Belgique

Donald Trump annonce vouloir reprendre les essais nucléaires, affaiblissant les garde-fous.

Le président américain a déclaré ce jeudi : « En raison des programmes d’essais menés par d’autres pays, j’ai demandé au (ministère de la Défense) de commencer à tester nos armes nucléaires sur un pied d’égalité » avec la Russie et la Chine. Actuellement, les États-Unis et les autres puissances nucléaires ont recours à des simulations informatiques de pointe pour vérifier le bon fonctionnement de leur arsenal.

Ce n’est pas la première fois, mais l’annonce faite par le président américain sur son réseau Truth Social est l’une des plus marquantes depuis son retour à la Maison Blanche. « En raison des programmes d’essais menés par d’autres pays, j’ai demandé au (ministère de la Défense) de commencer à tester nos armes nucléaires sur un pied d’égalité » avec la Russie et la Chine, a-t-il mentionné ce jeudi.

S’agit-il d’un message adressé au Kremlin dans le cadre d’un durcissement des relations entre Washington et Moscou ? Très certainement. Est-ce une déclaration de force juste avant sa rencontre avec le président chinois Xi Jinping en Corée du Sud ? Également. Toutefois, si ces essais étaient réalisés, ils viendraient altérer de manière considérable les traités internationaux existants pour lutter contre la prolifération des armes nucléaires.

Quel est le sujet ?

Suite à son annonce, Donald Trump n’a pas précisé ses véritables intentions, ce qui a causé confusion et de nombreuses critiques à l’international. S’agit-il d’un véritable essai d’explosion d’ogives nucléaires – que les États-Unis n’ont plus réalisés depuis le moratoire de 1992 – ou d’essais d’armements capables de les transporter ? Son vice-président JD Vance a simplement indiqué jeudi que tester l’arsenal nucléaire américain était nécessaire « pour s’assurer qu’il était en état de marche et fonctionnait bien« .

Actuellement, les États-Unis et d’autres puissances nucléaires utilisent des simulations informatiques avancées pour vérifier le bon fonctionnement de leur arsenal. Aucun pays n’a officiellement effectué d’essai nucléaire depuis trois décennies, excepté la Corée du Nord, dont le dernier essai, une bombe H, remonte au 3 septembre 2017.

En revanche, de nombreuses puissances, dont les États-Unis, mènent régulièrement des tests d’armes capables de transporter des ogives nucléaires, tels que des missiles, des sous-marins, des avions de chasse, etc. « Ces essais d’armement ou par simulation font partie intégrante de la crédibilité de la dissuasion nucléaire d’un pays« , explique Alain De Nève, chercheur à l’institut Royal supérieur de défense à Bruxelles (IRSD), spécialisé dans les armes de destruction massive et les risques de prolifération.

Pour cet expert, les « essais nucléaires » auxquels fait référence le président américain concernent ceux réalisés en conditions réelles. S’il ne s’agit pour l’instant que de déclarations, celles-ci reflètent, selon lui, un « effondrement » progressif des traités conclus durant la guerre froide visant à freiner la prolifération des armes nucléaires. « Dans les années 2010, on pouvait parler d’effritement. Ici, c’est un véritable effondrement.« , ajoute le chercheur.

Une réponse aux Russes

Était-il nécessaire de faire une déclaration sur sa décision de reprendre les essais nucléaires ? Alain De Nève ne le pense pas. « Il est plus que probable que cette déclaration desserve davantage les États-Unis qu’elle n’appuie leur politique« , analyse-t-il. « En faisant cela, le président américain a voulu – comme il le fait souvent – réagir aux annonces de la Russie, mais il ne fait finalement que donner de la crédibilité à des essais russes pour lesquels on aurait pu encore douter de la réussite.« 

Le Kremlin a néanmoins jugé opportun de préciser qu’il s’agissait bien d’essais d’armes capables de porter une ogive nucléaire et non d’explosions de bombes elles-mêmes. « Nous espérons que le président Trump en a été informé correctement« , a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

Russie : exercices nucléaires (Reuters 26/10/25)

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L’ambivalence de Donald Trump

Depuis son premier mandat, le président américain a émis des signaux souvent contradictoires concernant ce sujet sensible. S’il avait affirmé au cours de sa première élection vouloir « grandement renforcer et accroître la capacité nucléaire » des États-Unis, il a également laissé entendre à plusieurs reprises, par la suite, qu’il souhaitait conclure un accord avec la Russie et la Chine pour renoncer à tout arsenal nucléaire et arrêter la course à l’armement.

