Réforme du chômage en Belgique : conséquences pour intérimaires et pigistes.
Les profils les plus exposés sont les pigistes, intermittents, artistes sans statut spécifique et travailleurs cumulant contrats courts ou flexibles. La FGTB estime qu’au moins 8000 travailleurs à temps partiel pourraient être exclus du chômage, uniquement parmi les affiliés des syndicats.
Qui est directement concerné ?
Les personnes les plus touchées comprennent les pigistes, les intermittents, les artistes sans statut spécifique et ceux qui alternent entre des contrats courts ou flexibles. Beaucoup d’entre eux bénéficiaient jusqu’à présent d’une « allocation de garantie de revenus » (AGR), qui compensait des revenus trop faibles provenant de missions irrégulières ou de temps partiels. À partir de 2026, seuls ceux ayant un emploi à mi-temps ou plus continueront à percevoir l’AGR, ce qui exclura les travailleurs ne pouvant pas atteindre ce seuil d’activité.
Un exemple serait un pigiste dans le domaine culturel n’ayant pas de statut d’artiste, ou une personne facturant ses services via une coopérative (comme Smart), qui alterne entre périodes de travail et jours sans mission, et qui durant ces derniers bénéficiait d’indemnités de chômage allant de 40 à 70 euros par jour. Avec la réforme, cette aide cessera après deux ans si l’activité est jugée insuffisante.
Yvon Jadoul, secrétaire général de Smart, souligne qu’il y a en Belgique un nombre croissant de travailleurs opérant de manière intermittente ou avec des missions discontinues. « Il y a effectivement des personnes qui aujourd’hui se retrouvent avec un cumul de prestations de travail intermittent, discontinu… Une frange de travailleurs qui devient de plus en plus significative depuis des années« , précise-t-il. Il ajoute que de nombreux membres cumulent emplois et allocations de chômage de longue durée : « il y a certainement un public […] qui effectue des prestations de travail et bénéficie en parallèle d’une allocation de chômage de longue durée« . Smart n’a pas de chiffres précis sur ce sujet, car cela relève de la confidentialité, mais a lancé une enquête interne pour mieux appréhender la réalité des travailleurs concernés.
Selon lui, la réforme aura un impact certain sur ce public. « Avec les décisions prises par le gouvernement fédéral, […] des personnes vont effectivement subir des conséquences dès le premier janvier […] Les règles changent et ces individus ne pourront plus, contrairement à aujourd’hui, profiter de ces allocations de chômage« . Il regrette le calendrier précipité de la réforme et sa philosophie. « Nous avons exprimé notre désaccord politique concernant ce projet, que nous jugeons non seulement inadéquat, mais qui fragilise également des personnes […], en ignorant les réalités du travail […] avec des carrières toujours plus discontinues. »
Clé de l’info : chiffres du chomage
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Témoignages et chiffres
Pour mieux appréhender cette situation, nous avons rencontré Aline, 46 ans, cheffe, autrice culinaire, professeure et chroniqueuse pour un hebdomadaire belge réputé. Elle incarne cette facette de la population passionnée par son projet de vie. Comme bon nombre de travailleurs aux activités plurielles, Aline a longtemps jonglé entre contrats précaires, missions ponctuelles et chômage partiel. « J’ai un boulot, donc je suis cuisinière, mais je suis surtout touche-à-tout, car j’écris. Tout reste dans le domaine de la cuisine, mais je n’ai pas de statut clair selon les normes classiques, » explique-t-elle. Pour facturer ses prestations, elle recourt souvent à la coopérative Smart, un modèle qu’elle considère essentiel, mais fragile : « C’est bien connu, on te propose d’aller par Smart lorsque tu n’arrives pas à facturer assez pour être indépendante. Mais c’est un statut très instable.«
Le chômage m’a permis de garder la tête au-dessus de l’eau. Je trouvais que ce soutien avait du sens.
