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Dérèglement climatique : Les huîtres nuisent-elles à la planète ?

Une capture d’écran d’un article du site Euractiv sur « les flatulences d’huîtres » a été partagée plus d’une centaine de fois sur Reddit, X et Facebook ces deux derniers jours. Fabrice Pernet, chercheur à l’Institut universitaire européen de la mer (Ifremer), a déclaré : « Hormis le CO2, il peut y avoir d’autres gaz à effet de serre qui sont émis lors de l’élevage des huîtres, comme l’oxyde nitreux ou un peu de méthane. Mais c’est tout à fait mineur par rapport à n’importe quel autre élevage animal. »


Pas de date, mais un titre accrocheur. La capture d’écran de ce qui semble être le début d’un article du site d’information Euractiv sur « les flatulences d’huîtres » qui « inquiètent les climatologues » a été partagée plus d’une centaine de fois sur Reddit, X et Facebook, ces deux derniers jours.

Face à cette « information » plutôt surprenante, certains n’ont pas hésité à fustiger les écologistes, d’autres à cibler ostensiblement le parti EELV ou encore à railler les climatologues, qualifiés de « scientistes bourgeois ».

Et les premières lignes de l’article incriminé sont édifiantes. « Les experts du climat », visiblement inquiets, avertissent : « Les projets visant à développer l’agriculture aquatique pourraient avoir de graves répercussions sur le changement climatique », en raison notamment des « pets de coquillages sous-marins » qui produiraient des émissions de gaz à effet de serre, dont 10 % de ceux « libérés par la mer Baltique ».

Alors, bientôt la fin des huîtres dans nos assiettes ?

FAKE OFF

À l’origine de cette publication, un article (en anglais) provenant effectivement du site Euractiv, mais publié le 16 octobre 2017, qui reprend les grandes lignes d’une étude menée par des scientifiques suédois pour Scientific Report, intitulée « Les flux de méthane provenant des sédiments côtiers sont renforcés par la macrofaune »*. Et dans laquelle les huîtres ne sont jamais directement mentionnées.

« En premier lieu, il ne s’agit pas de flatulences ou de pets. Ça, c’est une vision très anthropocentrée. Les huîtres émettent du CO2 parce qu’elles respirent », précise d’emblée, à 20 Minutes, Fabrice Pernet, chercheur en écologie et physiologie des organismes marins à l’Institut universitaire européen de la mer (Ifremer). Bien loin donc de la problématique du méthane, important gaz à effet de serre présent en grande quantité dans les flatulences des bovins, et dont l’élevage intensif est souvent pointé du doigt quand on parle des causes du dérèglement climatique.

Des émissions de gaz à effet de serre mineures

Si le chercheur admet néanmoins que l’idée que les huîtres puissent « péter » comme n’importe quel autre herbivore puisqu’elles se nourrissent de phytoplancton surnommé « l’herbe de la mer » n’est pas si fantasque, il est catégorique : « Hormis le CO2, il peut y avoir d’autres gaz à effet de serre qui sont émis lors de l’élevage des huîtres, comme l’oxyde nitreux ou un peu de méthane. Mais c’est tout à fait mineur par rapport à n’importe quel autre élevage animal. »

Les coquillages, comme les huîtres, sont en effet les « animaux » qui rejettent le moins de gaz à effet de serre. C’est le processus de calcification qui leur permet de fabriquer leurs coquilles qui est principalement émetteur de CO2. Et bien que les coquillages ne soient pas des puits de CO2 comme certaines études ont pu le laisser croire il y a quelques années, « il ne faut pas oublier que 30 % de nos émissions de CO2 sont absorbées quotidiennement par l’océan », poursuit le chercheur.

« Des coquillages plutôt que des cochons »

Également mentionné dans l’article d’Euractiv et repris sur les réseaux, un chiffre interpelle par son envergure : les coquillages en question produiraient « 10 % des gaz du réchauffement climatique libérés par la mer Baltique ». Pour le chercheur de l’Ifremer, rien de surprenant pourtant : « Que 10 % des émissions de CO2 de la mer Baltique uniquement soient liées à des coquillages me paraît tout à fait plausible. Mais attention à ne pas l’appliquer à l’ensemble des mers et océans. »

Ce qui vaut pour la mer Baltique ne vaut en effet pas pour tous les écosystèmes aquatiques. Interrogé par Science et Vie quelques jours après la parution de cette étude, en 2017, Stefano Bonaglia, l’un de ses auteurs, précisait justement : « Les conditions régnant dans la Baltique sont assez particulières, nos résultats ne peuvent donc pas être généralisés à tout le milieu marin. »

Quoi qu’il en soit, Fabrice Fernet est catégorique : « Il vaut mieux élever des coquillages plutôt que des cochons. » Quand bien même serait comptabilisé le CO2 global émis par un élevage de coquillage, qu’il s’agisse d’ostréiculture ou de conchyliculture, « dans un monde en transition, nous pourrions consommer un peu plus de coquillages et un peu moins de viande. Notre bilan carbone serait ainsi bien meilleur, et en plus, nous profiterions de protéines de très bonne qualité et d’acides gras de type oméga-3 essentiel à notre régime alimentaire. Tout ça serait finalement très bénéfique ! », assure-t-il.

(*) À l’origine en anglais : « Methane fluxes from coastal sediments are enhanced by macrofauna ».