France

« Livre enquête sur le business de la mort et familles endeuillées »

Le marché des obsèques en France est évalué à trois milliards d’euros et est dominé par deux groupes privés, OGF et Funécap. Environ 4.000 euros sont dépensés en moyenne par les familles pour honorer la mémoire d’un défunt, ce qui représente une dépendance à ces groupes qui profitent de la tristesse des familles.


« La mort ne sera jamais un marché comme les autres […] On ne pousse pas la porte d’une agence de pompes funèbres parce qu’on le veut, mais parce qu’on le doit. » Brianne Huguerre-Cousin et Matthieu Slisse, auteurs des Charognards (Seuil), éclairent un secteur peu connu : le marché des obsèques en France. Dans cette « industrie du chagrin », qui représente trois milliards d’euros, deux groupes privés, OGF et Funécap, utilisent la tristesse des familles comme levier commercial.

Techniques commerciales « immorales » pour générer du « superprofit », dysfonctionnements graves durant les funérailles… « Les familles endeuillées sont devenues des clientes captives », résume Brianne Huguerre-Cousin, dans une interview accordée à 20 Minutes.

**Pourquoi parler de « clientes captives » pour désigner les familles endeuillées ?**

Lorsqu’un décès survient, les familles sont sous le choc : elles ne connaissent ni les démarches, ni les prix, ni les règles à suivre pour faire face à cet événement. C’est compréhensible, car avant d’être confronté à la mort, personne ne sait comment agir. En France, il est impossible d’enterrer une personne dans son jardin, ce qui oblige à recourir à des professionnels. Par conséquent, les familles deviennent totalement dépendantes.

Elles sont totalement captives dans la mesure où, n’ayant aucune connaissance de ce secteur et étant très bouleversées, elles se remettent entièrement entre les mains des professionnels. Sans se rendre compte qu’elles seront poussées à acheter des services non obligatoires.

**Ces pratiques sont surtout mises en œuvre par deux groupes : OGF et Funécap.**

Effectivement, notre enquête s’est concentrée sur ces deux entreprises car elles contrôlent l’ensemble du marché. Bien qu’elles n’organisent qu’un tiers des obsèques, elles détiennent la quasi-totalité des crématoriums, un « filon lucratif » où 46 % des personnes optent pour cette solution aujourd’hui, contre 20 % il y a vingt-cinq ans, ainsi que des chambres funéraires, des usines de cercueil et la formation des agents. C’est OGF qui a organisé la panthéonisation de Simone Veil ou Joséphine Baker. Ils acquièrent aussi d’autres marques tout en conservant leurs noms pour faire croire à une continuité de société familiale. Leur présence est omniprésente en France, et c’est dans ces entreprises que les dérives se multiplient : vente forcée, inversion de corps, retards de convois, soins de thanatopraxie bâclés.

Les employés sont également victimes de cette recherche du profit. Ils exercent un métier déjà difficile et subissent une pression énorme de la part des directeurs territoriaux. On leur fixe des objectifs de vente, jusqu’à contrôler le nombre de sonneries avant qu’ils ne puissent répondre au téléphone, recevoir des mails quotidiens contenant des tableurs comparant les employés, ou participer à des concours internes pour gagner des primes. Tout est orchestré pour vendre davantage et « gonfler » leur rémunération, qui s’élève à environ 1.400 euros nets par mois. De plus, ils doivent signer des accords les empêchant de s’adresser à la presse.

**Pourquoi la loi de 1993 n’a-t-elle pas eu l’effet escompté ?**

La loi de 1993 n’a effectivement pas produit les résultats escomptés. La Cour des comptes l’a souligné dans son rapport de 2019 : lorsqu’une personne entre dans une agence, elle ne compare pas les prix. Elle choisit souvent la première agence rencontrée. Le même rapport indique qu’après la libéralisation du secteur, les prix ont augmenté deux fois plus vite que l’ensemble des prix à la consommation. Cette loi impose également l’affichage des devis en mairie, mais cette obligation n’est pas respectée, les préfectures ne contrôlant pas et les retraits d’habilitation étant rares.

**Un manque d’intérêt politique.**

D’un point de vue politique, le sujet semble peu attirer l’attention. Les collectivités préfèrent souvent déléguer la gestion de ce service public « industriel et commercial », semblable aux Ehpad et aux crèches. Jean-Pierre Sueur est le seul à s’être vraiment penché sur la question il y a plus de trente ans. Aujourd’hui, quelques députés, comme Hadrien Clouet, s’emparent de cet enjeu et ont récemment déposé une proposition de loi pour que l’État prenne en charge les frais liés aux obsèques.

**L’importance de cette enquête.**

Nous souhaitions élaborer un portrait de la situation actuelle dans le secteur funéraire en France. À travers ce constat, nous avons mis en lumière les problématiques du système en place, où la rentabilité prime sur tout. Il était crucial que la population prenne conscience de ce sujet souvent tabou dans notre société, car ce business génère des victimes. Il est anormal que des familles endeuillées soient considérées comme des clientes « comme les autres », alors qu’elles ne sont manifestement pas en état de faire un « achat ». Ces familles dépensent en moyenne 4.000 euros pour honorer dignement la mémoire d’un défunt, enrichissant ainsi deux grands groupes qui ne se préoccupent pas des abus ni de leurs conséquences. En constatant les réactions après la publication de notre livre, nous réalisons que notre travail a eu un impact.

**Techniques pour éviter d’être trompé.**

Il est triste de constater que cette responsabilité pèse encore sur les familles endeuillées, mais plus elles sont informées, mieux c’est. Il est essentiel de bien distinguer ce qui est obligatoire – le cercueil, le transport, les moyens de porter le cercueil, et la plaque d’identité – de ce qui ne l’est pas : le tissu intérieur, l’oreiller, le type de bois, etc.

Un autre point méconnu est qu’il est possible de débloquer jusqu’à 6.000 euros sur le compte bancaire du défunt pour financer les obsèques, ce qui remet en question l’utilité des contrats obsèques souvent proposés par ces mêmes groupes. Chaque année, plus de 500.000 personnes choisissent cette option, croyant ainsi « soulager leurs proches » de ce fardeau.