France

Marseille : Un quartier divise les habitants, « C’est un peu notre mur de Berlin »

Colette vit dans le 4e arrondissement de Marseille depuis soixante ans et doit compter une vingtaine de minutes de marche pour rejoindre l’appartement de Nadia, distant de 200 mètres. Les « résidences sécurisées », inspirées du modèle américain des « gated communities », représentent près de 30 % du parc de logements à Marseille.

Nadia et Colette échangent malgré la barrière qui les sépare. Colette vit dans le 4e arrondissement de Marseille depuis soixante ans, et elle se retrouve maintenant isolée. « C’est un peu notre mur de Berlin », plaisante Nadia, résidente de la cité jardin Chutes-Lavie, située à seulement 200 mètres mais qu’elle peine à atteindre à cause du détour de vingt minutes qu’impose la barrière.

Initialement, un portillon permettait le passage, mais ce dernier a été soudé, enfermant les habitants de cette cité ouvrière, construite dans les années 1920, où résident 8.000 personnes alors que la cité des jardins compte 300 habitants. Nathalie, qui fait partie d’un groupe d’habitants, dénonce cette « privatisation de l’espace public ».

Un parc public privé

Dans cette cité qui ressemble à un lotissement, il y a une école primaire, fermée depuis juillet dernier par manque d’élèves, une crèche, un centre aéré et surtout un parc municipal. Mais aujourd’hui, l’accès à ce parc nécessite un détour, et il se pourrait qu’il ne soit bientôt plus accessible du tout aux autres habitants.

« Lorsque nous avons appris que la fermeture du dernier accès avait été votée, nous avons pensé que c’était intolérable », explique Sabine, assistante maternelle habituée à fréquenter le parc.

« Avant la barrière, je pouvais y aller à pied avec les enfants en poussette en cinq minutes. Maintenant, je dois prendre la voiture. Et il se pourrait qu’on ne puisse plus y aller du tout ». Ce parc, qui a récemment bénéficié de 90.000 euros d’investissement public pour sa rénovation, suscite l’indignation de Nathalie : « Nous finançons avec nos impôts une installation dont ils vont s’approprier l’usage exclusif ».

De plus, pour accéder aux commerces du quartier — supermarché, tabac-presse, boulangerie, pharmacie, fleuriste, boucherie — il faut emprunter le boulevard Guigou, une route essentielle pour relier l’A7, mais où il est difficile pour deux voitures de se croiser sans empiéter sur des trottoirs étroits. « Je ne peux plus y aller, c’est devenu trop dangereux », constate Nicole, 82 ans, qui vit dans le quartier et doit maintenant compter sur son mari Diego pour aller chercher le pain ou rendre visite à son cousin voisin.

Cette « enclosure » du quartier des Chutes-Lavie n’est pas un phénomène isolé à Marseille. Les « résidences sécurisées », inspirées des « gated communities » américaines, représentent près de 30 % du parc de logements à Marseille. Elles sont apparues successivement dans les quartiers plus aisés du sud et se sont largement répandues depuis les années 2000.

« Tranquillité » et « stationnement réservé »

À la cité jardin Chutes-Lavie, cette volonté de s’enfermer a débuté en 2014 avec la mise en vente d’environ 40 % des pavillons HLM, principalement achetés par leurs occupants. Depuis lors, des assemblées générales votent la fermeture progressive des accès, finalisant cet « enfermement » en janvier prochain.

Le bailleur Marseille Provence habitat, qui détient 52 % des voix, n’a jusqu’à présent jamais contesté cette décision des nouveaux propriétaires. Chantal, une septuagénaire parmi eux, est catégorique : « Si nous avons voté pour fermer le haut, ce n’est pas pour rouvrir le bas », affirme-t-elle depuis la porte de son pavillon.

Elle évoque des préoccupations de sécurité : « Les cambriolages, les agressions, les jeunes qui viennent avec leur voiture au parc, les collégiens voisins… », insistant sur le besoin de « tranquillité ». Bien que le quartier ne soit pas plus dangereux que d’autres à Marseille, Nathalie pense que leur motivation réelle est de s’approprier des places de parking, malgré les places disponibles dans leurs propriétés. Elle espère un compromis, avec une ouverture pour les piétons uniquement, et un rendez-vous avec le bailleur est prévu le 5 novembre prochain.

Tensions, menaces et insultes

Avec l’émergence de ce collectif, « la tension est montée d’un cran entre les habitants de l’intérieur et ceux de l’extérieur », note Sabine. « Mi-octobre, nous avons organisé une conférence de presse pour dénoncer la situation. Et la veille, 14 voitures, à l’extérieur de la cité, ont vu leurs vitres brisées », ajoute Nathalie. Bien qu’elle ne puisse pas prouver que cela vient des résidents, elle trouve cela suspect, faisant état de « tensions, messages d’insultes et menaces », notamment sur les réseaux sociaux et sous la pétition qu’ils ont lancée.

Cette volonté de s’enfermer a également des implications financières et reflète la réalité du marché immobilier marseillais. « Beaucoup de Parisiens, de nouveaux arrivants ou de personnes âgées réclament des biens situés dans des résidences fermées », confie Sébastien, agent chez PremiHome immobilier. « Ils craignent les agressions et recherchent des places de stationnement. C’est une réalité du marché. » Ces biens sont souvent plus chers : « Une propriété dans une résidence fermée coûte de 10 % à 20 % de plus que dans le reste du quartier », conclut Sébastien.