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L’Europe aura bientôt le plus grand parc d’avions de combat modernes après les Etats-Unis.

L’Allemagne a confirmé début octobre une commande de 20 Eurofighter, et pourrait rajouter un achat de 15 F-35 supplémentaires. La Turquie a signé lundi avec le Royaume-Uni un contrat pour 20 Eurofighter, pour un montant de 9,2 milliards d’euros, soit 460 millions d’euros par appareil.


Des avions de chasse qui partent comme des petits pains. Pour améliorer leurs capacités de défense, plusieurs pays de l’Otan multiplient les commandes d’avions de combat à un rythme soutenu ces derniers mois.

S’agit-il d’une exagération ou d’un véritable besoin de renouveler les flottes ? *20 Minutes* vous propose un panorama de ces enjeux qui s’élèvent à plusieurs milliards d’euros.

### Moderniser la flotte d’appareils en Europe

Début octobre, l’Allemagne a confirmé une commande de 20 Eurofighter et envisage d’ajouter 15 F-35 supplémentaires. Le Danemark a annoncé le 10 octobre qu’il allait acquérir 16 F-35 supplémentaires, tandis que la Grande-Bretagne a validé une commande de douze chasseurs américains en juin dernier. Le F-35 attire également l’attention de la Grèce, qui est l’un des rares pays européens à commander des Rafale. Bien qu’elle ne fasse ni partie de l’Otan ni de l’Union Européenne, l’Ukraine a déclaré vouloir constituer une flotte de 250 avions de chasse, comprenant notamment 150 Gripen et possiblement des Rafale, pour renforcer son arsenal face à la Russie et préparer sa défense après la guerre.

« La force aérienne est le cœur du modèle de force occidentale », explique à *20 Minutes* le consultant en risques internationaux Stéphane Audrand. Cependant, sur un total de 1.643 avions de combat, l’Europe dispose encore de « 685 avions de 4ᵉ génération en voie d’obsolescence (Mirage 2000, Tornado, F-16…) », selon une étude de l’Ifri. Ces appareils doivent donc être remplacés pour renforcer le parc de 800 avions de 4e génération modernisés (Rafale, Eurofighter Typhoon et Gripen E). « Parallèlement, la flotte de F-35 [américains] de 5ᵉ génération croît rapidement en Europe avec plus de 600 exemplaires à terme (150 déjà livrés en 2025) ». L’Europe possédera bientôt « le plus grand parc d’avions de combat modernes après les États-Unis », assure l’Ifri.

### Eurofighter, Gripen, F-35, Rafale… Quelles différences ?

Le Gripen, fabriqué par l’entreprise suédoise Saab, peut atteindre une vitesse de Mach 2 (2.450 km/h) et un plafond de 16.000 mètres. C’est « un excellent petit avion de quatrième génération, bien équipé, rapide à mettre en œuvre, et relativement peu cher », assure Stéphane Audrand. Ses points faibles ? « Le moteur est fabriqué par l’Américain General Electric, ce qui le rend assez dépendant des États-Unis, et sa portée est relativement réduite. » L’Eurofighter Typhoon, développé par le Royaume-Uni en coopération avec l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne, peut également voler à Mach 2 et atteint un plafond supérieur à 16.000 mètres. « Comme son nom l’indique, c’est un chasseur, conçu pour faire de l’interception à longue distance avec un gros radar et de gros missiles, puis modifié pour faire aussi du bombardement », résume Stéphane Audrand. « En revanche, il n’a pas été conçu pour être hyper-manoeuvrant ni furtif. »

Le F-35, un avion de cinquième génération, est présenté comme furtif et hyperconnecté. Il vole à Mach 1,6 à un plafond de 18.500 mètres. Toutefois, il transporte relativement peu d’armement et, au-delà de son coût, « le F-35 reste dépendant de Washington pour son logiciel et sa maintenance, qui dépendent du réseau Odin, lequel centralise les données de mission et d’entretien sur un cloud basé aux États-Unis », souligne l’Ifri.

Enfin, le Rafale de Dassault atteint Mach 1,8 avec un plafond de 15.000 mètres. « C’est un avion omnirôle, capable de décoller depuis des porte-avions, de réaliser de l’interception et du bombardement, avec une faible signature radar, et surtout qui ne dépend pas de composants américains », décrit Stéphane Audrand. Si le Rafale se vend moins en Europe, il connaît un succès à l’exportation vers des contrées lointaines (Inde, Indonésie…). En France, l’objectif est d’atteindre 225 Rafale d’ici 2035, dont 185 pour l’armée de l’air (contre 109 au 1er janvier 2025) et 40 pour la marine nationale.

### Le cas particulier de la Turquie

La Turquie, qui possède environ 300 avions de combat, a signé lundi un contrat avec le Royaume-Uni pour l’achat de 20 Eurofighter, afin de répondre à un besoin urgent de renouvellement de sa flotte. « Celle-ci repose encore sur d’anciens F4-Phantom [avion de troisième génération conçu dans les années 1950], même s’ils ont été modernisés, ainsi que sur des F-16 », explique Stéphane Audrand. Ankara avait d’abord privilégié les F-35, mais a été exclue du programme américain en raison de l’acquisition du système russe de défense antiaérienne S-400. « Après cela, les Turcs se sont tournés vers l’Eurofighter. Cependant, les pays européens s’étaient engagés à ne pas exporter d’armement pouvant nuire à la sécurité d’un de leurs membres. » La Grèce, avec laquelle les relations sont tendues en raison de différends de souveraineté en mer Égée, faisait régulièrement part de ses réserves quant au renforcement des forces aériennes turques. Avec le Brexit, la Grande-Bretagne, maintenant hors de l’UE, « a vu une opportunité industrielle face à ce besoin de capacités de la Turquie. » Le chancelier allemand Friedrich Merz considère quant à lui la deuxième puissance de l’Otan en effectifs militaires comme un partenaire « indispensable » pour défendre le flanc sud-est de l’Europe.

### Des prix qui s’envolent

L’Allemagne a signé un chèque de 3,75 milliards d’euros pour ses 20 Eurofighter, tandis que la facture pour la même commande en Turquie a atteint 9,2 milliards d’euros, soit 460 millions d’euros par appareil. Ankara justifie cette différence de prix significative par un contrat incluant « des équipements de soutien au sol, des systèmes d’entraînement, des pièces de rechange… », ainsi que la nécessité pour le pays de « créer tout un écosystème militaro-industriel » autour de l’avion.

Avec l’avènement d’équipements toujours plus sophistiqués, le coût des avions de chasse ne cesse d’augmenter. « Aujourd’hui, un avion de combat peut coûter presque 500 millions d’euros, car au coût de l’appareil, il faut ajouter les infrastructures nécessaires, les missiles, les pilotes, la maintenance, l’informatique… », souligne Stéphane Audrand. « Si cela continue, dans deux ou trois générations, la plupart des pays ne pourront plus se permettre qu’un ou deux avions. C’est pourquoi le programme Fury d’Anduril [un projet de drone de combat autonome] suscite tant d’intérêt : si l’on peut automatiser une partie de la force aérienne, cela devrait réduire certains coûts, tout en conservant les missions. »

Par ailleurs, le coût de l’heure de vol atteint des sommets. « Pour l’Eurofighter, il est de l’ordre de 50.000 à 60.000 euros, le F-35 étant compris entre 30.000 et 50.000 euros, selon les pays et les calculs, précise Stéphane Audrand. Le Rafale se situe entre 15.000 et 20.000 euros de l’heure, tandis que le Gripen est le plus accessible, avec un coût d’environ 5.000 euros. »