui nous touchent », note-t-elle.
Cependant, elle précise que les femmes lisaient déjà de nombreuses histoires ne concernant pas exclusivement les problématiques de MeToo. « Mais les témoignages de ce type, le fait de pouvoir en parler, partager, réaliser qu’on n’est pas seule, je pense que c’est essentiel. »
Florence observe que de plus en plus de bandes dessinées se concentrent sur les hommes, notamment pour déconstruire la masculinité toxique, depuis deux ou trois ans. « Bien qu’il y ait beaucoup de femmes qui les achètent, souvent dans l’espoir que leur partenaire ou leur famille les lise, il y a aussi un public masculin qui s’y intéresse de plus en plus. »
« Il y a beaucoup plus d’ouverture, surtout parmi les plus jeunes clients », ajoute Denis. « Ils s’intéressent davantage à ce genre de sujets. »
En ce qui concerne la représentation, Elise Harou se réjouit de dire qu’il y a « beaucoup plus d’héroïnes ». « Les lectrices d’aujourd’hui ont beaucoup plus de représentations diverses. Je suis d’autant plus heureuse que mon fils, par exemple, puisse lire des bandes dessinées avec beaucoup d’héroïnes et qu’il puisse aussi se reconnaître en elles. »
Cette évolution est essentielle selon la sociologue française Oriane Amalric, qui lors d’une journée d’étude sur les questions de genre et l’égalité entre les sexes en 2021, a souligné que dans la littérature jeunesse, les héroïnes ont longtemps été définies par leur beauté ou leur obéissance.
En effet, les filles sont souvent encouragées à plaire, à rêver et à rester à l’intérieur, tandis que les garçons sont valorisés pour leur esprit d’aventure et leur intelligence.
Il est important que les jeunes garçons puissent également s’identifier à des héroïnes, fait remarquer Amalric. Si seuls les héros masculins incarnent courage et réussite, les valeurs dites « masculines » perdureront, tandis que les qualités féminines resteront sous-évaluées.
Cette asymétrie entretient, selon elle, les inégalités. Ainsi, donner plus de place à des personnages féminins aventureux, courageux ou malicieux pourrait contribuer à rendre la société plus égalitaire.

