L’armée américaine ne frappe pas des bateaux de narcotrafiquants : quel cadre légal ?
Depuis début septembre, les Etats-Unis ont mené au moins huit frappes, notamment dans la mer des Caraïbes, qui ont fait plusieurs dizaines de morts et mobilisé sept navires et des avions de combat dans ce qu’ils qualifient de lutte contre le trafic de drogue. Ce mercredi, le président Nicolás Maduro a assuré que le Venezuela disposait de 5.000 missiles antiaériens pour faire face à la menace.

Les États-Unis envisagent-ils une nouvelle guerre contre les cartels de narcotrafiquants, semblable à celle des années 1990, ou cherchent-ils à renverser le gouvernement de Maduro au Venezuela ? Depuis début septembre, les États-Unis ont réalisé au moins huit frappes, notamment dans la mer des Caraïbes, entraînant plusieurs dizaines de morts et mobilisant sept navires et des avions de chasse dans ce qu’ils appellent une lutte contre le trafic de drogue.
Ces bombardements ciblent des embarcations présentées comme transportant de la drogue, et Donald Trump a partagé des images de ces opérations sur ses réseaux. Les tensions entre Washington et Caracas ont ainsi augmenté. Ce mercredi, le président Nicolás Maduro, accusé par l’UE et les États-Unis d’avoir falsifié les dernières élections, a affirmé que le Venezuela possédait 5.000 missiles antiaériens pour se défendre. Par ailleurs, ces derniers jours, l’armée américaine a élargi ses frappes au Pacifique et à des navires colombiens, tandis que des experts de l’ONU ont qualifié les « actions secrètes et les menaces de recours à la force armée » des États-Unis contre le Venezuela de « violation de la souveraineté ». Une frappe récente a fait six morts, selon des rapports. Pour mieux comprendre cette guerre qui se dessine, 20 Minutes a interrogé Oliver Corten, professeur à l’Université libre de Bruxelles au Centre de droit international, auteur de Droit contre la guerre.
Donald Trump a qualifié certains cartels d’« organisations terroristes » et justifié l’utilisation de moyens militaires par la lutte antiterroriste. Quel est le cadre légal ?
La guerre contre le terrorisme n’est pas un concept juridique qui confère des droits spécifiques. Qualifier une organisation de « terroriste » ne suffit pas à elle seule à légitimer des frappes militaires contre des navires supposés appartenir à des trafiquants.
Quels sont les principaux problèmes juridiques associés aux attaques contre des bateaux en haute mer ?
L’utilisation de moyens militaires soulève deux problèmes : la liberté de navigation, qui s’applique en haute mer et est clairement établie par la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer. On ne peut pas attaquer un navire sous prétexte qu’il serait lié à une organisation « terroriste » ou à un cartel. L’arraisonnement est autorisé seulement dans des cas spécifiques, tels que la piraterie ou la traite des êtres humains, et l’arraisonnement n’est pas équivalent à un bombardement.
L’autre dimension, qui me semble primordiale, concerne les relations entre les États-Unis et le Venezuela. Il est important de relier ces attaques aux menaces proférées lors du premier mandat de l’administration Trump, qui se sont répétées depuis, d’intervention militaire contre le Venezuela.
Accuser un État d’être impliqué dans le trafic de drogue ne justifie pas une intervention militaire. La seule voie légale serait d’obtenir l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU.
Il reste la légitime défense, mais celle-ci exige d’être véritablement agressé, ce qui implique un degré de gravité bien plus élevé que la simple tolérance de trafic.
L’utilisation de tels moyens vous semble-t-elle surprenante ?
Il existe des précédents d’actions unilatérales de la part des États-Unis, la plus notable étant celle contre l’Iran, mais on peut également mentionner des interventions liées au conflit avec les Houthis en ce qui concerne les entraves à la navigation en mer Rouge.
Je n’ai pas été particulièrement surpris : l’administration Trump ne met pas le respect du droit international au premier plan de ses préoccupations.
Pouvons-nous parler de crimes de guerre en raison des civils tués lors des frappes contre les bateaux ?
Un crime de guerre implique l’existence d’une guerre, donc d’un conflit armé contre le Venezuela. Dans ce contexte, deux problèmes se posent : d’une part, engager la guerre sans justifications légales, soit le problème du recours à la force ; d’autre part, les moyens utilisés pour faire la guerre. Les crimes de guerre requièrent que l’on cible des civils ou que l’on prenne des risques démesurés pour leur sécurité.
Certes, ces frappes ciblent des bateaux privés. Les personnes à bord ne sont pas des combattants, mais des civils tués sans procès. Si l’on estime que les moyens militaires en place déclenchent un conflit armé, alors il pourrait effectivement s’agir de crimes de guerre.
Au début des années 1990, les États-Unis avaient déjà combattu les cartels mais en utilisant principalement des moyens policiers, notamment la DEA. Était-ce plus légal ?
Pour compléter votre question, l’invasion du Panama en 1989 avait aussi été justifiée par la lutte contre la drogue et avait conduit au renversement du général Manuel Noriega.
Il y a effectivement des actions ciblées menées par des agents à l’étranger, mais elles ne relèvent pas de moyens militaires et se situent en dessous du seuil de l’usage de la force entre États. Cela constitue une violation de la souveraineté d’un État, comme faire la police sur son territoire.
Cela soulève des problèmes de légalité, mais beaucoup moins que l’utilisation de moyens militaires. Il n’existe pas de précédent où le simple fait de viser des cartels a été défendu comme un argument juridique. Ce qui est novateur ici, c’est l’acceptation d’une intervention militaire uniquement justifiée par le trafic de drogue, ce qui n’était pas le cas lors de l’invasion du Panama en 1989.
Pensez-vous qu’il existe une véritable ambition de renverser le gouvernement du Venezuela ?
Il existe des menaces explicites et l’alliance étroite entre Donald Trump et la lauréate du prix Nobel de la paix [Maria Corina Machado], qui prône également une intervention militaire.
Néanmoins, les menaces d’interventions militaires sont récurrentes chez Donald Trump. On se souvient de ses déclarations à propos du Canada ou du Panama. Lorsque des journalistes lui posent la question d’une éventuelle attaque contre le Venezuela, il refuse de répondre négativement.