En février, il a proposé un sommet tripartite avec ses homologues chinois, Xi Jinping, et russe, Vladimir Poutine. « Il n’y a aucune raison pour que nous construisions de nouvelles armes nucléaires« , avait-il alors déclaré aux journalistes. « Nous en avons déjà tant que nous pourrions détruire le monde 50 fois, voire 100 fois. »

Au-dessus du tapis rouge dressé par Trump à Poutine en Alaska, il y avait aussi un message.

Pour Alain De Nève, bien que cela n’ait pas toujours été au centre des préoccupations, la dimension nucléaire a toujours fait partie des relations de Donald Trump avec ses homologues russe et chinois. « Lorsqu’une puissance nucléaire s’adresse à une autre, il y a toujours une menace implicite. C’est tout l’enjeu de la dissuasion nucléaire : la permanence de la menace« , rappelle-t-il.

« Après, il y a la question de ce que l’on veut mettre en avant. Jusqu’ici, le discours de Trump n’était pas trop bâti sur cette menace. Mais avec la guerre en Ukraine, le volet nucléaire a progressivement repris une certaine place, en particulier après ce sommet en Alaska où Donald Trump a fait survoler des B-2, considérés comme le vecteur aérien par excellence de la dissuasion nucléaire. Il y avait donc aussi, derrière la première lecture du tapis rouge dressé à Vladimir Poutine par Donald Trump, ce message. »

Le risque d’un effet boule de neige

Si les États-Unis reprennent des essais nucléaires réels, cela ne pourra pas se faire instantanément. Il faudrait plusieurs années. Mais au-delà de cet aspect technique et de sa mise en œuvre concrète, c’est surtout le message que le président américain véhicule avec cette déclaration qui préoccupe Alain De Nève.

« Une reprise des essais nucléaires par une puissance qui a signé le Traité d’interdiction complet des essais nucléaires (TICE) – bien qu’elle ne l’ait pas ratifié – pose question sur un plan juridique. Vladimir Poutine a joué plus subtilement en se retirant de ce traité, sans annoncer publiquement la reprise des essais. Dès lors, si les États-Unis ne respectent pas ce traité, il s’effondre. Cela envoie clairement un mauvais message au reste du monde.

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Far West nucléaire

Le seul traité qui reste en vigueur entre la Russie et les États-Unis concernant la dissuasion nucléaire est le Traité New Start, qui doit expirer en février 2026. Cet accord, signé en 2010, limite chaque partie à 1550 ogives stratégiques offensives déployées, 800 lanceurs et bombardiers lourds, et prévoit un mécanisme d’inspection. Cependant, ces inspections ont été suspendues depuis que Moscou a interrompu sa participation au traité il y a deux ans, en raison du conflit en Ukraine et des tensions croissantes avec les pays occidentaux.

« Vladimir Poutine a annoncé qu’il souhaitait lancer des négociations pour trouver un successeur au Traité New Start (note : une annonce à laquelle Donald Trump a répondu favorablement), mais la question est de savoir sur quelle base la Russie veut engager de telles négociations, étant donné que tant la Russie que les États-Unis ont suspendu l’application de ce traité », souligne Alain De Nève.

On est revenu à un système bâti sur l’équilibre des forces.

Selon l’expert, tous les traités qui permettaient, même sur un plan politique, de réguler, contrôler, réduire ou établir un cadre de dialogue permanent entre les détenteurs d’armes nucléaires se sont évanouis. « Nous sommes actuellement dans une sorte de Far West, où chacun montre sa force par des démonstrations d’armement et des opérations militaires. L’opération militaire menée par les États-Unis pour soutenir les Israéliens en Iran, par exemple, n’était pas innocente. Nous sommes revenus à un système fondé sur l’équilibre des forces. »

Les projets de modernisation des ogives nucléaires américaines n’ont évidemment pas commencé avec la présidence Trump. Déjà à l’époque de Barack Obama, de tels travaux avaient été lancés. « Mais malgré ce processus de modernisation propre à la dissuasion nucléaire, il existait encore à cette époque entre les États-Unis et la Russie un dialogue minimum permettant certaines réductions – très sensibles – des effectifs », nuance Alain De Nève. « Si nous ne trouvons pas de successeur au Traité New Start, tout cela tombera à l’eau, et nous pourrions observer une augmentation des stocks nucléaires. »