Après la crise du COVID, Aline avait pu bénéficier du chômage en tant que personne isolée, ce qui l’a aidée à retrouver un équilibre financier. « Le chômage m’a permis de garder la tête au-dessus de l’eau. Je trouvais que ce soutien avait du sens.«
Néanmoins, avec la nouvelle réforme qui restreint l’accès à certaines allocations pour les travailleurs à temps très partiel, cet équilibre devient précaire. « L’ONEM m’a dit que je suis maintenant considérée comme autrice, car j’ai publié mon deuxième livre et j’écris chaque semaine. Donc je peux prétendre au statut d’artiste. Cependant, le chômage est en train de filer entre les doigts de toutes personnes dans ma situation.«
Le statut d’artiste, convoité par de nombreux travailleurs culturels ou hybrides, ne garantit pas une sécurité dans un parcours professionnel discontinu. « Je me retrouve dans une situation absurde : si demain je décroche un emploi à mi-temps où je suis épanouie, que faire si on me propose une prestation d’un jour chez un traiteur renommé à 2500 €, que je ne peux pas et ne veux pas refuser ? » Aline compare ce fonctionnement à celui des comédiens : « Je mets de l’argent de côté quand il y en a, puis je pioche quand il n’y en a plus.«
Sur les réseaux sociaux, elle révèle avoir échangé avec d’autres femmes du secteur culinaire confrontées aux mêmes dilemmes : travail atomisé, perte de droits et incertitudes administratives. « On voulait se voir pour en parler, peut-être essayer de faire une microrévolution, juste pour ouvrir les yeux.«
8000 travailleurs à temps partiel pourraient être exclus du chômage, selon la FGTB
La FGTB estime qu’au moins 8000 travailleurs à temps partiel pourraient être exclus des allocations chômage, uniquement parmi les affiliés des syndicats. Ce chiffre risquerait d’augmenter si l’on prend en compte tous les intermittents, pigistes et travailleurs précaires sur le marché belge. Selon les représentants syndicaux, cela représente 32 % des travailleurs à temps partiel.
Thierry Bodson, président de la FGTB, précise le profil des personnes très probablement concernées. « Ceux qui ont un contrat à temps partiel et des compléments de chômage, ainsi que ceux qui réalisent des missions ponctuelles, […] plusieurs contrats d’intérim par mois. […] Ces personnes continuent à être impactées par la mesure du gouvernement et seront exclues après 24 mois de chômage, quelle que soit la situation.«
Les objectifs et exceptions de la réforme
Cette réforme affecte également des travailleurs expérimentés, souvent âgés de 50 ans ou plus, qui accumulent depuis plusieurs années des missions dans les domaines des médias, de la culture ou de l’événementiel. Quelques exceptions existent : les personnes de plus de 55 ans ayant eu une carrière longue, certains artistes titulaires d’un statut spécifique, les marins et quelques autres groupes pourront continuer à bénéficier de leurs droits au chômage plus longtemps. Ceux qui deviennent indépendants après un chômage auront aussi droit à un accompagnement d’un an.
La réforme a pour but d’encourager un emploi durable et de réduire la précarité, mais les représentants syndicaux avertissent d’un risque accru d’exclusion sociale pour les travailleurs alternant périodes d’activité et missions courtes sans pouvoir reconstituer un temps plein régulier. De nombreux syndicats et collectifs d’indépendants ont exprimé leurs préoccupations concernant la situation de ces groupes souvent invisibles dans les statistiques officielles.
Un recours à la Cour constitutionnelle
Ce mardi 29 octobre, trois organisations syndicales, la Ligue des droits humains, Vie féminine ainsi que Solidaris, ont introduit une requête en annulation, accompagnée d’une demande de suspension devant la Cour constitutionnelle. Elles contestent les mesures transitoires de la réforme du chômage ainsi que le principe même de la limitation dans le temps des allocations, selon un communiqué.
Ces syndicats dénoncent cette réforme, portée par le gouvernement Arizona, comme « une offensive sans précédent contre l’un des piliers de la sécurité sociale belge ». Ils affirment qu’elle « exclut les catégories les plus vulnérables de notre société du droit aux allocations, sans prévoir de dispositifs d’accompagnement crédibles ni de mécanismes de responsabilisation des employeurs. Pire, elle marginalise les personnes les plus éloignées de l’emploi, leur laissant seulement six mois pour retrouver un travail« .
Thierry Bodson se fait l’écho de cette action en justice initiée par les trois syndicats contre la réforme. « Nous avons déposé un recours à la Cour constitutionnelle. […] C’est une demande de suspension. […] Si nous avons gain de cause, la décision sera suspendue pendant plusieurs mois. […] Cela signifie que la mesure centrale du gouvernement sera mise en attente pendant un moment significatif. » Il conclut en estimant qu' »il est fort probable que 140.000 des 180.000 personnes qui risquaient d’être exclues verront leur dossier suspendu pendant au moins un an ».
Belgique : Chiffres des exclus étrangers du chômage (JP 18h00 – LP 29/10/25)
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