Au procès des mains rouges, l’antisémitisme ne cesse d’être alimenté par l’ingérence russe.
Au tribunal correctionnel de Paris, quatre hommes bulgares, âgés de 28 à 42 ans, sont jugés depuis mercredi pour avoir tagué des mains rouges dans les 4e et 5e arrondissements de Paris, dont 35 sur le mur des Justes. La procureure Camille Poch souligne que l’affaire des mains rouges fait partie de neuf affaires liées à des ingérences étrangères russes visant à déstabiliser la société française.

Au tribunal correctionnel de Paris,
« Quels liens entretenez-vous avec la Russie ? », demande la procureure Camille Poch. Cette interrogation marque la première référence explicite à Moscou, suspectée d’être à l’origine de la dégradation du mémorial de la Shoah à Paris en mai 2024. Quatre hommes bulgares, âgés de 28 à 42 ans, sont jugés depuis mercredi pour avoir tagué des mains rouges dans les 4e et 5e arrondissements de la capitale. Environ 500 graffitis au total, dont 35 sur le mur des Justes. Ce symbole peut évoquer le lynchage de soldats israéliens en 2000. Selon les prévenus, il s’agissait naïvement d’un appel à la paix à Gaza.
Cette affaire des mains rouges s’inscrit dans un ensemble de neuf dossiers portant sur des ingérences russes visant à déstabiliser la société française. Cependant, comme le fait remarquer Martin Vettes, avocat de Georgi Filipov, les prévenus ne sont pas accusés d’ingérence étrangère, mais de dégradation en réunion, en raison de leur appartenance à une race, ethnie ou religion, et d’association de malfaiteurs pour trois d’entre eux, le quatrième étant accusé d’avoir financé leur séjour à Paris. Les réquisitions sont sévères : quatre ans et un mandat d’arrêt pour Mircho Angelov, le jeune en cavale, quatre ans et maintien en détention pour Nikolay Ivanov, et deux ans de prison pour Georgi Filipov et Kiril Milushev. La procureure demande également l’interdiction définitive du territoire français, affirmant : « nous ne sommes pas dupes, nous savons d’où ça vient. »
Le Kremlin défie la justice
Un seul des quatre prévenus possède un lien avéré avec la Russie, soupçonné d’avoir soutenu financièrement l’opération tout en clamant son ignorance. Nikolay Ivanov, 42 ans, originaire de la région de Louhansk, occupée par l’armée de Vladimir Poutine, affirme résider en Bulgarie depuis plus de 30 ans et ne plus avoir de lien avec la Russie. « Je ne connais plus personne là-bas, peut-être quelques cousins très éloignés. » Face aux allégations qui émaillent le procès, le Kremlin a même défié quiconque d’accuser la Russie d’ingérence durant l’audience, affirmant que les accusations « doivent être soutenues par des preuves crédibles et des arguments ».
Ce type de dossier pose indéniablement des difficultés. Toutefois, la procureure estime que tant les procès-verbaux que la diffusion des graffitis par le réseau de désinformation russe RRN démontrent que « la dimension est dans le dossier ». « Ces faits s’inscrivent dans une volonté de manipuler l’information à des fins hostiles […] On veut souffler sur les braises, mettre du sel dans les plaies sur fond de réalité de montée de l’antisémitisme », insiste Camille Poch.
Un acte antisémite au cœur du procès
Le caractère antisémite des dégradations, leur préméditation, ainsi que le fait de les avoir filmées sont au centre des débats. D’autant plus que deux des prévenus arborent des tatouages nazis (croix gammée et aigle impérial). Un des avocats des parties civiles pose alors la question : « C’est de la faute à pas de chance ? » En réponse, le directeur du mémorial de la Shoah, Jacques Fredj, évoque la profanation du mémorial comme un acte antisémite en soi, ajoutant que « ces mains rouges signifient que nous sommes des criminels, c’est une importation du conflit au Proche-Orient. Pour moi, c’est rien de moins qu’un appel au meurtre ». Pour l’avocate de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), cela représente même le « carburant » et « la motivation principale » de cette affaire, qui amalgamerait selon elle trois formes d’antisémitisme : celui de l’extrême droite, de l’extrême gauche, et celui de l’ingérence. Elle ajoute : « l’ingérence n’excuse pas l’antisémitisme de ce dossier, elle l’instrumentalise. »
Bien qu’ils reconnaissent être à l’origine des graffitis, les prévenus se défendent d’avoir un quelconque sentiment antisémite. Georgi Filipov exprime des regrets concernant ses « erreurs de jeunesse » tatouées sur son corps, et qualifie un tee-shirt à la gloire d’Adolf Hitler qu’il porte sur une photo de « vieux tee-shirt pour dormir ». Nikolay Ivanov se vante même d’être descendant d’un des responsables politiques ayant convaincu le pouvoir de ne pas livrer les Juifs bulgares aux nazis durant la Seconde Guerre mondiale. « Difficile de dire qu’on attaque ivre et par accident quand on porte soi-même un tee-shirt qui dit ‘Hitler avait raison’. Ce n’est pas audible », rétorque la procureure dans son réquisitoire.
Mais pourquoi se concentrer uniquement sur les 35 mains rouges taguées sur le mémorial de la Shoah tout en omettant les 365 autres graffitis dans les rues de Paris « et même sur le mur d’une église ? », s’interroge Me Martin Vettes, qui estime qu’« on est tombé dans un piège ». Celui de la Russie. « On souhaiterait que ce procès réponde à l’antisémitisme débridé qui s’abat sur la France. On espérerait que votre décision réponde à l’ingérence dont la France est victime. Cela fait beaucoup de choses à régler pour votre tribunal », insiste encore l’avocat de la défense.
Affaires des cercueils devant la tour Eiffel, des têtes de cochon devant des lieux de culte musulman… La question de juger l’ingérence étrangère risque de se poser à nouveau dans d’autres dossiers. « Votre décision, c’est la première qui interviendra sur ce type de dossier, elle est essentielle pour la suite », souligne la procureure au tribunal.

