France

Budget 2026 : Le Sénat peut-il vraiment nuire ?

Le président du Sénat, Gérard Larcher, a déclaré dans une interview au Parisien, publiée le 25 octobre, que « le budget présenté aujourd’hui n’est pas acceptable ». Selon Benjamin Morel, maître de conférences en droit public, « le Sénat a ce pouvoir-là », mais ce pouvoir dépend en grande partie de la situation à l’Assemblée nationale.


Grosse colère. Dans une interview accordée au Parisien et publiée le 25 octobre, Gérard Larcher, président du Sénat, a déclaré : « le budget présenté aujourd’hui n’est pas acceptable ». Le sénateur Les Républicains a également pointé du doigt la suspension de la réforme des retraites, annoncée par le Premier ministre Sébastien Lecornu et confirmée par le président de la République.

Ces propos semblent avoir agacé le président de la chambre haute, qui a même évoqué la possibilité d’un rétablissement, par la force du Sénat, de ce texte. De plus, il a laissé entendre qu’un démantèlement par l’ensemble des sénateurs du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pourrait avoir lieu lors des discussions au Palais du Luxembourg, à partir du 19 novembre. Toutefois, le Sénat possède-t-il vraiment le pouvoir que lui attribue son président ?

Le pouvoir non négligeable du Sénat

« Oui, le Sénat a ce pouvoir-là », confirme Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris-2 Panthéon Assas et docteur en science politique à l’École normale supérieure de Paris-Saclay. « Mais c’est un pouvoir qui dépend en grande partie de la situation à l’Assemblée nationale », nuance-t-il.

En effet, le pouvoir législatif implique que les deux chambres dépendent l’une de l’autre, avec des forces politiques différentes. « Si l’Assemblée nationale rejette le budget, que ce soit la première partie ou l’ensemble du texte, la seule chambre qui va toucher au budget et qui va finalement voter quelque chose, ça sera le Sénat », explique Benjamin Morel. Cette situation confère donc au Sénat un pouvoir considérable.

Un compromis « peu probable »

Ainsi, le Sénat pourrait, comme l’indique Gérard Larcher, décider de revoir entièrement le budget qui lui est soumis. Si tel était le cas, son adoption finale par l’Assemblée nationale pourrait être fortement compromise, car « la commission mixte paritaire se fera sur les fondements du texte du Sénat », précise le spécialiste. Le résultat serait alors très différent de la version initiale présentée par le gouvernement à l’Assemblée nationale, le Sénat ayant historiquement une tendance marquée à droite.

Cependant, si l’Assemblée nationale parvenait à établir un consensus lors de la première lecture résultant d’un équilibre délicat entre Les Républicains et les socialistes – ce qui est « peu probable », selon Benjamin Morel – maintenir cette balance serait difficile, voire impossible. « Quoi qu’il arrive, le Sénat voudra forcément déporter cet équilibre à droite. Et donc dans ce contexte-là, le texte sera-t-il toujours valable ? », questionne le juriste.

« Le risque, c’est que tout tombe par terre »

Si une révision du texte par le Sénat ne donnait pas lieu à l’aboutissement de la commission mixte paritaire, « ce vers quoi l’on va, probablement », analyse Benjamin Morel, le gouvernement serait alors amené à donner, selon la tradition, le dernier mot à l’Assemblée nationale. Cela mettrait une pression considérable sur le groupe LR, notamment sur son président Laurent Wauquiez, qui serait contraint de suivre la ligne tracée par Gérard Larcher au Sénat.

« Le risque, c’est que tout tombe par terre si le Sénat est trop radical et fait échouer la commission mixte paritaire. Et pour l’instant, c’est le scénario le plus probable », estime le maître de conférences. Pour tenter de calmer les tensions, le Premier ministre Sébastien Lecornu a rencontré hier le groupe sénatorial. Ce geste vient en réponse à l’appel du président du Sénat de « respecter le principe du bicamérisme » qui gouverne le système démocratique français.

Une initiative stratégique, car face à une Assemblée divisée et sans recours à l’article 49.3, que Sébastien Lecornu souhaite éviter, « se passer du Sénat compliquerait vraiment les choses pour le gouvernement. Car si les sénateurs veulent “casser les pieds” de Lecornu, ils en ont les moyens », conclut Benjamin Morel.