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« Le principe, c’est la retenue » : les contacts physiques au bureau ne dérangent pas.

1. D’après un sondage Qapa publié en 2022, 53 % des salariés interrogés disaient ne pas souhaiter faire la bise à leurs collègues et 37 % ne la faisaient déjà plus.
2. Elise Lecornet, psychologue du travail, souligne qu’« il faut toujours se demander si l’autre est d’accord avec le geste physique ».


Poignée de main, bise le matin ou main sur l’épaule… Ces gestes, souvent considérés comme ordinaires, revêtent une importance particulière au travail où nous passons huit heures par jour avec des personnes que nous connaissons et apprécions plus ou moins. Si les contacts physiques dépendent d’abord de la sensibilité personnelle, la question devient plus complexe dans le milieu professionnel : peut-on être tactile avec ses collègues ?

Pour Elise Lecornet, psychologue du travail, la réponse est claire : « La règle de principe, c’est la retenue, le contact physique doit être l’exception. » Celui-ci est même à proscrire « à partir du moment où il y a une relation hiérarchique, parce que la relation d’autorité est asymétrique », précise-t-elle, fondatrice d’Eudokia, un service de conseil en santé au travail.

**La nécessité de faire attention à l’autre**

Au bureau comme dans la vie privée, un seul réflexe à adopter : « il faut toujours se demander si l’autre est d’accord avec le geste physique », conseille la psychologue. En évoquant la « révolution sur le consentement à la relation sexuelle », elle insiste sur l’importance de veiller à l’autre lors d’un contact ou d’un rapprochement physique.

Le contexte et la nature de la relation avec la personne en face jouent également un rôle : « Si vous avez un collègue proche et avec qui vous êtes presque ami, ça ne le gênera pas nécessairement si vous le voyez traverser un moment difficile et que vous lui mettez la main sur l’épaule ou le bras, explique Elise Lecornet. En revanche, si c’est votre supérieur, c’est très différent, de même si c’est quelqu’un que vous connaissez peu. »

**Des gestes qui peuvent engendrer de la souffrance**

D’autant plus que le travail est un espace particulier. On ne choisit pas ses collègues et ceux-ci « ne sont pas nos amis », souligne la psychologue. Même si des liens d’amitié peuvent se créer, « c’est avant tout une relation professionnelle, qui n’implique pas de contact physique intime ».

Dans ce cadre, le contact peut être mal perçu, comme l’a observé la spécialiste au fil de sa carrière. « Ça va du chef qui embrasse le front en pensant que c’est un comportement paternel à la supérieure qui donne une petite tape sur la tête comme elle le ferait avec ses enfants, en passant par la personne qui vous prend dans ses bras sous prétexte de vous réconforter sans vous avoir demandé votre accord. » Ces gestes peuvent « générer de la souffrance au travail » alors qu’ils auraient pu être évités.

**La bise, une habitude à la peau dure en déclin**

Cependant, cela ne signifie pas que le contact physique soit absent du milieu professionnel. La poignée de main est largement acceptée, « même s’il y a des gens que cela dérange », précise Elise Lecornet. La bise est également pratiquée dans certaines entreprises, « mais elle est souvent subie par des personnes qui se sentent envahies dans leur sphère intime et personnelle ».

Cette pratique, très française, ne faisait déjà plus l’unanimité avant le Covid-19 et les gestes barrières, et la pandémie semble l’avoir affectée : selon un sondage Qapa réalisé en 2022, 53 % des salariés interrogés souhaitaient éviter de faire la bise à leurs collègues, et 37 % ne la pratiquaient déjà plus. Cela représente 90 % de personnes rejetant cette pratique, contre 72 % en 2020.

**Des comportements de moins en moins tolérés**

La question du contact physique est de plus en plus discutée, non pas en raison d’une moindre tolérance, mais en raison de l’évolution du contexte. « J’ai connu l’époque où l’on voulait imposer la bise, et je me rappelle de collègues disant que cela les dérangeait. Mais on n’osait pas l’exprimer, car ça n’était pas admis, alors qu’aujourd’hui, les jeunes n’hésitent plus à le dire », raconte Elise Lecornet.

La sensibilisation aux violences sexuelles et sexistes ainsi que l’importance croissante du consentement ont un impact significatif sur cette évolution. Cela se traduit par la dénonciation de comportements jugés déplacés, qu’il s’agisse de gestes ou de propos. « En dix ans, la perception de ces questions a profondément changé, constate la psychologue. Les jeunes n’hésitent plus à alerter les ressources humaines pour des propos sexistes ou d’autres facteurs créant un environnement hostile, et les RH sont légalement tenus de sanctionner les auteurs. »

Qu’il s’agisse de contacts physiques ou de propos potentiellement problématiques, « il est essentiel que ces questions soient abordées, tant par les responsables hiérarchiques que par l’ensemble des employés », souligne Elise Lecornet, qui rappelle sa règle d’or : « Si je dis quelque chose ou si j’ai un geste physique envers quelqu’un, qu’est-ce que ça lui fait ? » Face aux remarques du type « on ne peut plus rien faire », la psychologue est claire : « Oui, on ne peut plus rien faire, on ne peut plus rien dire, car cela n’était pas forcément bien vécu. »