TotalEnergies condamné pour greenwashing : « un précédent important » en France.
Le tribunal judiciaire de Paris a condamné TotalEnergies à retirer ses « messages climatiques mensongers » et à verser 8000 € à chacune des associations demanderesses en réparation de leur préjudice moral. C’est la première fois que TotalEnergies est sanctionné pour sa politique climatique et de durabilité.
Le tribunal judiciaire de Paris a jugé que TotalEnergies induisait en erreur les consommateurs sur ses ambitions climatiques. L’entreprise est contrainte de retirer de son site ses « messages climatiques mensongers » et doit publier sur la page d’accueil de ce même site la décision de justice pendant six mois. TotalEnergies et sa filiale TotalEnergies Electricité et Gaz France doivent également verser 8000 € à chacune des associations plaignantes (Greenpeace France, Les Amis de la Terre France, Notre Affaires à Tous) pour leur préjudice moral.
Cette décision pourrait créer un précédent pour d’autres actions judiciaires liées aux enjeux climatiques et engendrer davantage de plaintes pour greenwashing contre les producteurs d’énergies fossiles.
### Quel impact pour la Justice climatique ?
Bien que TotalEnergies ait déjà été sanctionné pour diverses communications dans d’autres pays, c’est la première fois que le géant pétrolier est puni pour sa politique climatique et de durabilité.
Alice Briegleb, chercheuse au centre Perelman de philosophie du droit à l’ULB et autrice d’une thèse sur la responsabilité climatique des entreprises, déclare que « le tribunal, dans son jugement, reconnaît qu’il est incompatible de parler de neutralité carbone d’ici 2050 et de se présenter comme un acteur durable tout en continuant des investissements massifs dans les énergies fossiles ». La contradiction entre l’image véhiculée auprès des consommateurs et la réalité des activités de l’entreprise est au cœur de cette condamnation.
En 2021, Total a changé de nom pour devenir TotalEnergies (au pluriel pour mettre l’accent sur les énergies renouvelables), suivi d’une campagne de communication. Les plaintes concernaient cette campagne ainsi que celle liée à la communication institutionnelle sur le gaz naturel et les biocarburants dans la transition énergétique, bien que les plaignants aient été déboutés sur ces deux derniers points.
Delphine Misonne, directrice du centre d’étude du droit de l’environnement à l’université Saint-Louis, souligne les implications de cette condamnation : « Cette décision est importante et susceptible de se démultiplier car elle trouve son assise dans le Code de la consommation (en France), qui correspond à notre Code de droit économique (en Belgique). Vu que les deux Codes appliquent les mêmes exigences européennes sur la protection du consommateur contre les allégations trompeuses, ce qui se passe devant ce tribunal est nécessairement intéressant pour les consommateurs d’autres pays également. »
### Les ONG renforcées dans leur combat
Les ONG se sentent renforcées par cette décision. Nadia Cornejo, porte-parole de Greenpeace Belgique, affirme : « Ça donne foi dans le fait que les actions en Justice, ça fonctionne et qu’on peut continuer dans cette voie ».
Cette condamnation de TotalEnergies s’ajoute à une autre décision historique de juillet 2025 concernant les réparations climatiques des États pollueurs. Que ce soit pour les États ou les entreprises, une ère de responsabilités climatiques semble se dessiner, aux conséquences encore difficiles à définir. C’est en tout cas une brèche qui s’ouvre pour que des associations, ONG et citoyens puissent s’engager.
Greenpeace Belgique observait de près ce procès à Paris, étant elle-même impliquée dans un procès climatique en Belgique (le Farmer Case). Pour sa porte-parole francophone et vice-présidente de la Coalition Climat, Nadia Cornejo, cette condamnation incite à enquêter sur la véracité des discours officiels : « Quand on voit que 97 % de la production d’énergie de Total provient encore des hydrocarbures et que 80 % de ses investissements sont dans les énergies fossiles, il est clair que les affirmations sur une orientation vers la neutralité carbone sont fausses, et cela nous pousse à exposer ces pratiques mensongères ».
TotalEnergies ne fera pas appel de cette décision, mais continue de rappeler qu’elle est le leader dans les investissements en énergies renouvelables, citant ses 8 milliards d’euros investis dans la transition énergétique depuis 2020, dont la moitié dédiée à celle-ci. Le président de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, souligne également la réduction des gaz à effet de serre de 36 % entre 2015 et 2024 pour ses installations pétrolières et gazières, et de 55 % pour le méthane par rapport à 2020.
### Une condamnation basée sur l’Accord de Paris
Dans sa décision, le tribunal judiciaire de Paris examine l’objectif affiché de TotalEnergies d' »atteindre la neutralité carbone » d’ici 2050. En se fondant sur des publications sur les réseaux sociaux de l’entreprise, le tribunal déclare : « Cet objectif de neutralité carbone fait écho au concept scientifique de neutralité carbone à l’échelle planétaire, connu dans le cadre des objectifs globaux souscrits par les États, comme l’Accord de Paris, et soutenu par les travaux du GIEC ».
Cette mention renvoie à l’article 4 de l’Accord de Paris sur le « plafonnement mondial des émissions de gaz à effets de serre dans les meilleurs délais » ainsi qu’aux rapports du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) et à l’Agence internationale de l’Énergie (AIE). En 2022, l’AIE avait affirmé qu’il n’est pas nécessaire d’investir dans de nouvelles sources d’approvisionnement en combustibles fossiles pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
Ainsi, l’Accord de Paris, bien plus qu’un cadre pour établir des objectifs contre le réchauffement climatique, se transforme en une base légale pour la Justice climatique.
### Une influence sur le Farmer Case ?
En Belgique, TotalEnergies fait également face à un procès, le Farmer Case, dont la première audience se tiendra le 19 novembre au Tribunal de l’entreprise de Tournai.
Delphine Misonne (UCL) précise : « La portée du Farmer Case est beaucoup plus large et est surtout centrée sur le dommage subi par l’agriculteur (Hugues Falys, ndlr.) en raison du changement climatique. Mais la citation contient aussi des passages sur le greenwashing et les allégations trompeuses, en tant qu’éléments constitutifs de la faute menant au dommage prétendu ». Bien que les conclusions aient déjà été déposées, cette condamnation devrait influer sur l’argumentaire des plaignants. Alice Briegleb confirme : « Cela aura probablement un impact et cela viendra colorer les plaidoiries des avocates ».
Delphine Misonne ajoute : « En revanche, si une action plus ciblée est introduite en Belgique contre les publicités de Total qui continuent de faire des mentions de son rôle de leader dans la transition énergétique, c’est évidemment un précédent important ».

