Armée : ce que l’on sait du MBT, missile balistique français à acquérir
Le ministère des Armées prévoit, dans le projet de loi de finances 2026, de flécher de l’ordre d’un milliard d’euros pour développer un missile balistique terrestre (MBT), dont 15,6 millions d’euros dès l’année prochaine pour entamer une étude de levée de risques. ArianeGroup, qui fabrique déjà le M51, travaille depuis plusieurs mois sur ce projet de MBT, qui serait capable de parcourir entre 1.000 et 2.000 km.
C’est un projet issu de l’analyse des retours d’expérience de la guerre en Ukraine, qui a souligné l’importance de disposer de capacités de frappe à distance. Selon Challenges, le ministère des Armées envisage, dans le projet de loi de finances 2026, d’allouer environ un milliard d’euros au développement d’un missile balistique terrestre (MBT), également qualifié de missile balistique tactique, dont 15,6 millions d’euros dès l’année prochaine pour initier une étude de réduction des risques.
Conçu par ArianeGroup, qui avait présenté discrètement une maquette de ce missile lors du dernier salon du Bourget, le MBT sera doté d’une charge explosive conventionnelle destinée à frapper des cibles situées derrière les lignes ennemies, telles que des postes de commandement, des usines ou des bases aériennes. Voici les informations actuellement disponibles sur ce projet.
### Qu’est-ce que ce projet de missile balistique terrestre français ?
ArianeGroup, fabricant du M51, le missile balistique à tête nucléaire qui équipe les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) français, travaille sur ce projet de MBT depuis plusieurs mois. Il s’agira d’un missile balistique à deux étages, propulsé par un moteur utilisant du propergol solide (comme les fusées Vega-C et Ariane 6), avec une tête détachable.
Une fois propulsé au-delà de l’atmosphère, le missile se sépare et sa tête retombe à grande vitesse sur terre, pouvant atteindre Mach 16 (20 000 km/h) et disposant de capacités de manœuvre, ce qui en fera un missile hypersonique. Comparé à l’Orechnik russe, qui a une portée estimée à 5 000 km, le MBT pourrait atteindre entre 1 000 et 2 000 km. Ce sera un missile « terre-terre », lancé depuis une plateforme terrestre, comme un camion.
### Pourquoi la France n’est-elle pas encore dotée d’un missile balistique conventionnel ?
Il est nécessaire de préciser de quel type de missiles il s’agit. Il existe plusieurs catégories de missiles balistiques : à courte portée (SRBM, moins de 1 000 km), à moyenne portée (MRBM, entre 1 000 et 3 000 km), à portée intermédiaire (IRBM, de 3 000 à 5 500 km) et les missiles intercontinentaux (ICBM, plus de 5 500 km). Les IRBM et ICBM sont classés séparément car ils sont dédiés au transport de charges nucléaires, même si certains, comme l’Orechnik, peuvent également transporter des charges conventionnelles.
La France possède déjà un missile balistique intercontinental, le M51, qui peut atteindre Mach 16 lors de sa phase de descente, avec une portée d’environ 8 000 km. Cependant, il est à tête nucléaire et embarqué par les SNLE. « Jusqu’à présent, la France a refusé de se doter d’un missile balistique avec une charge conventionnelle, pour éviter tout risque de mauvaise interprétation en cas de conflit », explique à 20 Minutes l’expert en armement stratégique Etienne Marcuz. L’objectif a été de munir tous les missiles balistiques français d’une charge nucléaire.
En réalité, la confusion entre un missile à tête nucléaire ou conventionnelle est presque inexistante. « Il faut comprendre qu’il s’agit d’une logistique complexe pour déployer une arme nucléaire, et il y a forcément des signes de préparation décelables, notamment grâce à l’imagerie satellitaire », ajoute Etienne Marcuz. « En Ukraine, il n’y a jamais eu d’ambiguïté sur la nature des charges des missiles balistiques tirés par les Russes, même si certains peuvent transporter une charge nucléaire. »
Le retour d’expérience de la guerre en Ukraine a également révélé la nécessité de disposer d’une arme de frappe à distance pour atteindre des cibles stratégiques, en particulier industrielles. « La Russie bombarde l’Ukraine avec des drones, des missiles de croisière et des missiles balistiques pour détruire ce genre de cibles stratégiques », précise encore Etienne Marcuz. « Ces frappes, bien qu’ayant un impact économique majeur, ne compromettent pas les intérêts vitaux du pays. Il est donc difficile de réagir avec des menaces de représailles nucléaires. Si la Russie décidait de mener une campagne de déstabilisation en bombardant des infrastructures économiques en France, il serait compliqué d’y répondre par une attaque nucléaire. Nous avons donc besoin de regagner en flexibilité pour menacer la Russie de dommages équivalents. » Ce missile pourrait remplir un rôle dissuasif, marquant ainsi une évolution dans la conception de la dissuasion française, qui a toujours été associée à la puissance nucléaire.
### De quel type de missiles la France dispose-t-elle ?
En plus du M51 et de sa fonction nucléaire, la France utilise différents systèmes d’attaque conventionnels, mais bien moins ambitieux qu’un missile balistique. « Du côté de l’armée de Terre, nous avons le LRU (lance-roquettes unitaire) avec une portée de 70 km [MBDA et Safran travaillent sur un nouveau lance-roquettes, le Thundart, d’une portée de 150 km] ; l’armée de l’Air possède le Scalp, un missile de croisière avec une portée atteignant 500 km ; et la Marine dispose de son côté d’un missile de croisière naval (MdCN), une variante du Scalp avec une portée de plus de 1 000 km. Mais en tant que missile de croisière, il est bien plus vulnérable qu’un missile balistique », énumère Etienne Marcuz.
### Que permettrait un missile d’une portée de 1 000 à 2 000 km ?
Une portée de 1 250 km permettrait d’atteindre l’exclave de Kaliningrad depuis la France. Avec 2 000 km, on pourrait atteindre Saint-Pétersbourg, comme l’indique une étude approfondie intitulée : « Quel missile balistique conventionnel pour la France ? ». « Mais tout l’intérêt du MBT est de pouvoir être déployé à l’étranger », affirme Etienne Marcuz. « En plaçant des batteries de missiles en Pologne, en Suède ou en Finlande, vous pourriez atteindre des cibles jusqu’à l’Oural. Cela devient stratégique car vous menaceriez le cœur industriel russe. »
Le but serait ainsi de « menacer de frapper des cibles stratégiques qui n’auraient pas nécessairement un impact direct sur le front, comme des raffineries ou des usines, sans franchir le seuil nucléaire. Ce missile représente donc davantage un outil politique qu’uniquement militaire, permettant d’initier un ‘dialogue’ avec l’adversaire. »
### Ce type de missile est-il interceptable ?
« Ce n’est pas impossible, mais très difficile », assure Etienne Marcuz. « Et plus la portée des missiles balistiques est grande, plus ils sont difficiles à intercepter car leur vitesse augmente. » À noter que le système de défense franco-italien Aster 30 a déjà réussi à intercepter des missiles balistiques en Mer Rouge, mais il s’agissait de missiles à courte portée (quelques centaines de kilomètres).
Parmi les systèmes susceptibles d’intercepter des missiles balistiques de plusieurs milliers de kilomètres, on peut envisager l’Arrow 3 israélien ou le SM-3 américain. « Ce sont des systèmes d’interception exoatmosphériques, c’est-à-dire qu’ils ciblent le missile durant sa phase en dehors de l’atmosphère », conclut Etienne Marcuz.

