« Des femmes entrepreneuses créent un assistant masculin pour être prises au sérieux »
Ondine Martinez, créatrice de contenus et fondatrice d’une marque d’accessoires de yoga en 2018, a constaté qu’elle avait moins d’efficacité avec certains prestataires que Nicolas, son assistant imaginaire. D’après une consultation menée dans le cadre de l’édition 2024 du concours « Créatrices d’Avenir » par le réseau associatif Initiative Ile-de-France, plus de 4 entrepreneuses sur 10 estiment que leur genre constitue un handicap auprès de leurs partenaires de business.
« En tant que femme cheffe d’entreprise, j’avais moins d’efficacité avec certains prestataires que Nicolas, mon assistant imaginaire… » C’est ainsi qu’Ondine Martinez, créatrice de contenus et fondatrice d’une marque d’accessoires de yoga en 2018, a partagé son expérience sur Instagram. Comme de nombreuses femmes entrepreneuses, elle a été confrontée au sexisme de certains interlocuteurs masculins, ce qui l’a conduite à mettre en place un petit stratagème : se créer un assistant masculin totalement fictif.
« Avec mon associée, nous ressentions clairement du sexisme derrière certaines interactions avec des prestataires », témoigne l’entrepreneuse. Elle évoque des « blocages » accompagnés de comportements paternalistes, condescendants ou inutilement désagréables. Des phrases comme « Vous êtes bien mignonne, mais… » indiquaient en gros qu’elles n’étaient pas une priorité et qu’elles seraient traitées lorsque le prestataire aurait le temps. Les remises en question de leurs capacités étaient également fréquentes : « Mon associée, informaticienne, se faisait parler comme à un bébé par certains prestataires sur des questions d’informatique, alors qu’eux n’étaient pas forcément calés dans ce domaine. »
Cette situation, qui « rendait folles » les deux entrepreneuses, les a poussées à créer Nicolas, un assistant masculin imaginaire, après avoir entendu parler de cette stratégie sur les réseaux sociaux. « On lui a créé une adresse mail. Et dès que nous avions l’intuition que nous nous faisions plus ou moins prendre pour des greluches et que la situation pouvait se débloquer pour quelqu’un d’autre, nous le faisions intervenir », explique Ondine Martinez. Une fois le problème identifié, les deux associées « disaient par mail que leur chargé de projet prenait en charge les échanges et serait désormais leur interlocuteur sur ce dossier ».
Derrière ce fameux chargé de projet se cachaient en réalité, comme vous l’avez compris, les deux entrepreneuses, dont le comportement ne changeait pas lorsqu’elles incarnaient Nicolas. Cependant, les réponses de certains prestataires évoluaient radicalement : « Tout de suite, la situation se débloquait. C’est assez fou de voir à quel point ça fonctionnait », raconte Ondine Martinez, même si Nicolas n’est pas beaucoup intervenu. Concrètement, le faux assistant permettait de « mettre le prestataire en action sur quelque chose, de s’occuper de notre cas, d’avoir une amélioration de prestation de sa part et de son comportement ».
Le plus frappant était « le changement de ton » d’un même interlocuteur « entre les réponses qu’il m’adressait et celles qu’il adressait à Nicolas, comme si ce n’était pas du tout la même personne ». Alors qu’elle est censée être la supérieure hiérarchique de Nicolas, « c’est à lui qu’on répondait beaucoup mieux, avec plus de politesse et de considération, et qui acceptait des choses qui étaient refusées avant », se souvient l’entrepreneuse.
Ce constat « très agaçant et déprimant », qui « faisait rire jaune » les deux associées, est également partagé par d’autres femmes entrepreneuses : la technique du faux assistant ou celle d’un homme fictif, qu’il soit directeur, subordonné ou cofondateur, s’est répandue. Sur les réseaux sociaux, des femmes s’encouragent à utiliser cette « astuce ». Aux États-Unis, Penelope Gazin et Kate Dwyer, fondatrices de la plateforme de vente d’art Witchsy, ont aussi révélé avoir créé un faux cofondateur, nommé Keith Mann – en référence au mot « man », « homme » en français. « Pour être crédible en tant que femme, il faut faire ses preuves ou être un homme », déplore Ondine Martinez.
Ce sentiment est corroboré par les chiffres : selon une consultation réalisée dans le cadre de l’édition 2024 du concours « Créatrices d’Avenir » par le réseau associatif Initiative Ile-de-France, plus de 4 entrepreneuses sur 10 estiment que leur genre constitue un handicap auprès de leurs partenaires d’affaires, voire un frein dans le développement de leur projet. Plus de la moitié des femmes consultées (51 %) affirment également avoir été confrontées à des obstacles ou à des discriminations directement liés à leur genre.
Si « le sexisme à l’égard des femmes est constant et général, il y a des domaines où il est particulièrement violent, comme le milieu de la gouvernance et tout ce qui est réputé « masculin » – haute technologie, sciences, mathématiques », commente Brigitte Grésy, ancienne présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. « Dans les start-ups ou le domaine de la création d’entreprise, le rapport de force est immédiatement défavorable » aux femmes, et « tous les coups sont permis », en raison de l’absence de « régulation sociale » apportée par un groupe, comme c’est le cas dans les plus grandes entreprises.
« Les vieux réflexes comme le sexisme reviennent alors au grand galop, et les femmes rencontrent de gros problèmes » dans les start-ups ou les petites structures, précise l’experte en questions d’égalité. Ces difficultés touchent l’accès au financement, la recherche de partenaires d’affaires ou de prestataires, comme l’ont vécu les femmes ayant créé un assistant masculin.
Pour Ondine Martinez, Nicolas a « disparu » au fur et à mesure que son entreprise prenait de l’envergure : « Au début, c’était lui qui donnait la crédibilité au projet parce que c’était un homme. Mais à partir du moment où la société a acquis une visibilité, un renom, une expérience et qu’elle était crédible d’elle-même, il n’y a plus eu besoin de lui. »
Cependant, Nicolas n’a (malheureusement) peut-être pas dit son dernier mot : l’entrepreneuse, qui a vendu sa société et s’est concentrée pleinement sur la création de contenus sur son blog et ses réseaux sociaux, envisage de se recréer un assistant « pour mieux négocier des tarifs ou des conditions de collaboration ». « Il n’y a pas de sexisme manifeste de la part des hommes avec qui je négocie, mais je me demande si ce ne serait pas plus efficace » avec « un Nicolas », confie Ondine Martinez, tout en admettant que « être créatrice de contenus est probablement l’un des rares métiers où l’on a beaucoup moins besoin d’un Nicolas ». Nicolas, c’est toi ?

