« Pour l’amour du ciel » de Ines Mghirbi : Les amours passent-elles la douane ?
Ines Mghirbi a publié sa première œuvre, « Pour l’amour du ciel », chez Hkeyet Edition. Ce livre, composé de 120 pages, aborde les échanges entre trois duos dans un récit hybride mêlant événements, lettres, poèmes et autres formes d’expression.
L’aéroport, véritable foyer de passages, a inspiré de nombreux écrivains, donnant ainsi naissance à ce que certains appellent une « littérature de l’aéroport », un ensemble de récits explorant la complexité spatiale, sociale et psychologique de cet espace de départs et de retrouvailles. Ines Mghirbi y apporte sa contribution avec sa voix unique. « Pour l’amour du ciel », sa première œuvre, vient d’être publiée chez Hkeyet Edition.
La Presse — Pour résumer « Pour l’amour du ciel », on pourrait dire qu’il s’agit de trois types de relations humaines soumises à la distance. S. réagit à sa séparation d’A., son amie depuis toujours, en réfléchissant aux « aurevoirs ». Cette interjection, écrite en un seul mot tout au long du livre, devient synonyme d’attente et des tourments intérieurs engendrés par la séparation.
Deux autres histoires se déroulent en parallèle : K. est parti, laissant son frère jumeau R. et Y. tente de maintenir une relation à distance avec M., qui a quitté le pays depuis quelques années. Le livre se construit sur des échanges alternés entre ces trois duos, s’éloignant d’une narration linéaire.
Il s’agit d’un récit hybride, un « assemblage de traces » intégrant événements, lettres, poèmes, extraits de journaux intimes et même SMS. Les confidences, scènes familiales et anecdotes se succèdent dans les 120 pages. Les personnages se remémorent des moments significatifs de leur vie. Ce « patchwork de souvenirs » génère nostalgie et une volonté partagée de se retrouver. Ils tentent de surmonter la mélancolie de la séparation en partageant leurs tracas quotidiens, promesses, vœux d’anniversaires, playlists musicales et listes de courses.
L’œuvre de la jeune Ines Mghirbi se distingue non seulement par sa structure, mais aussi par sa manière claire de décrire des scènes et des ressentis réalistes. Son style est simple, fluide, émouvant, avec une touche d’humour dissimulée dans les passages les plus poignants. Écrit « entre deux pages de théories marketing », comme l’a noté l’autrice dans sa préface, Ines Mghirbi le désigne simplement comme « le livre que j’aurais aimé lire ce jour-là en rentrant de l’aéroport ».
Une dimension autobiographique se reflète également dans les remerciements, où l’autrice partage sa propre expérience ainsi que des témoignages recueillis dans son entourage et même à l’aéroport. Le lecteur réalise dès les premières lignes que ce récit personnel possède une portée universelle, permettant à chacun de s’y identifier ou d’y retrouver des expériences vécues par ses proches.
Les personnages, représentés par des initiales, incarnent des histoires appartenant aux milliers de silhouettes anonymes qui fréquentent les halls d’attente des aéroports et les salles d’embarquement. Chaque lecteur attribuera sans doute des noms et des visages aux protagonistes.
Entre « aurevoirs » et départs définitifs, personne n’est vraiment à l’abri. Bien que l’écrivaine ait précisé « ne pas chercher à analyser la complexité des relations à distance », « Pour l’amour du ciel » explore davantage des émotions que des événements. C’est une réflexion sur des parcours croisés et des chemins divergents.
Chaque échange constitue une profonde méditation sur la pérennité des relations lorsque les trajectoires se séparent dans l’immensité du monde. La dédicace qui ouvre le livre, « Aux amours qui n’ont pas besoin de traverser la douane », se transforme à la fin en interrogation : « L’amour a-t-il besoin de traverser la douane ? ».
L’absence déchirera-t-elle « ce qui semblait être cousu par le destin » ? Comment entretenir des relations humaines au-delà des kilomètres et des décalages horaires ? Comment compenser le manque ? La distance émotionnelle et la distance géographique finiront-elles par se confondre ? S’accroche-t-on à des fantômes ? Ce livre, qui se présente comme « une déclaration d’amour à ceux qui sont loin, mais qui sont là », redéfinit les notions de présence et d’absence.
Un aéroport est finalement un lieu de départ, mais aussi de retrouvailles. En attendant, entre souvenirs de retrouvailles et souvenirs d’aurevoirs, « Ils aimeront le ciel car c’est en le traversant à nouveau que leurs retrouvailles seront possibles », écrit Ines Mghirbi. Ce premier ouvrage marque les débuts prometteurs d’une jeune voix littéraire à suivre.
Il a été réalisé dans le cadre de l’atelier d’écriture « Ailleurs », initié par l’Institut français de Tunisie et dirigé par l’écrivain reconnu Mouha Harmel. Cet espace de réflexion et de créativité, enrichi par des échanges et des expérimentations littéraires, a également permis à d’autres jeunes auteurs de développer leur talent et de publier leurs livres.

