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« France Travail ne parvient pas à être un tremplin vers l’emploi »

Alexandre n’a rien contre les paradoxes détonants ou les situations ubuesques, sauf quand cela concerne sa propre situation économique, notamment lorsqu’il déclare : « Mon conseiller m’a réellement invité à arrêter mes activités de professeur vacataire ». Cécile L. a également été conseillée par plusieurs conseillers indemnités à réaliser des missions artistiques gratuites dans des établissements, une pratique illégale selon elle, qui souligne : « Les intermittents n’ont pas le droit de travailler gratuitement ».


Alexandre* n’est pas étranger aux paradoxes surprenants ou aux situations absurdes, sauf quand cela concerne sa propre réalité financière. Ainsi, lorsque son conseiller indemnisation à France Travail lui a fortement conseillé de… ne pas travailler, ce trentenaire a eu du mal à rire. Il s’en étonne encore aujourd’hui : « Mon conseiller m’a réellement invité à arrêter mes activités de professeur vacataire ». Pour obtenir le statut d’intermittent, il est en effet requis qu’au moins un tiers des revenus proviennent d’activités du spectacle. « Plutôt que de chercher avec moi des solutions pour augmenter mes revenus d’intermittent, il a jugé plus simple et souhaitable de me faire cesser mes cours. Or, il me fallait bien subvenir à mes besoins ! »

Cécile L. a pour sa part reçu de plusieurs conseillers indemnités la recommandation de réaliser des missions artistiques gratuites dans des établissements, ce qui, au-delà de n’entraîner aucun revenu, est illégal. « Les intermittents n’ont pas le droit de travailler gratuitement, souligne-t-elle. Si l’inspection des fraudes découvre qu’on suit ce  »conseil », on peut être licencié. Pourtant, de nombreux usagers ont reçu la même directive. »

### Les formations, un véritable parcours du combattant

Les formations sont également difficiles à obtenir. Dans le cadre de son PPAE (Parcours Personnalisé d’Accès à l’Emploi), Julien* a élaboré un dossier complet pour financer une formation afin de devenir sophrologue. « Après m’avoir imposé de constituer un dossier complet, France Travail a refusé le financement en se basant sur des motifs internes sans fondement légal, avant de changer plusieurs fois de raison : une Aide individuelle à la formation (AIF) antérieure non prouvée, la non-conformité du projet, ou encore l’absence de retour rapide à l’emploi – alors que mon projet était entrepreneurial. » Ce fut le début d’un parcours du combattant pour obtenir une réponse d’un France Travail qui semble faire traîner les choses et éviter le dialogue.

« J’ai demandé un entretien avec la direction, mais cela ne s’est jamais concrétisé. Lorsque j’ai exigé une réponse écrite, comme l’avait recommandé le médiateur et comme l’impose la loi – les décisions concernant les cas individuels doivent être accompagnées d’une réponse écrite -, celle-ci n’est jamais arrivée. » France Travail n’a pas répondu pendant deux mois, avant de se manifester à nouveau. Deux mois, qui coïncident avec la durée du recours gracieux, au-delà de laquelle la formation ne peut plus être financée.

### Un système sous le feu des critiques

Cette situation est fréquente, comme le relève le rapport annuel du médiateur national de France Travail. En 2023, il souligne le « problème récurrent des motifs de refus de financement de formation, souvent mal compris par les candidats. Ils mentionnent parfois des motifs différents de ceux exposés en agences. » En 2024, il met en lumière une iniquité de traitement et des blocages administratifs empêchant les usagers d’accéder aux formations prévues dans leur PPAE. Dès 2018, la Cour des comptes dénonçait dans son rapport *La formation des demandeurs d’emploi* « une juxtaposition de dispositifs et une augmentation de moyens sans stratégie globale ni coordination des acteurs » et des « résultats décevants » pour les demandeurs d’emploi.

