Essais nucléaires : est-il encore possible malgré les risques sanitaires ?
Le président américain Donald Trump a annoncé le 28 octobre la reprise, par les Etats-Unis, des essais nucléaires militaires, sans indiquer la date ni le lieu. Entre 1960 et 1996, la France a réalisé 210 essais nucléaires, tandis que plus de 2.000 essais ont eu lieu au niveau mondial entre 1945 et 2017.
C’est le retour de la menace nucléaire. Alors que les tensions entre Donald Trump et Vladimir Poutine sont palpables, le président américain a annoncé, le 28 octobre, sur son réseau Truth Social, la reprise des essais nucléaires militaires par les États-Unis. Ce message, succinct, ne précisait toutefois ni la date ni le lieu de ces essais.
Entre 1960 et 1990, les pays qui ont décidé de tester leurs capacités de destruction massive ont généralement choisi des zones désertiques, notamment le Sahara algérien, les îles inhabitées de Mururoa et de Fangataufa en Polynésie française pour la France, le Nevada pour les États-Unis et les grandes plaines du site de Semipalatinsk au Kazakhstan pour l’ex-URSS.
### La mise en place de normes de sécurité
À partir des premiers essais français en 1957, la question de la localisation des tests s’est posée. La France cherchait à se doter de l’arme atomique tout en évitant les incidents humains et en limitant les retombées environnementales des essais atmosphériques. Des normes de sécurité ont donc été mises en place.
Les régimes de vents, les prévisions météorologiques à 48 heures puis à 10 heures : chaque tir faisait l’objet d’une analyse des couches atmosphériques. De plus, la Commission Consultative de Contrôle (CCC) établissait des distances de sécurité pour la population conformément aux recommandations de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR), selon l’irradiation estimée.
« Pour les populations, la dose maximale admissible annuelle était fixée par la CCS à 15 mSv en 1960 puis 5 mSv à partir de 1961 », précise un rapport parlementaire de février 2002. Ces chiffres apparaissent aujourd’hui bien trop élevés, avec une exposition sans danger désormais fixée à 1 mSv par an, selon l’Autorité de la sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), même si un Français est en moyenne exposé à 4,5 mSv chaque année.
### Une mésestimation des retombées atmosphériques
La plupart des sites choisis pour les tirs atmosphériques ou souterrains étaient, à l’époque, à 100 ou 150 km de la ville la plus proche. Cependant, de nombreux campements, particulièrement lors des essais en Algérie, se trouvaient à moins de 30 km. Par ailleurs, les retombées post-tirs, surtout dans l’atmosphère, pouvaient être mesurées à plus de 200 km. Les calculs s’avéraient donc erronés.
« C’était insuffisant et on le sait aujourd’hui, déclare Pauline Boyer, chargée de campagne nucléaire pour Greenpeace France. Les essais nucléaires ne sont ni plus ni moins que des explosions atomiques. Et nous avons constaté une augmentation de la radioactivité ambiante dans le monde entier suite aux essais nucléaires français, mais également d’autres pays ».
À cette époque, l’exposition de certaines populations à la radioactivité issue des essais était considérée comme inévitable. Les personnes les plus vulnérables étaient classées en deux catégories : le personnel des sites, comprenant les armées, et les populations vivant à proximité des zones de tir.
### La planète « saupoudrée » de produits radioactifs
« La population a aussi servi de test. Lors des essais, nous n’expliquions à personne le danger de rester là. Les militaires ont également servi de chairs à canon. En Algérie, certains d’entre eux ont été envoyés au centre des cratères des tirs nucléaires et beaucoup ont perdu la vie à cause de cela », précise l’activiste de Greenpeace. Cette dernière estime même que « le nucléaire militaire est profondément raciste et colonialiste dans son approche. »
Cependant, les nuages radioactifs ne respectent pas les frontières, et leurs trajectoires, difficiles à mesurer, touchent rapidement d’autres territoires. « Il y a eu tant de tirs dans l’hémisphère nord, dans les années 1960, que les sols ont été contaminés. Par exemple, si vous achetez du vin de cette époque, vous trouverez des produits de fission liés aux bombes atmosphériques. En fait, nous avons saupoudré la planète de produits radioactifs », illustre Geneviève Baumont, experte retraitée de l’Institut de recherche pour la sûreté nucléaire (IRSN).
### La radioactivité contenue dans des cavités
Pour éviter ces problèmes, la France a donc choisi, dès le début des années 1960, de déplacer les essais souterrains dans les massifs montagneux et granitiques algériens.
Un des sites, situé à 150 km au nord de Tamanrasset, « a un pourtour d’environ 40 km et se situe entre 1.500 et 2.000 m d’altitude », décrit le rapport de 2002. Les tirs étaient donc réalisés au fond de galeries d’une longueur d’environ 1 km, se terminant « en colimaçon de manière à ce que l’effet mécanique du tir sur la roche entraîne la fermeture de la galerie. Un bouchon de béton fermait l’entrée de la galerie à la sortie », précise le document parlementaire. L’objectif était de confiner la totalité des produits radioactifs dans la cavité créée par le tir.
Néanmoins, des incidents survinrent, et quatre essais souterrains sur treize effectués entre novembre 1961 et février 1966 dans le Hoggar n’auraient pas été totalement contenus. De nouveaux tests seront réalisés dans les sous-sols et sous les lagons des atolls polynésiens entre 1975 et 1991.
### Des modèles simulés en laboratoire
Après les derniers essais français en janvier 1996, il a été décidé de retourner en laboratoire pour des raisons de sécurité. « Aujourd’hui, nous avons les moyens de simuler la fusion nucléaire et de vérifier les capacités d’une bombe grâce à des modèles utilisant des quantités infimes », indique Geneviève Baumont.
Le centre CEA-Cesta, près de Bordeaux, chargé de la conception des têtes nucléaires françaises, a réussi à concevoir en laboratoire des armes nucléaires, y compris des bombes thermonucléaires. Pour Pauline Boyer, « il serait totalement délirant, aujourd’hui, avec ce que nous savons sur l’exposition aux radiations nucléaires et aux nuages radioactifs, de reprendre des essais nucléaires n’importe où sur terre ».
Avec 8 milliards d’habitants répartis aux quatre coins du monde et une biodiversité déjà fragilisée, aucun endroit sur Terre ne pourrait accueillir de nouveaux essais sans causer des dommages graves et irréversibles.
### Une interdiction complète des essais nucléaires
Au total, 210 essais nucléaires ont été réalisés par la France entre 1960 et 1996, et plus de 2.000 dans le monde entre 1945 et 2017.
Un traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) a été signé par 187 pays, dont les États-Unis, le 10 septembre 1996 à New York. Cependant, ce traité demeure peu contraignant, et Donald Trump n’aura pas besoin de contourner ce texte qui n’est jamais entré en vigueur et ne mérite qu’un simple moratoire international. Depuis leur signature, aucun des 187 pays signataires n’a osé violer cet engagement.

