France

Séquestration en Loire-Atlantique : l’emprise dévitalisante selon un expert psychologue.

La victime, âgée de 45 ans, a réussi le 14 octobre à se signaler auprès de voisins, après avoir été séquestrée pendant cinq ans par un couple dans un garage près de Guérande, en Loire-Atlantique. Le couple est mis en examen pour « séquestration avec torture ou actes de barbarie » et pour « abus frauduleux » de « l’état de sujétion psychologique ou physique d’une personne ».

Une femme a été retenue captive pendant cinq ans dans un garage par un couple, dans une maison située près de Guérande, en Loire-Atlantique. Âgée de 45 ans, elle a réussi à se faire connaître des voisins le 14 octobre, profitant d’un moment où l’homme était occupé à regarder la télévision.

Elle a été contrainte de vivre dans des conditions indignes et privée d’accès à ses comptes par ce couple, désormais mis en examen pour « séquestration avec torture ou actes de barbarie » ainsi que pour « abus frauduleux » de « l’état de sujétion psychologique ou physique d’une personne » et de la « faiblesse d’une personne vulnérable ».

Pour mieux appréhender le phénomène d’emprise, notamment présent dans cette affaire, 20 Minutes a interrogé Grégory Michel, professeur de psychopathologie et psychocriminologie à l’université de Bordeaux et auteur d’Enquêtes psychologiques, plongée au cœur de la psyché, récemment publié chez HumenSciences.

Grégory Michel est professeur de psychopathologie et psychocriminologie à l'université de Bordeaux.
Grégory Michel est professeur de psychopathologie et psychocriminologie à l’université de Bordeaux. - G-Michel

Comment peut-on définir l’emprise qui semble une forme extrême de domination ?

L’emprise est un processus relationnel par lequel une personne cherche à exercer une influence, de manière généralement progressive et continue. L’objectif est d’altérer la liberté de la victime : sa liberté sociale, économique, comportementale et même psychique. La victime perd sa liberté de penser et de réfléchir, compromettant ainsi sa volonté. C’est ce qui rend cette situation particulièrement grave. Au fil du temps, la relation devient totalement asymétrique, plongeant ainsi dans une forme de dépendance.

L’auteur de l’emprise peut être idéalisé par la victime, qui devient alors un instrument de l’autre, voire un objet dans les formes extrêmes de domination. Les besoins de la victime sont niés, non seulement par l’auteur, mais également par elle-même. Dans une relation d’emprise, il y a inévitablement une recherche de bénéfices (économiques, sexuels, etc.) pour l’auteur, qui se soucie peu des conséquences de ses actes.

Quels sont les éléments qui peuvent alerter l’entourage ?

Une phase de séduction, souvent observée dans des relations toxiques comme le « love bombing », peut créer un climat où les défenses tombent, rendant la relation presque fusionnelle. Ce phénomène devient alors un indicateur d’une relation d’appropriation. La victime finit par ne plus penser qu’à cette personne, s’installant dans une logique de dépendance émotionnelle et sociale.

Par la suite, elle modifie progressivement ses comportements, se rapprochant tellement de l’autre qu’elle se coupe de ses amis et abandonne certaines de ses activités, entraînant ainsi un isolement social. Sur le plan de la pensée, elle se soumet entièrement, d’autant plus que l’autre agit en la dénigrant, la disqualifiant et l’affaiblissant davantage.

Les proches peuvent remarquer, par exemple, que la victime semble se dévaloriser plus qu’auparavant, car son estime de soi est en berne. Ils peuvent également repérer des comportements de contrôle de la part de l’auteur, parfois accompagnés de menaces physiques ou psychologiques. Ces signes sont révélateurs d’une relation d’emprise.

Est-ce qu’on peut tous tomber sous emprise, à un moment de fragilité dans nos vies par exemple ?

Les personnes avec une blessure narcissique sont beaucoup plus vulnérables, ce qui les pousse à conditionner leur estime de soi à l’attention que les autres leur portent. Cela les place dans une relation d’asymétrie. Ce sont souvent des individus ayant vécu des expériences difficiles, avec un parcours de vie chaotique.

Cependant, il existe aussi des situations qui peuvent plonger n’importe qui dans une fragilité. Des adolescents en quête d’identité, des personnes ayant récemment vécu une séparation compliquée ou un licenciement sont, par exemple, plus susceptibles de s’engager dans une relation à risque.

L’estime de soi fragilisée sera temporairement rehaussée par l’auteur de l’emprise, ce qui contribuera à l’affaiblir davantage par la suite. Cette dynamique de souffler le chaud et le froid est profondément perverse.

Dans le cas de la victime de Loire-Atlantique, il n’est pas rapporté à ce stade d’entraves physiques constantes. Cela démontre la puissance de l’emprise ?

La victime est complètement dévitalisée : elle doute d’elle-même et est totalement dépendante, au point qu’on peut parler de terreur psychologique. L’endoctrinement qu’elle a subi a altéré sa volonté et son estime de soi, et elle est physiquement affaiblie par des maltraitances. Elle n’est plus en mesure de faire des choix, elle subit un contrôle coercitif.

Il est important de comprendre que l’emprise psychologique entraîne des troubles anxieux, du stress post-traumatique et des dépressions. Elle est elle-même plongée dans cette dynamique d’emprise pathologique. Trouver la force de se libérer avec une vision de soi aussi négative est extrêmement difficile.

Toutes nos infos sur la psychologie

Dans ces conditions, comment l’élan vital peut-il revenir ?

Dans cette affaire, le contrôle coercitif a été partiellement levé, permettant un sursaut. Cependant, cela reste extrêmement difficile. Les victimes éprouvent une insécurité persistante et craignent de se retrouver seules, confrontées à des difficultés économiques, etc. Plus l’emprise est enracinée depuis longtemps, plus elle laisse une empreinte, évoquant des multitraumatismes. La prise en charge des victimes sera douloureuse et longue, même en l’absence de violences physiques.