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« Des Vivants » : Jean-Xavier de Lestrade critique un autre théâtre

Une minisérie intitulée Des Vivants, disponible sur France.tv avant sa diffusion sur France 2 le 3 novembre à 21h10, raconte le parcours de résilience et de reconstruction de sept ex-otages du Bataclan. Jean-Xavier de Lestrade, le réalisateur, a exprimé l’intention de « ne pas évacuer la violence ou l’horreur » afin de permettre une compréhension du traumatisme des rescapés.


Une série réalisée en étroite collaboration avec sept rescapés du Bataclan. La minisérie *Des Vivants*, disponible sur France.tv avant sa diffusion sur France 2 le 3 novembre à 21h10, évoque la prise d’otages au Bataclan et le parcours de résilience et de reconstruction de sept ex-otages, formant un groupe d’amis appelé « les Potages » (fusion de « potes » et « otages »).

« On a écrit à partir des témoignages de rescapés du couloir », résume Jean-Xavier de Lestrade, le réalisateur de cette fiction inspirée de faits réels. Ce dernier a choisi de tourner certaines scènes au Bataclan. Des gros plans sur les fauteuils rouges suscitent une « énorme émotion » chez certains rescapés et victimes, selon Arthur Dénouveaux, président de l’association Life For Paris, qui représente les victimes des attentats du 13 novembre 2015, dans une interview accordée à *Ici Paris*. Pourquoi Jean-Xavier de Lestrade a-t-il décidé de filmer au Bataclan ?

### « Rendre compte un peu de cette violence subie »

La minisérie débute à minuit trente après l’assaut de la BRI lors des attentats. « On ne pouvait pas rentrer par l’intérieur du Bataclan. C’était absolument exclu », explique Jean-Xavier de Lestrade.

Le réalisateur avait d’abord envisagé de commencer son récit par une rencontre dans un café entre deux Potages. « Mais il fallait quand même rendre compte un peu de cette violence subie, donc les prendre à la sortie du Bataclan », précise-t-il.

Il ne souhaitait pas pour autant faire du « spectaculaire » : « Déjà, on sait une chose, c’est qu’ils sont vivants. Ils sont sur leurs deux pieds, leurs deux jambes. On sait que quoiqu’on raconte après de l’intérieur, on ne va pas voir des gens qui seront à terre. On raconte *Des Vivants*. C’est important, au départ, pour le spectateur, cette sécurité-là », ajoute-t-il.

### « Ne pas évacuer la violence ou l’horreur »

La question de montrer des flash-backs sur ce que les Potages ont vécu à l’intérieur du Bataclan a été soulevée. « Il faut y retourner parce qu’il ne s’agit pas non plus d’évacuer la violence ou l’horreur, sinon on ne comprendrait pas leur traumatisme, on ne comprendrait pas leur comportement si on ne montre pas un peu de ce qui s’est passé », souligne le metteur en scène.

« Quand ils décident de se retrouver, forcément, ils reparlent de ce qui s’est passé dans le couloir parce qu’ils ont tous des souvenirs parcellaires, parfois contradictoires. Ils ont besoin du récit des autres pour former un récit collectif et reconstituer la chronologie de ce qui s’est passé dans le couloir. Dans le cadre de la réparation, il est essentiel de pouvoir reconstituer le récit de ce que l’on a subi », analyse Jean-Xavier de Lestrade.

Avant le tournage, il a invité Arthur Dénouveaux à un dîner pour discuter des limites à ne pas franchir. Ce dernier a exprimé ses réserves concernant un tournage au Bataclan, qui a rouvert ses portes au public le 16 novembre 2016 pour accueillir de nouveau des concerts. « Il serait possible de tourner dans d’autres salles à Paris avec les mêmes sièges rouges », avance Arthur Dénouveaux.

### « On ne peut pas tricher avec les décors »

Arthur Dénouveaux considère que ces scènes tournées au Bataclan pourraient « choquer profondément les victimes qui voient cet endroit comme celui où elles ont frôlé la mort ou où leurs proches sont décédés. On ne peut pas y refaire les choses. Le parallèle osé que je fais, c’est que personne n’irait tourner là où se sont déroulés les faits horribles contre Gisèle Pelicot. »

Interrogé sur France Inter suite à ces critiques, le réalisateur a déclaré « comprendre » cette réaction. « Peut-être que si j’avais été proche d’une victime ou victime moi-même, j’aurais eu exactement la même réaction », a-t-il ajouté.

Jean-Xavier de Lestrade, également créateur de la mini-série *Sambre*, qui retrace la traque du « Violeur de la Sambre », estime cependant que filmer au Bataclan est un signe de respect pour les victimes et pour le public : « On ne peut pas tricher avec le sujet. On ne peut pas tricher non plus avec les décors. Dans de nombreuses histoires basées sur des faits réels, ma première instinct a toujours été d’aller filmer ailleurs que là où cela s’est réellement déroulé. Mais, ici, il n’était pas question de tourner dans un théâtre avec des fauteuils rouges qui ne soit pas le Bataclan. Ils étaient au Bataclan. Tourner, sous prétexte que c’est une fiction, dans une autre représentation, c’était tromper le public », défend-il.

Le réalisateur a filmé uniquement les fauteuils rouges, sans aucun plan sur les victimes décédées ou blessées, et précise : « Ce qu’on peut montrer comme image ou geste n’est pas gratuit. On ne peut pas tricher sur ces moments-là. » Pour conserver l’authenticité, les scènes du procès ont été tournées dans la salle du V13 et la naturalisation d’un des Potages au Panthéon.

### « Un témoignage pour le futur »

« Ça brouille la frontière entre fiction et réalité et cela ne me semble pas sain », estime encore Arthur Dénouveaux. « La série doit être un témoignage pour le futur. L’ambition est qu’après vingt ans, quelqu’un qui s’intéresse à ce que les rescapés du Bataclan ont vécu puisse regarder la série et disposer de tous les éléments pour reconstituer ce moment-là. Aller tourner dans un autre théâtre aurait été presque indécent », défend le réalisateur.

Il note également : « C’est aussi un témoignage inouï de ce qui s’est passé dans ce couloir. Les Potages sont les seuls à avoir échangé avec les terroristes durant cette nuit d’horreur et de massacre. »

Pour les quelques scènes tournées au Bataclan, les acteurs ont été guidés par un des rescapés : « David Fritz Goeppinger est retourné au Bataclan pour leur montrer les lieux. S’il est capable de nous le raconter, nous pouvons aussi y être et le jouer. C’était un moment émotionnellement complexe. »

Et pour conclure : « Lorsque l’on s’attaque à une histoire comme celle-ci, on sait qu’on va parler de tragédie, de douleur, d’effondrements, de gens en souffrance. Si l’on choisit de raconter cela, il faut que, au bout du chemin, il y ait des vertus réparatrices. Je ne l’invente pas, les Grecs parlent de catharsis. »