« Paul Gasnier dénonce un discours d’extrême droite dans son roman »
Paul Gasnier, dix ans après l’accident qui a coûté la vie à sa mère, assiste à un meeting d’Éric Zemmour où il ressent une résonance avec le discours sur le « laxisme judiciaire » et « l’ensauvagement ». Il constate que l’histoire de Saïd, jeune délinquant maghrébin, illustre un mal plus vaste, reflétant des failles d’un système éducatif et judiciaire face à la dérive vers la délinquance.
Dix ans après l’accident qui a causé la mort de sa mère, Paul Gasnier assiste à un meeting d’Éric Zemmour. Lors de cette rencontre, il entend un discours sur le « laxisme judiciaire » et « l’ensauvagement ». À sa grande surprise, ces propos résonnent en lui : « Je me dis que j’aurais pu être dans ces gradins à applaudir ce discours. Et puis, je reconnais à mon corps défendant que ce qu’Éric Zemmour dit sur scène me touche, il met des mots très radicaux, très brutaux, certes, mais sur ce que j’ai vécu dix ans plus tôt. Une réflexion naît en moi, un peu contre-nature, parce que je ne suis pas un garçon d’extrême droite », confie-t-il.
Ce meeting agit comme un catalyseur. Il réalise à quel point un fait divers peut alimenter la tentation politique : « L’accident qui a tué ma mère illustre parfaitement, à première vue, le discours d’extrême droite. Un accident manichéen, avec un coupable parfait : un jeune délinquant maghrébin, dealer de drogue, sous l’emprise du cannabis, récidiviste, dont le parcours évoque le laxisme judiciaire, et une victime idéale : une femme blanche, catholique, bourgeoise, qui a eu pour seul tort de croiser sa route au mauvais moment. »
C’est ce paradoxe qui nourrira plus tard son livre :
« Aujourd’hui, l’extrême droite, c’est 40% de l’électorat. C’est un électorat dont le carburant essentiel est le fait divers et son commentaire, qui pourrit la conversation publique. »
Longtemps, sa colère l’a empêché d’avancer : « Quand je croisais des délinquants ressemblant à Saïd, j’éprouvais des poussées de colère. Je n’arrivais pas à vivre mon deuil sereinement, sachant que le jeune qui avait tué ma mère continuait à vivre paisiblement dans les rues de Lyon. Il m’a fallu dix ans et l’écriture de ce livre pour enfin tourner la page. La colère est un sentiment stérile, on ne peut pas vivre tranquillement quand on est en colère. »
La Collision explore « la généalogie » du drame : le parcours de Saïd et les failles d’un système défaillant. En enquêtant, Paul Gasnier a rencontré magistrats, policiers, avocats, ainsi que la sœur et les éducateurs sociaux de Saïd. Il constate que l’Éducation nationale n’a pas su rattraper ce jeune en échec scolaire : « Les éducateurs sociaux faisaient ce qu’ils pouvaient pour combler les trous, mais avec leurs petits bras, ils ne peuvent pas sauver tous les jeunes. Les policiers et la justice manquent de moyens, donc ils jugent vite et mal, et il s’en tire tout le temps. »
L’histoire de Saïd devient ainsi le symptôme d’un mal plus vaste : « Celle d’un jeune qui a commencé une dérive vers la délinquance dès l’adolescence, une dérive qu’aucun filet de l’État n’a pu ralentir ou rattraper. »
Pour Paul Gasnier, ces drames révèlent également quelque chose de « la virilité », faisant allusion à la masculinité toxique : « Le rodéo urbain, c’est le véhicule d’une masculinité contrariée. Il n’y a rien de plus phallique que le rodéo urbain : dresser un guidon d’une machine plus puissante que nous et le garder dressé le plus longtemps possible pour impressionner ses amis. »
Dans la famille de Saïd, les deux garçons sont tombés dans la délinquance, tandis que les deux filles mènent des vies stables. Selon le journaliste : « Il y a un vrai problème sur l’éducation des garçons et sur l’imaginaire dans lequel ils baignent. […] Ils rêvent d’avoir ce qu’ils voient dans les clips de rap : les liasses de billets, les casinos, l’argent facile. »
Il remarque que cet imaginaire façonne un rapport déformé à la réussite et à la virilité, où drogue, vitesse et domination sont valorisées : « Aujourd’hui, il n’y a pas un clip de rap sans rodéo urbain. C’est hallucinant à quel point c’est devenu un leitmotiv artistique. […] On s’interroge peu sur les paroles homophobes ou misogynes, qui glorifient la violence. »
Cependant, Paul Gasnier précise : « Je ne veux pas interdire ou censurer. Je dis juste que c’est un grand impensé collectif, notamment de la gauche, qui fait beaucoup de dégâts chez de nombreux jeunes. »
► Écoutez ci-dessus l’intégralité de cette interview dans le podcast Entrez sans frapper.

