De 200 euros à 15 euros la tonne, le marché belge de la patate en danger.
Environ 70% de la production de patates en Belgique est effectuée par contrats, tandis que les 30% restants sont « libres » donc sans contrat. En 2022, la Chine produisait 95 millions de tonnes de patates par an et l’Inde en produisait 56 millions, tandis que la Belgique a produit 4 millions de tonnes.
Une « bulle » de la patate
Dans le secteur de la pomme de terre, les producteurs se divisent en deux catégories : ceux qui travaillent sous contrat et ceux qui ne le font pas. Les contrats sont négociés avec les industriels, garantissant un prix fixe pour une partie de la production, soit environ 70%. Les 30% restants sont « libres », donc sans contrat. Ces dernières années, le prix d’achat des pommes de terre « libres » était comparable à celui des pommes de terre sous contrat, mais cette tendance a changé. Kevin Vrancx, un producteur du Hainaut, témoigne : « Je vends ma tonne sous contrat à 200 euros » et ajoute que, pour la partie libre, il ne parvient à vendre qu’à 10-15 euros la tonne, ce qui le pousse à vendre à perte.
Beaucoup de producteurs se retrouvent donc avec des dizaines de tonnes de pommes de terre inutilisées dans leurs hangars. Certains espèrent voir le prix augmenter, tandis que d’autres se résignent à vendre à perte.
Comment en est-on arrivé là ?
Le premier constat est que la production de pommes de terre était perçue ces dernières années comme un bon investissement. Les coûts de production étaient faibles, le marché national était demandeur et les exportations se sont bien comportées, en particulier grâce aux entreprises de reconditionnement belges qui transforment les pommes de terre en frites surgelées pour le marché américain.
En conséquence, la surface de culture a augmenté. Pierre Lebrun, directeur de la FIWAP, explique : « Nous avons observé une augmentation régulière de la surface cultivée d’année en année« , précisant qu’il aurait été logique de réduire la production l’année dernière à cause d’une baisse de la demande, mais celle-ci a encore augmenté de 6 à 8%.
Ce phénomène est qualifié de bulle économique : de nombreux producteurs se sont lancés dans la culture de la pomme de terre, attirés par cette dynamique. Résultat, l’offre de pommes de terre belges, et européennes en général, a explosé. Une telle augmentation rapide entraîne souvent une chute soudaine, appelée « éclatement de la bulle« , lorsque la confiance des producteurs est affectée, provoquant une crise financière.
Nous en sommes donc témoins aujourd’hui.
Mais quelles sont les raisons de cette baisse de la demande à l’export ?
La Chine et l’Inde, nouveaux géants de la patate
Alors que les producteurs belges augmentaient leur production, d’autres pays, tels que la Chine et l’Inde, se sont engagés dans le lucratif marché de la frite. Ces deux pays sont devenus les plus grands producteurs mondiaux de pommes de terre : en 2022, la Chine a produit 95 millions de tonnes de pommes de terre, tandis que l’Inde a atteint 56 millions de tonnes. En comparaison, la Belgique a produit 4 millions de tonnes l’année dernière. Cependant, la situation est devenue plus complexe : « C’est vrai qu’aujourd’hui, l’exportation de frites est problématique car nous devons partager les marchés« , note Pierre Lebrun, ajoutant que « des pays émergents comme l’Inde et la Chine développent leur propre industrie de transformation pour cibler des marchés comme ceux en Asie du Sud-Est et au Moyen-Orient. » Bien qu’ils représentent encore reliativement une part modique par rapport à l’Europe ou l’Amérique du Nord en volume, leur développement rapide commence à impacter les opportunités de vente.
Devant ce constat, il est urgent pour le secteur de réagir. « Il faut intégrer ces nouvelles situations de marché« , conclut Pierre Lebrun, affirmant que « le secteur n’est plus en croissance directe, même si la consommation de frites dans le monde continue d’augmenter. Il faut désormais partager le gâteau et maîtriser l’offre.«
Produire moins de patates ?
Pour mieux gérer l’offre, le directeur de la FIWAP appelle les producteurs à réaliser un changement crucial : « Il faut maîtriser les surfaces, les réduire pour ajuster au mieux l’offre à la demande pour les années à venir. » Cela implique donc de produire moins de pommes de terre, d’assainir la situation pour permettre à tous de reprendre des profits et par la suite, de repartir sur des bases nouvelles en tenant compte des marchés mondiaux. Il souligne également que la géopolitique influence le secteur, notamment avec les taxes douanières imposées par le président Trump, générant une grande incertitude, ainsi que les relations défavorables entre l’euro et le dollar pour les produits européens.
À l’avenir, réduire la production de pommes de terre pourrait s’avérer essentiel pour éviter une perte de bénéfices lorsque la demande décline, assurant ainsi aux producteurs des prix leur permettant de vivre de leur activité, tel est le consensus parmi les responsables du secteur. Les producteurs rencontrés partagent également ce constat.