Ces difficultés entraînent de fréquentes réclamations liées à des refus non motivés. Sylvaine*, conseillère France Travail, confirme le problème : « Débloquer une formation, c’est forcément toucher à un budget. On a l’impression d’accorder une faveur, et beaucoup de conseillers sont réticents à dépenser »… Une perception « cadeau » alors qu’il s’agit d’un droit, selon de nombreux usagers. Laura se souvient : « Lorsque j’ai demandé une formation, on m’a dit de fermer ma bouche si je voulais obtenir mes droits. »

### Des formations entravées par la bureaucratie

Les conseillers doivent faire face à une vraie gageure administrative, les formations étant souvent cofinancées par les régions, ce qui requiert une collaboration complexe et chronophage, comme le note le rapport annuel du médiateur France Travail 2024. Ces obstacles se traduisent par des problèmes de temps et le rythme imposé aux conseillers (voir notre article précédent).

Une précipitation qui conduit parfois à des erreurs grossières. En 2024, 26 femmes d’Ile-de-France suivent une formation financée par France Travail pour obtenir le titre professionnel de secrétaire assistante médico-social. Il s’agit d’une « préparation opérationnelle à l’emploi individuelle » (POEI) avec embauche à la clé, selon l’institution. Cependant, six mois après le début de la formation, aucune d’entre elles n’avait été embauchée. Les entreprises partenaires annoncées n’existent tout simplement pas, et aucun examen pour obtenir le titre professionnel promis n’a été organisé. France Travail a cessé de verser la rémunération de formation (RFFT) après quatre mois, laissant les participantes sans ressources pendant deux mois.

« Aucune formation que j’ai sollicitée n’a donné suite, déplore pour sa part Patricia*. On nous renvoie de conseiller en conseiller, qui ne sont jamais disponibles et doivent donc reprendre notre dossier depuis le début. Du coup, rien n’avance. Pire, lorsque j’ai trouvé par moi-même des formations ou des emplois, on a tout fait pour m’en empêcher. Je trouvais des annonces et mon conseiller me demandait :  »Mais où avez-vous trouvé cela ? » Eh bien, sur LinkedIn, HelloWork… Rien de bien compliqué pourtant. »

### Des difficultés persistantes dans les créations d’entreprise

De nombreuses contraintes pèsent aussi sur les projets de création d’entreprise. Un chef de cabinet en conseil, souhaitant rester anonyme « par crainte de l’institution », témoigne des nombreux obstacles rencontrés par les usagers désireux de créer leur entreprise : « D’une agence à l’autre, les réponses varient pour des dossiers identiques. Quand les clients reçoivent leur courrier, c’est toujours à charge, avec des soupçons de fraude dès le départ, sans aucun fondement juridique et des éléments très flous. »

Il déplore également des arnaques fréquentes pour réduire les aides aux créateurs d’entreprise. L’exemple le plus courant concerne la possibilité de créer une société avant de rompre un contrat de travail. « Dans ces cas-là, l’article 33 du règlement général stipule que je vais percevoir 100 % de ma durée de chômage et le cumul intégral de ma rémunération de société. Dans neuf cas sur dix, on conteste cela, en expliquant que la notion de cumul intégral n’est pas valable, ou qu’on l’accorde après. Et il est impossible d’obtenir les sources juridiques lorsqu’on les interroge à ce sujet. »

### Un engagement tardif de France Travail

Interrogé par *20 Minutes*, France Travail affirme être « mobilisé pour faire toujours mieux », rappelant que l’institution « indemnise près de 2.800.000 chercheurs d’emploi chaque mois, toutes allocations confondues. Au total, c’est plus de 8 millions de dossiers d’indemnisation que nous traitons chaque année. »

Pour Elpis*, il reste la volonté d’empêcher toute initiative individuelle : « Lorsque mon entreprise a été créée, ils ont refusé de reconnaître mon statut. » La raison invoquée ? Il lui est reproché de ne pas avoir fourni une feuille de salaire en septembre 2019, entraînant un trop-perçu en mars 2023 pour lequel France Travail l’assigne en mai 2025. « Être bloqué six ans plus tard pour un document, c’est désespérant. » D’autant plus qu’il assure avoir remis le document, demandé en 2020, 2021, 2023, 2024. « J’ai été prélevé sur mon compte bancaire alors qu’ils n’en ont pas le droit. J’ai dû fermer mon entreprise. Ils interprètent toujours les lois de manière défavorable. Pourtant, ce que je voulais, c’était simplement travailler. »